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UN CRI DE DETRESSE
LA PRUSSE RHÉNANE
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Bruxelles. — Inip. H.-D. Reynders, rue du Marais, 'il.
UN CRI DE DÉTRESSE
OU LA
PRUSSE RHENANE
ET SA
REPRÉSENTATION LÉGALE
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ENAN
BRUXELLES
Chez tous les libraires
1871
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INTRODUCTION
i
I. (Écrite en 1868). En adoptant pour notre humble opus-
cule le titre de Cri de détresse, nous ne faisons que suivre
la Nouvelle Gazette de Prusse qui, lors de la publication
du premier chapitre, daignait le qualifier ainsi en appelant en
même temps sur noua les foudres du gouvernement.
De même que ce titre, nous acceptons franchement la qua-
lité de mandataire que cet organe de la cour nous attribuait
lorsqu'il disait : " Un Rhénan qui parle sans façon au nom
de toute la province. " Seulement, retranchons ce mot " sans
façon " et disons simplement : Un Rhénan qui parle au nom
de toute la province, mais en ne parlant que d'après des pièces
officielles et ne racontant que les hauts faits de la représenta-
tion légale de cette province.
Disons enfin que ces lignes ne sont pas écrites pour le moment
actuel, mais qu'elles datent de ce même automne de l'an 1865
I
— VI —
*
où M. Bismark séjournait à Biarritz, et qu'elles étaient tout
particulièrement destinées à lui rendre agréable son séjour pro-
longé dans ce bain si salutaire pour la Prusse. Nous parvîmes
alors de faire publier les trois premiers chapitres. Des inci-
dents, dont le lecteur devra pour quelque temps encore
ignorer la nature et les causes, empêchaient qu'il en fût ainsi
des autres.
Mais le diable n'y perd rien : un petit corollaire en guise
de confirmation et voilà l'œuvre refaite, pour être sans doute
lue aujourd'hui avec le même intérêt qu alors.
II. (Écrite en 1870). Ce second essai, fait en 1868, pour par-
venir à la publication de ces lignes ayant échoué aussi, nous
croyons de notre devoir de les publier aujourd'hui, après
l'événement, telles qu'elles furent composées originairement,
sans en changer un seul mot.
Le lecteur y touvera donc encore certaines expressions rap-
lant le gouvernement impérial.
L'auteur a cru ne pas les devoir retrancher non plus. Il
pense qu'il se rendrait coupable d'une lâcheté s'il supprimait
même un seul mot de son manuscrit.
En s'adressant en 1865 et 1868 au gouvernement alorsétabli,
en rappelant au chef de ce gouvernement ses promesses, il a
cru remplir le premier devoir d'une nation opprimée, d'autant
plus qu'après tout, pour nous autres malheureux Rhénans,
malmenés par une presse prussienne, le troisième Napoléon a
dû paraître le successeur du premier. Personne d'ailleurs ne
le prendra en mal à un Rhénan d'avoir eu de la vénération
pour Napolépn-le-Grand et pour son successeur, en tant qu'il
semblait marcher sur ses traces. Si les œuvres de Napoléon III
n'ont pas toujours répondu à ses paroles, tant pis pour lui
(malheureusement en ce moment aussi pour la France).
Il n'est donc pas besoin de protester ici qu'en publiant cet
écrit (qui, comme on verra, a aussi son historique à lui) tel
— VII —
qu'il devait être publié d'abord, l'auteur ne prétend en au-
cune façon faire propagande pour un gouvernement quel-
conque (tout gouvernement nous est sympathique pourvu
qu'il nous débarrasse des Prussiens) et le moins du monde
pour le gouvernement déchu, attendu que l'empêchement de
la publication des cinq derniers chapitres, en 1865, n'était dû
qu'à l'intervention particulière de M. le marquis de Lavalette,
alors ministre de l'intérieur, lequel ministre français jugeait
utile de supprimer ces lignes dans un temps où toute la
France était inondée d'écrits soldés par S. M. le roi de
Prusse.
Il est vrai que l'organe intime de la cour brandebourgeoise,
la Nouvelle Gazette de Prusse, lui avait donné à entendre
que cette suppression était bien le moins que Sa Majesté
prussienne attendait de lui. (Voir son numéro du 18 octobre
1865.)
CHAPITRE PREMIER
Le droit public dans la Prusse rhénane
t
(Article publié par le journal la Liberté, de Paris, du 16 octobre 1865.)
Le droit public dans notre province repose sur les Patentes (lois
provinciales fondamentales) des 5 avril et 22 mai 1815, qui nous ga-
rantissent la liberté des cultes et le droit de voter les impôts. Ils
nous promettaient, en outre, une Constitution et une Diète avec pou-
voir législatif.
Malgré la promesse bien formelle du Patent du 5 avril 1815, les
lois prussiennes sur les impôts furent introduites dans notre pro-
vince, en 1819, par simple ordonnance royale. Le mécontentement
toujours croissant , qu'excita cette mesure arbitraire , força le
gouvernement de penser sérieusement à la publication de la Consti-
tution promise, qui fut promulguée le 5 juin 1823 et qui portait
(art. 3) et textuellement : « que toutes les lois sans distinction, vala-
bles pour la province seulement, et toutes autres qui concerneraient
les personnes, les propriétés et les impôts, seraient soumises à la
délibération de la Diète. »
Exposons les travaux de cette Diète, tableau vivant des sentiments
de notre province, et qui, de son ouverture en 1826 jusqu'à sa dis-
solution en 1847, a tenu huit sessions :
1" session, de 1826. — Rejet d'une proposition du gouvernement,
tendant à introduire les Codes prussiens civil, pénal et de commerce.
Rejet de toutes les autres propositions spéciales et subsidiaires du
gouvernement, tendant à modifier les lois françaises, notamment
celles sur les successions, les procédures, la justice volontaire.
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— 6 —
Protestation contre les lois sur les impôts, introduites en 1819, sans
le concours de la province, garanti par le patent du 5 avril 1815.
ï' session, de 1828. — Proteslation réitérée contre ces lois et de-
mandes en remédure.
Ces protestations et ces demandes,en partie satisfaites par l'ordon-
nance royale du 1" décembre 1828, furent encore renouvelées dans
les sessions subséquentes.
Rejet de toutes propositions nouvelles du gouvernement, tendant
à introduire les lois prussiennes ou à modifier les lois françaises.
Protestations contre diverses ordonnances royales et règlements
d'administration portant atteinte aux lois administratives françaises.
3 e session, de 1830. — Protestation réitérée contre ces ordonnances
et règlements, et remontrances contre les charges générales impo-
sées aux communes par voie administrative.
Protestation contre diverses ordonnances royales établissant le ré-
gime de police prussien.
Protestation solennelle contre toute atteinte aux lois existantes
sans le concours de la Diète.
4 e session, de 1833.— Rejet réitéré de toutes les propositionsdu gou-
vernement, tendant à introduire des lois prussiennes ou à modifier
les lois françaises.
Protestation contre la rétraction, par voie administrative, des
donations faites aux départements, arrondissements et communes,
par les décrets impériaux des 9 et 23 avril 1811.
5* session, de 1837. — Protestation solennelle contre l'ordonnance
royale du 21 janvier 1837, qui autorisait les pères et mères nobles
de déroger aux lois sur les successions en faveur de leurs aines.
Plaintes conlre les lois prussiennes sur l'instruction publique.
Rejet du Code hypothécaire de la Prusse.
Rejet d'une proposition du gouvernement, tendant à abolir le ma-
riage civil.
Rejet réitéré de toutes lesautres propositions du gouvernement, ten-
dant à introduire des lois prussiennes, ou à modifier le Code pénal.
Protestation solennelle contre les atteintes y apportées par plusieurs
ordonnances royales, notamment celles des 25 avril et 17 août 1835, qui
établirent des cours spéciales et prévotales pour les crimes et délits
politiques, refusèrent des défenseurs aux accusés, etc., etc., etc.
Demande solennelle de reconnaître les principes du statut du
a juin 1823. «
Sur celle protestation solennelle est survenue l'irritation générale
par suite de la détention des digues archevêques de Cologne et de
Posmanie.Le gouvernement jugea à proposde lâcher bride, du moins
.— «*
en apparence, el le roi Frédéric-Guillaume déclara dans son mes-
sage du 26 mai 1839 : « Qu'il entendait seulement faire réviser le
Code pénal prussien sur les principales bases du Code français et de
soumettre ce nouveau Code, qui devait faire disparaître les ordon-
nances, objets de la protestation, à la délibération de la Diète. »
Cependant, il se garda bien de convoquer cette année la Diète el
laissa subsister ces ordonnances, qui furent l'objet de nouvelles pro-
testations de la Diète en 1S41, 1843 et 1845.
Mais si la Diète s'opposait de toutes ses forces à toute proposition
tendant à infuser dans nos lois les principes des lois prussiennes, elle
sut bien apprécier les réformes qui y furent apportées par la nouvelle
législation de la France; elle proposa en conséquence :
Dans sa session de 1830, la réunion des lois forestières dans un
seul Code, à l'instar du Code français du 31 juillet 1829; un Code sur
la pèche fluviale, sur les bases du Code français du 15 avril 1829 ;
Dans sa session de 1833, une loi municipale, sur les bases de la loi
française du 21 mars 1831 ;
Dans celle de 1837, une loi sur les chemins vicinaux, analogue à
la loi française du 21 mai 1836, et dans sa 6 e session, en 1841, une
loi sur la compétence des juges de paix, sur les bases de la loi fran-
çaise du 25 mai 1838, etc., etc. D'autres résultats de cette session
furent :
Rejet d'une proposition du gouvernement tendant à restreindre la
faculté d'aliéner les biens-fonds.
Pétition pour le rétablissement du système métrique.
Protestations conire plusieurs mesures arbitraires du gouverne-
ment, telles que de faire cesser tout enseignement du droit français à
l'école de droit de Bonn, la seule où il est enseigné, de laisser vaquer
les places dans la magistrature rhénane.ou de les conférer à des juges
assesseurs, naturels de la vieille Prusse, n'ayant fait le cours ni subi
aucun examen spécial du droit français, d'y exclure les nationaux,
élèves d'écoles é:rangèrcs, etc., etc.
T sessioir, de 1843. — Protestations réitérées contre ces abus.
Rejet du Code pénal prussien révisé, mais présentation, de la pari
de la Diète, d'un projet de Code pénal rhénan, basé sur le Code français,
et qui avait égard, autant que possible, aux exigences du gouverne-
menl, avec déclaration solennelle de n'enlrer en discussion d'aucun
projet qui ne s.oit pas entièrement basé sur le Code français.
Plaintes nouvelles contre les lois prussiennes sur l'instruction
publique.
Protestations contre le retrait des pensions accordées aux membres
de la Légion d'honneur.
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8
• 8« et dernière session, de 1845. — Protestation réitérée contre le
retrait de ces pensions, qu'elle prétendait être à la charge du gou-
vernement, en verlu de l'art. 26 du traité du 31 mai 1814.
Protestation contre les lois du 29 mai et du 7 juin 1844, portant
atteinte à l'indépendance de la magistrature et du barreau.
Protestation contre plusieurs mesures administratives et ordon-
nances royales portant atteinte à la liberté des cultes, garantie par
le [latent du 5 avril 1815, notamment contre l'ordonnance royale du
9 avril 1838, qui ordonnait la détention, sans procès préalable, de
quiconque, prêtre ou laïque, divulgerait les édils de la cour de Rome
et des évéques détenus.
C'était son chant de cygne. Las de la résistance invincible de la
Diète rhénane et de la Diète polonaise, le gouvernement avisa à d'au-
tres moyens. Au lieu d'assembler, en 1847, chaque Diète de province
séparément, il les convoqua toutes à Berlin, dans une assemblée
générale, dite « Diètes réunies. » Il crut ainsi étouffer les Diètes
récalcitrantes dans les étreintes des autres, et sut, en même temps,
enthousiasmer pour ce projet le parti libéral de la vieille Prusse, qui,
avec plus de raison, voyait dans le concours des membres éclairés
et aguerris du Rhin un puissant auxiliaire à ses efforts; car, pour
bien juger la situation singulière de ce pays, véritable chef-d'œuvre
du Congrès de Vienne, il faut savoir que plusieurs projets de loi,
rejetés par la Diète rhénane comme des horreurs, étaient, pour les
vieilles provinces de Prusse, un véritable progrès. Mais, si ce
parti y trouva son compte, le gouvernement, qui avait compté sans
ses hôtes, ne le trouva pas : la Diète, entraînée par de puissants ora-
teurs, révoltée surtout du discours d'ouverture qui ne lui attribuait
que le seul vote des impôts et des emprunts, laissant au gré du gou-
vernement sa convocation, et réservant à son bureau, qui devait
s'assembler tous les quatre ans, les autres attributions législatives
des diverses Diètes de province, protestait vivement et demandait à
grands cris une Charte. Aussi fut-elle promplement congédiée et
apprit-elle par son congé, conçu en des termes peu amicaux, que
« le roi, étant lui-même la meilleure des Constitutions, n'aimait nul-
lement qu'une feuille de papier se fourrât entre lui et son peuple. »
Survinrent les événements de 1848. Immédiatement après la révo-
lution de février, les principaux membres de la Diète rhénane, se
réunissant en députalion, se mirent en marche pour Berlin, où lis
arrivèrent précisément spectateurs de la révolution de mars. Ils
obtinrentdonctoutcequ'ilsdemandèrentet plus encore: leroi, voyant
des fusils entre lui et son peuple, n'éprouvait plus la même aversion
pour les feuilles de papier. En conséquence, une ordonnance royale
du 15 avril 1848, révoquant toutes les ordonnances royales, objets des
diverses protestations de la Diète rhénane, rétablit en entier nos
Codes.
Mais la joie ne dura pas longtemps. Vint la période de réaction, et
avec elle le système des ordonnances royales ; celles des 10 et 11 juil-
let 1849 ôtèrenl à la magistrature la dernière trace de son indépen-
dance. Les Chambres prussiennes les convertirent promptement en
lois et votèrent, sans s'arrêter le moins du monde aux observations
des députés rhénans et polonais, toutes les propositions du gouver-
ment; entre autres :
Une nouvelle loi sur les impôts du 1" mai 1851, qui. révoquait
l'ordonnance royale du 1 er décembre 1 828, émise, comme nous l'avons
dit, sur les instances de la Diète rhénane, en 1826 et 1828 ;
Un nouveau Code pénal prussien, le même que la Diète rhénane
avait rejeté en 1843;
Une loi du 17 mars 1852, convertissant notre Cour de cassation en
simple section de la cour de cassation de Prusse ;
Une loi du 25 avril 1853, rétablissant la Cour spéciale pour les
délits politiques, objet de la protestation de notre Diète en 1837 ;
Une loi du 13 février 1854, sur la discipline des fonctionnaires pu-
blics;
Une loi municipale du 15 mai 1856, abolissant la dernière trace de
nos lois administratives françaises, etc., etc.
Au moyen de ces lois et des mesures administratives dont nous
avons vu l'essai dans les délibérations de notre Dicte en 1841, le
gouvernement parvint à purifier promptement le personnel de l'ad-
ministration et de la magistralure, de sorte qu'il se trouve à présent
composé, à peu près, moiiié de naturels de la vieille Prusse, moitié
de la descendance de ces Prussiens ; et à se créer une presse dévouée,
unique dans son genre; presse qui se dit rhénane quoiqu'elle soit
desservie par des journalistes, naturels de la vieille Prusse; presse
vierge, ou à peu près, de toute saisie ou condamnation, quoique
régie par des lois de la dernière rigueur, et, tandis que dans la vieille
Prusse et dans le grand-duche de Berg, les condamnations y tombent
par milliers; presse sachant admirablement occuper les esprits des
affaires des autres; presse gorgée des calomnies les plus atroces sur
la France et son gouvernement, mais débitées assez plausiblement et
d'une manière toute particulière ù elle; presse qui déterre avec avi-
dité la moindre tâche de l'administration française, de sorte qu'il ne
se passe pas la moindre fau'e de maire ou de garde-champêtre dans
le moindre village de la France sans qu'elle en fasse grandement et
le rapport et le commentaire; mais qui ne parle jamais de ce qui se
— IO —
passe en ce genre chez nous, el qui, avec tout cela, proteste toujours
ne pas être vendue au gouvernement.
Puis le gouvernement revint à la Diète rhénane, qu'il n'avait plus
convoquée depuis 1845, et qu'il avisa de faire revivre, objet de risée
générale. En conséquence, une loi du 44 mars 1851 l'ayant abolie, et
institué à sa place une sorte de Conseil général, ne fut pas exécutée,
puis suspendue en 1852, et enfin révoquée en 1853 ; et la Dièle réta-
blie^sous son ancien nom, dans son antique composition (en trois
États), avec son vénérable mode d'élection (d'après 1ô système de
M. Sièyes), avec ses anciennes lois réglementaires, mais bornée dans
ses attributions, au seul droit de pétitionner dans l'intérêt local el
au règlement des comptes des roules départementales, des petites
maisons, maisons de mendicité, etc., etc. (Car il faut bien se garder
de penser que le vote des dépenses départementales et le règlement
des comptes d'administration, comme on l'entend en France, lui ait
jamais appartenu; cela a toujours été dans les attributions du seul
gouvernement.)
Vu celte composition, ce mode d'élection, ces attributions surtout,
en présence des exigences des temps modernes, on concevra aisé-
ment qu'il devait ètrecliosi: facile au gouvernement de se créer une
Dièle à son goût. Aussi, ne s'étonnera-l-on pas de trouver à présent, à la
place d'une Dièle qui naguère fil trembler la monarchie prussienne
jusque dans ses fondements, une Dièle composée, à quelques excep-
tions près, de créatures du gouvernement, une Diète qui vole de
grand cœur toute proposition que le gouvernement daigne lui sou-
mettre.
Reste peu de choses à dire encore ; car il n'est vraiment pas besoin
de démontrer longuement qu'aucune assemblée législative en Prusse,
survenue depuis, n'a pu a voir un litre pour déroger aux droits accor-
dés par un roi, alors absolu, aux seuls Rhénans lors de la prise en
possession en 1815, et reconnus et confirmés depuis toujours, en des
temps de péril, en 1839 et en 1818 ; il suffit de dire que la Diète elle-
même ne fut pour rien dans tous ces changements; il suffit de con-
stater qu'elle fut tour à tour suspendue, volée de ses attributions,
aboliejaissée veuve de toute attribution sérieuse, sans même avoir été
entendue; que jamais on n'a prétendu que la Diète ou le peuple
rhénan, quoique défendant vaillamment ses droits, soit jamais sorti
des limites de la légalité, qu'aucun besoin impérieux d'Etat ait légi-
timé ou seulement excusé ces mesures; que le droit public est
foulé aux pieds sur les bords du Rhin, comme il l'est à l'Eider,
sur la Vistule.
A l'heure qu'il est, le dernier reste de nos inslilutions, l'immortel
mm^mÊmt
— Il —
Code civil et ceux de procédure sont sérieusement menacés. Le Gode
de commerce a déjà disparu (1862). Mais nous sommes tranquilles et
confiants dans l'avenir : L'histoire ne dira pas que la dernière trace
de la civilisation dans les départements de la Roër, du Rhin, de la
Moselle et de la Sarre, ait disparu sous le règne de Napoléon III.
Écrit pour l'anniversaire de la journée d'Iéna, le 14 octobre 1865.
#* m$&.
CHAPITRE II
L'instruction publique dans la Prnsse rhénane
(Article public par le journal la Liberté, de Paris, du 26 octobre 1865.)
L'instruction publique en Prusse, objet des plaintes de notre Diète
en 1837 et .1843, est citée par les journaux de ce pays comme un
bienfait dont le gouvernement a bien voulu nous gratifier. Exami-
nons ce bienfait; et,comme rien ne pourra être plus propre à le faire
apprécier que sa description, nous allons l'essayer en commençant
par l'enseignement privé.
L'enseignement privé est réglé par l'ordonnance royale du
10 juin 1834, développée par le règlement d'administration publique
du 31 décembre 1839, lequel règlement, actuellement encore en toute
vigueur, porte textuellement :
Article premier. — Ecoles et pensions privées ne seront permises
que lorsqu'un besoin reconnu et réel les nécessiter.!, c'est-à-dire,
seulement en des lieux t où il n'est pas suffisamment pourvu à l'in-
struction publique. »
Art. 2, 14, 19, 21. — Tout directeur ou directrice d'école ou de
pension, tout instituteur, aide ou surveillant y employé, tout institu-
teur domestique ou aux cachels, toute institutrice ou gouvernante,
toute personne, enfin, qui voudra se vouer à l'enseignement, ou bien
le continuer, se prémunira d'un brevet du préfet, qui ne sera délivré
qu'après avoir pleinement justifié de ses capacités de la même manière
que les instituteurs publics, et, de plus, de quelques années d'exer-
cice et d'une conduite morale et « politique » sans tache.
Art. 35. — Les brevets seront de tout temps révocables ; ils devront
— 13 —
(art. 17) toujours être révoqués, s'il s'élève seulement • des soup-
çons • sur la conduite religieuse ou politique du breveté.
Art. 6, 15, 22. — Aucun brevet ne sera jamais accordé à des étu-
diants qui auraient pris part à des sociétés d'éludianls Allemands
(Burschenschaften), déjà exclus de l'instruction publique, aussi bien
que de toute fonction ou emploi public.
Qu'on veuille bien remarquer ici qu'il nes'agit riullemenldesociétés
secrètes, mais de simples réunions où l'on discutait seulement, et en
toute publicité, les lois et les institutions du pays. (Ordonnance royale
du 5 décembre 1838, art. 5, § 2. )
Art. 7. — Les écoles privées sont soumises à la même surveillance
que les écoles publiques. Celte surveillance ne se bornera pas seule-
ment au maintien de la discipline et aux résultats de l'enseignement,
mais aura encore pour objet la confection des plans d'enseignement
et de leçons, le choix des livres de classe, etc., etc.
Art. 8.— Les professeurs.le's suppléants, les instituteurs d'établisse-
ments privés, etc., se conformeront à toutes les dispositions légales et
administratives qui seront données pour lesécoles publiques; ils sont,
soumis à la même discipline administrative que les instituteurs pu-
blics et pourront être punis, par voie administrative, d'amendes
jusqu'à 75 francs.
L'article H soumet les écoles de garde (crèches) à la même surveil-
lance et à la même permission.
II nous parait bon de nous arrêter ici, pour constater que nous
avons rapporté et que nous rapporterons textuellement tous les pas-
sages de lois et de règlements.
Mais peut-être dira-t-on : Soit, qu'il existe de ces ordonnances, mais
seraient-elles exécutées? Comment, surtout en vue de l'article pre-
mier, peut donc exister une seule école privée? Nous répondrons par
des faits; un seul exemple suflira.'
Un curé attaché à la paroisse d'Eupen, ville de 13,000 habitants,
ayant satisfait à toutes les conditions requises avait obtenu enfin du
préfet d'Aix la permission d'établir une école préparatoire pour les
classes d'un lycée. Celte école florissait, Celle du gouvernement lan-
guissait. Alors le ministre des cultes déterra je ne sais quelle ordon-
nance ou instruction qui demandait encore un certificat de capacité
délivré par une université. Le vicaire en offrit un d'une université
étrangère; cela fut refusé. Alors il en offrit un d'une université
prussienne; nouveau refus, sous prétexte qu'il eut dû y faire aussi
son cours. Encore le vicaire juslifia-t-il y avoir fait son cours de
théologie; en vain, il eut dû encore y faire son cours de philologie.
- 14 —
Par ordre du ministre, l'école fut fermée l'été dernier, avec injonc-
tion de fermer toutes écoles semblables. On n'en a pas fermé d'autres,
parla bonne raison qu'il n'en existait plus.
Voilà assez pour l'enseignement privé, passons à l'inslruction
publique.
Elle est basée sur les ordonnances royales du 1 4 mai 1825 et du
20 juin 1835, suivies de plusieurs règlements d'administration pu-
blique ; nous continuons à ciler textuellement.
Art. premier de celte loi. — On enseignera encore dans les écoles
primaires élémentaires : le chant religieux et « national, » les élé-
ments de la géographie et de l'histoire t nationale » (et quelle his-
toire! le R. P. Loriquet, à côté d'elle, est un apôtre de vérité!) les
ouvrages manuels aux filles, et, aux garçons, des exercices gymnas-
tiques, qui, cependant, ne consisteront (arrêté du préfet d'Âix, du
7 novembre 1 861) qu'en des dévolutions militaires, » et dont les leçons
seront données, à défaut de l'instituteur, par quelque ancien capo-
ral de l'armée.
Art. 2. — L'instruction religieuse est obligatoire.
Nous devons supposer comme la fameuse ordonnance royale du
17 avril 1825, concernant l'éducation des enfants issus de mariages
mixtes, qui sema des troubles dans mille familles et qui a amené la
détention de noire archevêque Clément-Auguste, de glorieuse mé-
moire; laquelle ordonnance subsiste encore dans toute sa vigueur.
D'ailleurs, il faut rendre cette justice au gouvernement qu'il n'en-
trave en rien l'instruction religieuse des enfants nés de père et mère
catholiques ; seulement il se réserve le choix des livres d'instruction,
catéchismes, elc.
Art. 7. —Au lieu de la discipline du tribunal civil, celle du préfet,
après que celui-ci aura pris l'avis, selon les cas, de l'un, de plusieurs
ou de lous ses chefs de bureau. (Voilà le simulacre de notre glorieuse
institution des Conseils de préfecture.)
Art. 8.— Les écoles publiques seront entrelenues des deniers com-
munaux.sansquecependanl les Conseilsmunicipauxen aient la moindre
disposition, si ce n'est pour augmenter les traitements fixés par le
préfet.
Art. 9.— Les écoles publiques sont multipliées à l'infini, par suite du
grand nombre des élèves ; tous les élèves de l'âge de cinq à quatorze
ans, et ceux plus âgés encore, s'ils ne sont pas reconnus assez
instruits, étant sujets à l'instruction obligatoire. Encore le gouver-
nement exige-til, en tout endroit où il y a une douz iine d'enfants
de fonctionnaires (presque tous, comme nous l'avons dit, originaires
■§■^■■■1
— is —
de la vieille Prusse et, par conséquanl, protestants), une école pro-
testante, mais entretenue des fonds de communes foutes catholi-
ques.
Un partisan juré de l'instruction obiigaloire devra reconnaître si
ces charges sont ou non trop pesantes pour les communes; mais qui-
conque'voudra s'arrêter un moment pour penser, reconnaîlra encore,
dans l'institution de ces écoles protestantes, un trait caractéristique
de la haute finesse prussienne. 11 va sans dire que dans ces écoles,
fréquentées de si peu d'élèves et dirigées par des instituteurs habiles,
l'éducalion est plus soignée; encore cela est-il, comme on a vu par
notre desci iption de l'enseignement privé, presque le seul moyen
d'extraire les enfant- de la foule. Il ne peut donc manquer que ces
écoles attirent toujours quelques élèves calholiques bien nés. Rien
n'est plus du goût du gouvernement, qui espère, par ce contact,
concilier les deux races; niais il doit être dit, à l'éternel honneur de
notre clergé qu'il n'est rien aussi à quoi il s'oppose autant que
contre cet abus. C'est surtout par ces petits moyens que le gou-
vernement opère, et opère tant et si bien, qu'il venait infailliblement
à bout de toute tribu qui n'espérait pas en la France; quiconque les
ignore jugerait fort mal les choses : toute l'histoire de nos persécu-
tions religieuses, toute l'histoire delà caplivilé de notre Clément-
Auguste ne serait pas assez comprise par qui ne serait pas dans le
secret de ces petits moyens et finesses prussiens. A ceux qui vou-
draient s'en instruire, nous devons recommanderl'excellent ouvrage
de M. A. Dumas : Voyage sur les bords du Rhin, où ce célèbre
auteur et illustre voyageur marque en si peu de mots toutset la
vraie situation des choses.
Art. 12. — Les traitements fixés par le préfet. Entière dépendance
des instituteurs, qui sont soumis au gouvernement au même point
et degré que tous les autres fonctionnaires publics. (Arrêté du préfet
d'Aix-la-Chapelle, du 28 mai 1850.)
Art. 13. — Pas de subventions, pas de secours et d'encourage-
ments de la part de l'Étal. (Message royal du 31 décembre 1843.)
La somme, d'ailleurs assez minime, qui figure sous le titre : « Be-
soins de l'instruction publique » dans le budget de l'État, sert prin-
cipalement à salarier les inspecteurs royaux.
L'emploi arbitraire que fait le gouvernement de certains fonds
appartenant à quelques parties du territoire de notre province, et
destinés aux besoins de l'instruction publique, fut l'objet de plaintes
amères de notre Diète en 1841 et 1843.
Art. 17. — Les membres du Comité local à la nomination de sous-
préfet.
— i6 —
Art. IH -21. — Pas de comité d'arrondissement; ses attributions
dévolues au seul préfet; par conséquent :
Art. 22. — Pas de délégués pour l'inspection des écoles, mais des
inspecteurs royaux, nommés et salariés par le gouvernement.
Art. 23. — Les instituteurs nommés, et la discipline exercé par
le seul préfet.
Consignons encore l'ordonnance royale du 20 juin 1835, développée
par le règlement d'administration publique du 6 février 1845, qui
punit les père et mère, dont les enfanls négligeraient l'instruction
publique, d'amendes jusqu'à 4 francs, ou d'emprisoimement jusqu'à
24 heures; lesquelles peines (art. 3) seront prononcées de mois en
mois, ou même, en cas de récidive (art. 16) par quinzaine ou hui-
taine, de sorte que, pour la négligence d'un seul enfant, et dans le
cours d'une seule et même année, les peines peuvent monter à ISOfr.
d'amende ou six semaines d'emprisonnement. Disons encore que ce
règlement (arl. 3) en instituant le maire (fonctionnaire richement
salarie et nommé par le gouvernement) juge, le soumet en cette
qualUé encore (art. 17) à la discipline du sous-préfet, qui peut dé-
cerner contre lui des amendes jusqu'à 20 francs; et que ce même
règlement (art. 5), tout en conférant à ce singulier juge (à Aix-la-
Chapelle ces fonctions sont exercées par un commissaire de police,
ancien caporal de l'armée — arrêté du ministre des cultes, du 6 juin
1862,) le droit de punir, lui ôte (art. 7) celui d'absoudre, ce qu'il ne
pourra que sous l'approbation spéciale du sous-préfet.
Reste encore à parler de l'instruction supérieure.
Il ne saurait entrer dans nos intentions d'en faire une description
détaillée; un tel travail serait Irop étendu pour les colonnes d'une
feuille périodique. D'ailleurs, vu son organisation toute différente
de l'organisation française, ceserait chose difficile de la faire connaître
au grand public. Dans cette organisation, tout est réglé d'une manière
minutieuse jusqu'au ridicule, mais loujoursen des termes peu clairs,
souvant équivoques. Aussi, le gouvernement se moque-t-il, en plein
jour, de ces règlements, en tout et pour tout ce qui lui sert; il les
fait exécuter à la lettre, en tout et pour tout, ce dont il craint quelque
inconvénient ou opposition ; le ridicule se change alors en un sérieux
écrasant. De cette dernière hypothèse, nous avons vu l'exemple écla-
tant dans le traitement de l'école du vicaire d'Eupen; de la pre-
mière, nous l'avons vu dans les délibérations de notre Diète
en 1843.
Au reste, celte partie de l'instruction prussienne n'est pas trop
inconnue en France.
Il suffit de dire que les règlements qui la régissent sont connus
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- 17 —
dans la vieille Prusse même sous le nom de « Règlements fameux
du ministre de Raumer » ; il suffit de dire qu'on enseigne dans ses
auditoires une histoire, une philosophie, une jurisprudence, un droit
public, des principes, tout prussiens, aussi inconnus qu'abhorrés
à l'étranger et dans le reste de l'Allemagne môme, principes dont les
fruits, percent pariout; principes qui autorisent tous les manèges et
finesses du gouvernement, qui autorisent l'oppression et la destruc-
tion (Germanùirung) des nationalités; principes qui autorisent toutes
ces actions de force brut. de et de pouvoir arbitraire, dont nous
sommes les témoins; principes qui autorisent les horre 1rs com-
mises, dans les champs de bataille, sur nos malheureux blessés, le
meurtre des fidèles Saxons en 1815, les horreurs dans la Posmanie
en 1846 et 1848, dans le Danemark en 1864, principes qui autorisent
enfin, des atrocités comme l'assassinat de l'infortuné Ott.
Voilà l'éducation de la jeunesse autour des berceaux de Charle-
magne et de Ney, dans les auditoires des Albert-le-Grand (Albertus
Magnus), des Duns Scotus, des Thomas d'Aquin.
Encore nous ne devons pas taire que tout avenir, des allégements
dans le service militaire, l'exercice de plusieurs professions même,
dépendent de la fréquentation de ces écoles Du moindre surnumé-
raire pour les places subalternes dans les régies jusqu'au fonctionnaire
le plus haut placé, chacun doit justifier de tant et tant d'années de
fréquentation d'écoles super eures prussiennes; tous les ecclésiasti-
ques, médecins, etc., etc., y sont tenuségalement(ordonnance rovale
du 30 juin 1841), sans quoi ils ne peuvent obtenir aucune permis-
sion d'exercer leur état ou profession. La fréquentation des écoles
étrangères fut souvent interdite, non seulement sous peine d'être
exclu de toute fonction ou emploi public, mais encore aux simples
particuliers qui ne demandent jamais rien à l'État.
Une ordonnance royale du 21 mai 1824 défendit ainsi la fréquen-
tation de plusieurs universités allemandes, encore sous des « peines
pécuniaires arbitraires contre les père et mère et tuleurs. » (Nous
devons encore répéter que nous rapportons les passages textuelle-
ment.) La défense de fréquenter certaines écoles étrangères subsiste
encore dans toute sa vigueur.
Marquer le degré et l'étendue des sciences réelles que l'on reçoit
dans les écoles, c'est toujours chose difficile; mais nous avons une
échelle assez sûre en ce que, pour être reçu surnuméraire dans l'ad-
ministration ou dans les régies, un senice militaire, de douze ans,
dont neuf comme caporal, équivaut toujours à la fréquentation de
— ï8 —
six classes inférieurs, et souvent de toutes les huit classes d'un lycée.
(Ordonnance royale du 21 oclobrc 1827.)
Pour ce qui regarde spécialement les écoles élémentaires, nous
avons un excellent moyen de marquer ce degré de l'enseignement
en laissant parler seulement «le règlement pourles écoles normales»
du i" octobre 1854, dont voici les articles y relatifs :
Titre III. — Enseignement de la lecture et de la langue allemande .
« Pendant tout le cours de l'instruction, la jeunesse sera assidù-
» ment exercée dans une saine lecture, telle que nous la présentent
> la Bible, l'Ami des enfants, e,t le Livre des cantiques.
» Uu enseignement spécial de la grammaire n'aura pris lieu; l'in-
» slituteur primaire sera réputé cipable d'enseigner s'il sait manier
• habilement ["abécédaire et le lin-e de lecture. » (Wenn erdie Bibel
» unddas Lesebuch richlig zu behandeln versleht).
Titre IV. — Enseignement de l'histoire et de la géographie.
« Ces deux parties de l'instruction auront pour centre commun
» notre patrie prussienne.
» Des observations et recherches soigneuses ont prouvé surabon-
» damment qu'il n'est d'aucune utilité d'enseigner, dans les écoles
. normales, l'histoire universelle « puisque cela ne sert qu'à -faire
» naître des idées peu claires et à propager les idées subversives. »
» ("Wei! dies nur Unklarheit und Verbildung erzeugt).
,< Défeise est donc faite d'enseigner dorénavant cette parlie de
. l'histoire dans les écoles normales (dans les écoles normales, bien
» entendu!); mais on prendra soin de lier à la Bible et à l'histoire
» allemande les dates historiques absolument nécessaires à savoir.
» (Allgemeine Weltgeschichte kann als ein besonderes Unlerricht-
» sfach in den Seminarien fernerhin nicht betrieben werden ; es
» sindvielmehrdieunentbehrlichsten Miltheilungen aus ihr theils
i an die biblische, theils an die deutsche Geschichte anzureihen.)
> Cet-enseignement de l'histoire allemande ne se fera qu'avec une
» considération toute particulière de l'histoire brandenbourgo-prus-
» sienne et seulement de la sorle que par l'enseignement de cette
. histoire ne seront propagées que les idées prussiennes et la con-
« naissance de nos institutions et relations prussiennes. On ne s'y oc-
» cupe.ra surtout que des personnes qui ont joué un rôle dans l'his-
» toire prussienne et de la description des hauts faits prussiens.
» (Es tel in den Seminarien zuniichst die deutsche Geschichte mit
> vorzugsweiser Berûcksichtigùng der preussischen in der Art zu
» belreiben, d'ass durch Me mimentlich kenntniss und verstàndniss
» unserer valerldndischen Einrïch fange n, Zustande, der in ihnen
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— 19 —
» hervortretenden Personen und i/jrer thaten erzielt wïrd.) (Voilà ce
> qu'appellent certains rêveurs allemands : « das aufgehen Preussens
» in Deutschland! » « l'assimilation de la Prusse à l'Allemagne. 1)
» Il doit èlre la tache principale de tout instituteur de répandre,
» et non seulement dans la génération naissante mais dans tout son
» entourage, une connaissance exacte des institutions et fastes
» prussiens et des personnes qui ont joué et qui jouent encore un
« rôle dans l'histoire prussienne, et de faire naître ainsi les senti-
» ments d'une respectueuse obéissance et d'un sincère amour pour
» le roi et toute la maison royale.
» Puis il fera fêter convenablement, par la jeunesse, les fêtes du
» roi, des princes, etc., et les jours anniversaires des victoires prus-
» siennes (die vaterlaendischen Gedenck-und Erinnerungstage) et
» aura surtout soin de faire connaître à la jeunesse les meilleures
> œuvres des poètes nationaux.
» Pour le dire en un mot : L'enseignement de la langue allemande
« et du chant doit èlre mis entièrement au service de l'enseignement
» de l'histoire nationale. (Das Unterricht in der deutsehen Sprache
» und ims Gesang Iritt hierbei in unmillelbarem Dienst des vater-
» laendischen Geschichte-Unterrichts., »
Bien que nous l'avons déjà repété maintes fois que nous donnons
tous les passages de loi textuellement, nous avons jugé bon de
donner ici aussi le texte allemand; nous avions vraiment peur, que,
vu l'ignorance des Français, sciemment et Irop longterhps entretenue
par un gouvernement corrompu, sur les affaires de l'Allemagne, on
ne nous croirait, pas autrement.
« Art. 10. Les exercices gymnasliques dans les écoles n'auront
» pas seulement pour but de fortifier le corps et d'augmenter l'agi-
» lilé corporelle, mais encore et surtout « d'habituer l'écolier à
» la précision, à la subordination et à une obéissance passive.
» (Gewôhnung an Praecision, Unterordnung und Gehorsam an's
» WorJ.) »
Après cela, chacun peut aisément se figurer les premiers et inévi-
tables résulhits de celte instruction. L'extermination de tout ensei-
gnement privé, l'entière dépendance de l'instruction publique, la
destruction de l'influence paternelle, une science toute prussienne
enfin.
Heureusement les résultats ultérieurs, la corruption générale qui
devait en résulter, ne s'est pas fait encore trop sentir dans notre
province. Noire peuple est encore tout digne de recevoir ses frères
libérateurs. Nous devons cela, d'abord au tout petit nombre de jeunes
gens (bien entendu que nous parlons des seuls nationaux) qui fré-
MMMMHMH
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— 20 —
quenlent ces écoles supérieures, tandis que la presque totalité se
destine au commerce et reçoit ?on éducation ultérieure dans les
maisons et écoles de commerce étrangères. Nous le devons à notre
vénérable clergé, qui, aussi fidèle à la religion qu'au pays, soutint
parlout le corps des instituteurs qui, eux, ne débitent ces principes
et histoire prussiens que conlraints et malgré eux. Nous le devons
surtout à nos femmes, à une soigneuse éducation maternelle; presque
toutes les jeunes filles des hautes et moyennes classes ont reçu leur
éducation dans les pensionnats de la France, de la Hollande et
surtout de la Belgique, et transmettent fidèlement celte éducation à
leurs enfants. Nous le devons enfin, quant au peuple, à ce qu'il oublie
promptement l'histoire d'école, qu'il nomme dans son langage naïf :
i l'histoire d'ours » (d'après le nom d'un margrave de Brandebourg,
Albrecht, surnommé « l'ours, » qui y joue un rôle), pour s'occuper
de celle dont Béranger parle dans ses Souvenirs du peuple :
« On parlera de sa gloire
» Sous le chaume bien longtemps,
a L'humble toit, dans cinquante ans,
» Ne connaîtra plus d'autre histoire.
CHAPITRE III
L'Administration publique dans la Prusse rhénane
(Article publié par le journal la Liberté, de Paris, novembre 186S.)
Ce n'est pas une tache facile, le lecteur peut bien nous croire, que
de décrire l'administration publique de ce pays. C'est un rouage
un peu compliqué que cette administration prussienne! Aussi, de-
vrons-nous être un peu long; mais que le lecteur se rassure : plus
ce récit sera long, plus il sera intéressant, bien entendu intéressant
seulement à cause des choses intéressants qu'il lui présentera.
Comme de raison, commençons par les fondements, bien que ce
ne soient pas les véritables bases de cet édifice, avec les Conseils
communaux enfin.
Ces Conseils sont formés, il est vrai, par scrutin, mais par* scrutin
public (à haute voix ; art. Il de la loi dite « la nouvelle » (l'annexe
du 15 mai 1856) sur une liste où les électeurs, soumis à un haut
cens, sont divisés en trois classes d'après leurs contributions di-
rectes; ils sont renouvelés tous les trois ans par moitié. Les con-
seillers élus sont soumis à la confirmation du sous-préfet (art. 58 de
la loi du 23 juillet 1845).
Indépendamment et à côté de ces Conseils communaux, il existe
des Conseils de mairie (ordinairement une mairie est composée de
plusieurs communes). Leurs membres sont élus par les conseillers
communaux et dans leur sein. Bien que, ainsi que nous l'avons dit, con-
firmés déjà une fois par le sous préfet, ils doivent être confirmés, en
cette qualité encore, une seconde fois par ledit sous-prefet (art. 110 de
ladite loi). Déduction faite des affaires purement communales dans le
■■■■■■
22
sens le plus restreint, les fonctions de ces deux Conseils sont toutes
les mêmes et l'on ne concevra pas pourquoi ils existent si ce n'est
que l'un soit particulièrement destiné à voler tout de suite ce que
l'autre hésiterait peut-être à voler.
Avec cela il faut encore considérer qu'avec les votes el les délibé-
rations de ces deux corps, i! y ait une singulière destinée et que
l'art. 86 de ladite loi porte que partout où il s'agissait des obliga-
tions des communes — et obligations sont presque tous les articles
du budget — leurs délibérations ne sont regardées que comme
« des avis. » C'est ainsi qu'on entend sous obligations de com-
munes, tout ce qui regarde la police, les secours aux pauvres, les
travaux publics, la voierie, les affaires d'école el des cultes, les
salaires, la culture des biens communaux, la construction et l'entre-
tion des prisons, les prestations militaires de toute sorte, l'entretien
et rétablissement des garnisaires et autres officiers et caporaux de
l'armée ayant douze années de service, enfin toutes les dépenses
cantonales, départementales et provinciales, et mille et mille autres
dépenses et prestations pour affaires générales de l'Etat. Dans toules
ces affaires, les délibérations de ces corps n'ont que la valeur de
« simples avis, » et il n'y a pas même grand inconvénient si les Con-
seils ne délibèrent du tout ou en nombre insuffisant, puisque, en ce
cas, la décision du sous-préfel'« complète» la délibération (art. U)
tandis qu'en même temps le préfet (art. 87), en ordonnant les pres-
tations, met les dépenses à la charge des communes, en les portant
simplement sur le budget annuel.
Si la situation de ces Conseils laisse donc à cet égard beaucoup à
désirer, on ne doit méconnaître pourtant qu'en échange ils ont
d'autres bénéfices et prérogatives propres à les consoler. C'est qu'on
a su procurer à leurs membres des appointements et rémunérations
de toute sorte, non en leur qualilé de membre du Conseil, mais à
titre « d'adjoints, chefs de village, expéditeurs des lettres, agents-
voyers, rendants et contrôleurs des caisses d'épargne, receveurs des
droits de passe, etc., etc., » voir même à titre « d'électeurs pour les
élections politiques, » et qu'on a donné à ces Conseils une prérogative
dont certes ne jouit pas d'autre Conseil municipal sur le reste de ce
globe, la prérogative de devoir délibérer aussi sur des affaires autres
que communales ; seulement (art 61) ces affaires leur doivent élre
adressées, à tout Conseil séparément et chaque fois particulièrement
par arrêt spécial du préfet.
Ces détails suffiront, je pense, pourpeindre la situation exacle de ces
Conseils, bien que nous eussions encore à parler de beaucoup d'autres
choses bien amusantes, par exemple de certaines précautions contre
— ?3 —
la non-signature des délibérations (où — ail. 17 de la nouvelle — la
signature de trois membres su(ïit), des précautions contre la non-
acceptation des mandats (où — art. 27 ibidem — il y a lieu à des
amendes p.ononcées administrativemenl), bien que nous eussions à
parler encore des amendes et autres rectilica lions — jusqu'à l'exclu-
sion même — encourues par les membres qui n'obéissent parfaite-
ment aux rappels et ordres du maire (art. Ai et 18 des lois du
5 mai 1856) ainsi que de la suppression de conseils entiers (art. 86 cl
28 ibidem). Mais passons aux fonctionnaires, qui sont mis à la tête de
ces communes, aux maires enfin.
Gomme on le pense bien, pas plus que la situation des conseillers
municipaux, celle des maires devra être appelée une situation digne
de respect. D'abord, il doit être non seulement le serviteur humble
du préfet et sous-préfet, ses supérieurs directs, mais le serviteur
également obéissant de toutes les autres administrations civiles et
militaires, régies et autres institutions du service public et des mille
fondations et institutions dites < patriotiques > (Nationaldank, Vic-
toriastiftung, Kronprinzsliilung, Bibel und Fraelat-Gesellphaften,
Kinder, « und Judcn » — Bckchrungs-Gesellschaften, etc., etc.,) aux-
quelles toutes il doit « la même obéissance passive et ponctuelle, tout
éclaircissement, les mêmes révérences et une assistance prompte et.
énergique. » (Art. 57 et 108 ibidem.)
Voici quelques détails de ses fonctions qui expliqueront sa position
mieux que la plus longue description :
Il a, entre autres, l'obligation de requérir, sur l'ordre des maîtres
des postes, les chevaux des particuliers, qui, aux termes de la loi
postale, sont obligés de les mettre à la disposition des bureaux
de poste ;
Puis, l'obligation de procurer un logement, même par billets de
quartier, aux présidents, commissaires et employés de l'assiette des
contributions directes (ordonnance ministérielle du 16 août 1861) ;
Puis l'obligation àe faire des quêtes et collectes en faveur de la fon-
dation Malizewsky pour les garnisaires prussiens (ordonnance mi-
nistérielle du 5 janvier 1855) ;
Puis, de recueillir des souscriptions sur des calendriers, brochures,
bustes et portraits du roi, du prince royal et de tous les princes et
princesses de la maison royale, au profit de ladite fondation Ma-
lizewsky (Nationaldank fur invalide kirieger);
Puis, la même obligation de faire des collectes annuelles en faveur
de l'Association pour la dislribution de bibles protestantes (Bibel
« und Fraclat-Gesellschaft (ordonnance royale du 11 novembre 18U)
et autres fondations protestantes, entre autres de l'Association pour
MM
Kjljfc.-jj.
- 24 —
la conversion des enfants juifs et autres (Verein zur Bekehrung der
Juden, Kinder-Rettungs-Anstall de Recke); »
Puis il a, en sa qualité d'agent né de « l'Association potsdamoise
pour l'épuration de la langue allemande » (Potsdamner Sprach-Reini-
gungs-Verein), non seulement à s'abstenir de toute expression fran-
çaise ou latine, mais à se servir en tout, dans ses relations publiques
aussi bien que privées, du plus pur jargon prussien ;
Il a le droit d'annuler l'exécution des délibérations, même en ma-
tière purement communale, des Conseils municipaux, seulement il
ne doit pas exercer ce droit que sous l'assentiment du sous-préfet;
mais il a l'obligation, sur la demande du préfet et sous-préfet, d'an-
nuler toute délibération désignée par l'un d'eux, sans différence que
lui-même il approuve la délibération ou non;
Puis encore, il est responsable du succès de toutes les élections
politiques; il est vrai que pour cela il a à sa disposition toules les
ressources de l'arsenal de police et l'aide de tous les fonctionnaires,
employés privilégiés, pensionnés et candidats de toute sorte, sans
parler même du moyen déjà signalé des rémunérations pécuniaires
pour les électeurs.
En échange de ces sales occupalions, il lui reste un salaire plus que
surabondant, salaire non limité et ne dépendant que de la fixation du
seul préfet, salaire qui, dans de simples mairies rurales, égale sou-
vent le traitement d'un sous-préfet français et puis une pension, cal-
culée sur ce salaire, sans que, en tout cela, les communes aient
autre chose à dire ou à faire que de payer (art. 24 et 18 des lois du
15 mai 1856). Comme on le voit, on ne travaille déjà plus pour rien
pour le roi de Prusse.
Puis, il porte le bâton haut.
Une ordonnance du 24 décembre 1841, concernant la police des
hôtelleries, lui accorde le pouvoir d'interdire aux personnes adon-
nées aux boissons spiritueuses, non seulement de prendre ces bois-
sons, mais la fréquentation des cafés, hôtelleites et autres lieux
publics, tout cela sous peine, pour l'hôtelier, de perdre immédiate-
ment la permission.
Voici un exemple comment ce pouvoir s'exerce :
Le maire d'Iserlohn, en vertu des pouvoirs qui lui sont accordes par
cetteordonnance, interdisait decette sorte toute fréquentation de lieux
publics à un homme dont il était constaté qu'il ne buvait que de l'eau
sucrée; seulement cet homme était chef du parti dit « du progrès ; »
il est vrai que ce parti est regardé dans la vieille Prusse comme l'égal
des jacobins. Iserlohn est une ville de 20,000 âmes. Qu'on en juge
après cela de ce qui se passe dans les campagnes !
IHB^HBHHH
— 25 -
Une autre ordonnance du 120 juillet 1818, pour assurer la prompte
exécution de ses ordres et arrêts, lui accorde le droit de rendre
des arrêts pénals ( Execulions-und Strafbefehle) prononçant des
peines jusqu'à 375 fr. d'amende ou un mois de prison, arrêts exécu-
toires sur le champ et sans aucun recours en justice. (Voir pour cette
matière le chapitre sur l'Ordre judiciaire.)
Encore une ordonnance du 12 janvier 1839 le charge, concurrem-
ment avec les commis d'octroi, du maintien du soi-disant contrôle
des allants et venants (Passcontrole), institution pour la fltl ris-
sure de laquelle notre Diète (7 e cl 8 e session) déclarait ne pas savoir
trouver des mots assez forts, institution qui assujettit même des
personnes qui n'ont jamais été punies, des personnes « soupçonnées»
seulement d'un commerce interlope, à la surveillance de police, à une
surveillance plus étroite et plus outrageuse que cellu sur les voleurs
et receleurs mis juridiquement sous la surveillance delà police;
Puis encore il est tout spécialement chargé des razzias annuelles
de mendiants et de vagabonds, les soi-disantes « visitalions cam-
pagnardes ; « bref, il est, en un mot, le vrai et véritable « bedelvogd »
(chasse-coquin), tel que l'appelle à si juste titre noire' Marseillaise rhé-
nane (car nous avons déjà une Marseillaise à nous autres malheu-
reux Rhénans; elle est, si je ne m'abuse, composée par M. Freiligrath
et a pour sujet le président de police à Dùsseldorf, M. de Faldera,
grand mangeur de Rhénans, qui, inculpé de malversations de toute
sorte, fut déclaré fou et employé, dit-on, sous un nom emprunté
dans la vieille Prusse; ses complices furent punis).
Ce qui caractérise surtout la situation avilie de ces fonctionnaires,
c'est qu'on ne se gène nullement de leur enlever, par simple rescrit
préfectoral, le peu de droits et pouvoirs que leur laisse la loi, entre
autres le droit de permissionner les cafés, de rendre des règlements de
police, etc., etc. Les pouvoirs qui leur sont accordés par les lois des
7 février 1835 et 11 mars 1850 leur furent retirés, c'est-à-dire soumis
à une approbation préalable du sous-préfet, par simple rescrit du
préfet. Ce fut le député, M. Contzen, maire d'Aix-la-Chapelle, qui
portait ces détails, peu connus jusqu'alors, à la tribune.
11 va sans dire que les personnes répondent aux choses et qu'on
ne choisit pour ces postes que des hommes dressés et disciplinés
des hommes tournés et virés, comme on dit ici, des hommes enfin
auxquels ces conditions ne sauraient répugner, dont on n'a pas à
craindre la moindre opposition, pas même un regard indiscret dans
la machinerie administrative, tels que lieutenants et caporaux de
l'armée et du « landwehr, » anciens commissaires de police, secré-
taires du sous-préfet, surnuméraires des administrations, etc., etc.
— 26 -
lin effet, toutes les places de maire se trouvent remplies de ces indi-
vidus, véritables piliers de caserne el machines de bureau, tous gens
sans éducation autre que celle que donne « le règlement, » qui n'ont
aucune intelligence d'une administralion régulière, aucune idée de
ce que c'est que la loi, qui ne connaissent même pas ce mot et dont
tout le savoir se résume dans celte phrase sacramentelle » ordonné
par rescrit de la régence royale très-louable et très-eslimable. » — A
propos de surnuméraires, nous avons déjà dit, dans le chapitre sur
l'instruction primaire, que pour eux un service militaire de douze
ans, dont neuf comme caporal, équivaut toujours à la fréquentation
de six el souvent de, loutes les hujt classes d'un licée. (Ordonnance
royale du 21 octobre 1827.)
Avant de monter l'échelle de gradation de la hiérarchie bureau-
cratique, il faut faire observer ici que les villes proprement dites
sont gouvernées par une autre loi ou pour mieux dire par une loi
d'une autre date (Staedte-Ordining), du 15 mai 1856, qui, dans une
autre phraséologie, dit absolument la même chose (Gemeinde-
Ordnung) du 23 juin 18-iîi, suivie de la « nouvelle » (annexe) du
15 mai 1856).
La différence entre ces deux lois dont on fait le plus grand cas est
dans l'article sur la nomination des maires, laquelle, dans les petites
villes et dans les campagnes s'exerce par le seul préfet, tandis que,
dans les grandes villes, ce pouvoir lui appartient également, mais
après deux comédies d'élection jouées par le Conseil municipal.
L'insignifiance de ces farces est démontrée déjà par les termes
propres de la loi qui (art. 32) réserve toujours au roi ou au préfet
l'approbation et, dans le cas où il fut élu, des personnes non agréées
par le gouvernement, la nomination directe et sans phrase; mais
elle se montre surtout dans la pratique où nous trouvons qu'un seul
qui doive sa nomination de la vraie élection d'un Conseil municipal :
M. Contzen, maire d'Aix-la-Chapelle, homme auquel, lors de sa
réélection (il fonctionnait déjà avant la loi de 1856) le gouvernement
ne savait faire le moindre reproche, bien que, comme Rhénan naturel
du pays et homme droit et loyal, il était une double épine dans la
chair des Prussiens. Mais il faut dire aussi qu'il eût. été difficile de
l'éloigner et de mauvaises langues prétendent môme que son appro-
bation n'était dû qu'à ce que le gouvernement, en dépit de loutes ses
peines données, n'avait réussi à trouver un Prussien qui eût eu le
courage de vouloir remplacer un tel homme dans une ville telle
qu'Aix-la-Chapelle. (Aix et Coblence passent sans contredit pour être
les perles du pays Rhénan dans le sens national.)
Cette méthode, ainsi que nous venons de dire, appelée « à la guise
■M
^^■■■hhhmhhi
— 27 —
de Cologne, » doit ce surnom, on le pense bien, à ce qu'elle y fût
mise à l'œuvre la première. La place de maire de cette ville étant
venue à vaquer et le tenancier actuel, M. Stupp, s'étant rendu im-
possible aux yeux des Prussiens, en prononçant à la tribune de la
Chambre des seigneurs prussienne le fameux : Jamais! jamais!
jamais ! (quand, dans cette Chambre, fut ventilée la question d'abolir
ici le Code Napoléon, il avait osé s'écrier « qu'il n'y aurait jamais
lieu de délibérer sur ce point et que jamais ces nains (t) ne ver-
raient-ils son abolition !»), les libéraux prussiens (c'est-à-dire les
fonctionnaires, fils de fonctionnaires, candidats-fonctionnaires, con-
cessionnaires, juifs de finance, etc., elc, le parti libéral proprement
dit est appelé ici « parti du progrès t) se hâtèrent d'ébruiter que leur
chef, M. de Bockum-Dolffs, l'un des vice-présidents de la Chambre
des députés, conseiller inlimede Sa Majesté, serait irrévocablement
destiné à remplacer M. Slupp. Qu'on se figure la consternation dans
la ville et dans le Conseil municipal (fort soupçonne d'ailleurs du
népotisme) sur cette nouvelle malheureusement trop avérée. Enfin,
au plus haut de l'agitation, le préfet fit sous la main savoir aux
membres du Conseil municipal qu'il y avait moyen de tout concilier,
en assurant la confirmation royale pour un certain M. Bachem,
catholique et ancien maire de Coblence, relégué de ses fonctions, si
le Conseil voulait montrer de la prévenance en faisant tomber l'élec-
tion sur celui-ci, mais que, en cas contraire, M. de Bockum-Dolffs
serait nommé sur le champ. Il va sans dire que le Conseil acceptait
promplement celte offre et M. Bachem fut élu unanimement. Aussi
l'élection a satisfait, sinon la ville, du moins le Conseil municipal
qui voit les fils, beaux-fils, neveux et alliés de ses membres continuer
à se partager fraternellement dans les emplois et faveurs commu-
nales, mais surtout le gouvernement : M. Bachem ayant répondu
pleinement aux attentes de la Nouvelle Gazette de Prusse qui, lors
de sa nomination, lui fit remettre en mémoire que de sa geslion
antérieure il aurait beaucoup à s'amender; » au fait, il s'est amendé
plus qu'on ne l'espérait.
Pour ceux qui croiraient de telles choses impossibles dans une
gi ande ville, nous devons faire remarquer qu'aucune ville n'est plus
propre à ces sortes d'intrigues que précisément Cologne, où la moitié
(bien entendu la moitié!) de la population se compose de Prussiens
qui s'y sont introduits de toute manière : par exemple toute l'armée
de fonctionnaires, fils de fonctionnaires, employés des chemins de
(1) << Nain, signifiant en allemand « Junkcr » ou littéralement » pauvre-hère >
est le surnom généralement adopté des membres de cette Chambre.
;3-JP
28
fer et des sociétés en actions, les familles de troupes, les pensionnes,
les concessionnaires (hôteliers, libraires, médecins, pharmaciens,
architectes, géomètres, etc., etc.,) et une foule de commerçants,
fabricants, artisans et ouvriers de toute sorte que le gouvernement
y sait attirer par toutes sortes de promesses, — et où les fonction-
naires et leur suite ont reçu Tordre express de fraterniser avec tous
les partis, même les plus avancés, partout où il peut servir à sup-
planter l'élément national et à porter en avant les Prussiens, et cela
surtout dans les élections communales. Il parait que c'est seulement
en France où l'on ignore que c'est précisément le parti soi-disant
libéral, composé, nous ne saurions assez le répéter, seul et unique-
ment de fonctionnaires, fils de fonctionnaires, candidats-fonction-
naires, concessionnaires, juifs de finance et gens de la même trempe,
parti reconnu ici et dans le reste de l'Allemagne que sous le nom
bien caractéristique de « parti des gueux » (littéralement « parti des
ayants-faim, » — Haugerleider parte), que c'est précisément, disons-
nous, ce parti que le Rhénan abhorre la plus, tandis qu'il rend vo-
lontiers au parti conservateur la justice qu'il lui laisse du moins sa
nationalité en daignant le qualifier de « demi-Français i (expression
textuelle de la Nouvelle Gazette de Prusse) et de traiter son pays en
province conquise simplement. Mais il est de notre devoir de con-
stater aussi que le vrai bourgeois de Cologne, toute la population
indigène, est restée toujours étrangère à toutes ces intrigues, qu'elle
n'a presque jamais paru sur la scène ou seulement s'il s'agissait
expressément de montrer à la canaille étrangère (« dem fremden
Paell, » ainsi que s'exprime le bourgeois de Cologne), co qu'on pen-
sait d'elle, et nous devons assurer, en notre à me et conscience,
qu'après l'expulsion prochaine de toute cette bande étrangère,
Cologne sera toujours digne d'être le chef-lieu du département de
l'Elft, sera toujours digne d'être appelée comme autrefois « une des
bonnes villes île l'empire. «
Pour revenir des fonctionnaires aux Conseils qui l'accompagnent,
disons qu'au lieu des Conseils d'arrondissement, il y a des Conseils de
cercle. Nous devons remarquer ici que, lors de la première organi-
sation déjà, les Prussiens, par un coup hardi, surent joindre adroite-
ment un changement notable au système d'administration avec une
lésion bien sensible de l'organisation judiciaire par une nouvelle
circonscription des arrondissements communaux. Au lieu des arron-
dissements existants, arrondissements correspondants aux ressorts
des tribunaux, ils formèrent par l'assemblage de deux ou trois can-
tons, en les groupant autour d'un chef-lieu convenable, des Cercles,
à la tète desquels ils placèrent un sous-préfet (Landrecth) dont les
- 29 -
fonctions répondent à peu près à ceux de nos sous-préfels et lesquels
Cercles remplaçaient dune définitivement les anciens arrondisse-
ments. En resserrant ainsi le territoire de leur activité, le gouverne-
ment pouvait raisonnablement demander d'eux des soins plus
assidus pour le détail et une surveillance plus active sur le personnel
de l'administration, et établir ainsi la direction raide, la discipline
sévère et le système de curatelle mesquine qui font le propre de
l'administration prussienne, tandis que d'autre pari cela lui permit
plus tard (13 janvier 1819) de supprimer d'un trait de plume sept
tribunaux de première instance, restés sans cohérence avec la cir-
conscription administrative, et de porter par cela à l'organisation
judiciaire un coup dont nous ferons connaître les conséquences
funestes dans le chapitre respectif.
En ce qui regarde les Conseils de Cercles, nous n'avoHs, quant à
leur organisation et composition, qu'à laisser parler notre Diète qui,
dans sa quatrième session, s'exprimait sur leur compte ainsi qu'il
suit :
« Des expériences constantes ont prouvé surabondamment que
» les intentions bienveillantes de Sa Majesté, en instituant les Conseils
» de Cercles n'ont pas eu le résultat espéré et cela surtout parce que,
» d'après une ordonnance ministérielle du 6 septembre 1828, les
» membres de ces Conseils doivent être élus par et dans le sein de
» collèges électoraux composés seulement du maire.de ses adjoints
» et des membres des Conseils communaux. Il en est résulté que les
» maires, à cause de l'influence qui leur est donnée déjà par leur
» position, ont su se faire nommer eux-mêmes et qu'ainsi plu-
» sieurs de ces Conseils ne sont composés que de ces fonctionnaires,
> qui, pour la plupart, n'étant pas naturels du pays et ne possédant
» pas de fortune, sont tout entièrement sous la dépendance du gou-
» vernement. La conséquence en a été que ces Conseils sont bien
» loin de représenter les intérêts du pays, ainsi que la loi le veut el
» que la population le désire. »
Pour nous, ajoutons seulement que toutes les délibérations, sans
exception aucune, de ces Conseils singuliers, sont sujets à l'approba-
tion du préfet (art. 23 de la loi du 13 juillet 1827) el qu'en lout ce
que regarde les charges, contributions, centimes additionnels et
prestalions imposés aux Cercles, ses délibérations ne sont regardées
que comme « des avis » (art. 3 de ladite loi). On trouvera com-
préhensible que la Diète ne pouvait jamais parvenir à avoir une.
opinion meilleure de ces Conseils et qu'elle s'opposait (6 e session) de
toutes ses forces à la proposition du gouvernement tendant à leur
^M
— 30 —
rendre la faculté de voler aussi des centimes additionnels facultatifs,
du moins tant que cette singulière composition durerait.
Malgré cela, cette faculté leur fut donnée, après la suppression de
la Diète, par une ordonnance royale du 9 avril 1846, laquelle ordon-
nance, ainsi que toutes les aulres contestées par la Diète (voir le cha-
pitre sur le Droit public) fut retirée après la révolution de février,
mais rétablie dans la période de réaction (24 mai 1853), dès quel
temps on se sert de ces Conseils, composés maintenant de maire
salariés, surtout pour faire voter de temps à temps certains dons
patriotiques dont on fait tant parade vis-à-vis de l'étranger comme
des épanchements du sens patriolique du peuple rhénan.
Une faculté particulièrement singulière de ces Conseils sans exem-
ple, c'est de devoir proposer trois candidats pour la place de sous-
préfet, il va sans dire (art. 14) que h' gouvernement n'est nullement
tenu à nommer un de ces candidats qui, par surcroît de précau-
tion, doivent encore être des candidats chefs de bureau du préfet
ou des personnes examinées et agrées auparavant par le préfet (art. 6
du règlement du 17 mars 1828). D'après l'art. 4 de ce règlement, ces
candidats devraient posséder quelque fortune en biens-fonds, dispo-
sition qui ne fut jamais observée mais éludée toujours parce que les
candidats désignés par le préfet achetèrent çà et là sans payer et à
condition de rémérer quelques biens-fonds pour les revendre immé-
diatement après l'élection, tour d'adresse assez facile mais qui, en
mettant ainsi Irpp au jour l'extrême pauvreté de ces fonctionnaires
n'était fait à les faire respecter et, tandis qu'elle leur rapportait de la
part du peuple le surnom de « choubiac » (ce qui signifie « pocbe-
vide ») fut de la part de notre Diète le sujet d'une protestation
énergique, dans laquelle elle demandait que les biens-fonds devraient
être possédés au moins cinq ans avant l'élection. Contre toute attente,
le roi daignait accéder à cette demande par un message royal du
26 mars 1839 : seulement il se réservait des dispensations de cette
disposition, lesquelles dispensations sont devenues si nombreuses
qu'à l'heure qu'il est, sur qinrante sous-préfe!s fonctionnant dans
notre province, il n'y en a pas moins de trente-cinq Prussiens, tandis
que le reste vaut bien les autres.
Quant à l'administration de ces fonctionnaires, il n'est pas besoin
de nous y arrêter, d'autant moins qu'il suffit de dire que déjà dans
la vieille Prusse, où cependant on ne peut leur reprocher la qualité
d'intrus, ils sont haïs et abhorrés au plus haut point, de sorte que là
même on ne savait la Chambre, qui de 1849 à 1856 nous gratifiait
de toutes les belles lois que nous avons fait connaître dans le chapitre
sur le Droit public, mieux qualifier que de « Chambre de sous-
MH^HM^H
— 3i —
préfets » (Landrathskammer), dénomination qui lui est restée.
Deux moyens fort efficaces, mais absolument ignorés à l'étranger,
sont surtout faits à stimuler le zèle de ces fonctionnaires :Iessoi-
disants « commissaires » et les rémunérations personnelles.
On se sert du premier moyen, surtout en affaires de contributions
directes, de sorte que les fonctions y relatives (art. 17 de la loi du
31 mai 1861) leur sont conférées non comme partie intégrante de
leurs fonctions, mais sous le litre spécial de « commissaire ou pré-
sident de l'assiette des tailles », el moyennant un salaire particulier
(rescrit du 17 mai 1851); ce qui permet ainsi de remplacer en ces
fonctions importantes les plus anciens et ceux d'entre eux qui n'au-
raient plus la Vigueur nécessaire pour bien manier le « Steuer-
schraube » (mot intraduisible et seulement connu et compréhensible
pour ceux qui ont eu le bonheur de vivre dans les États de S. M.
prussienne) par des hommes plus énergiques et plus dures. Tandis
que donc ce moyen exerce d'un côté une pression bien sensible sur
tout le personnel de l'administration et garantit ainsi une bonne
conduite, il donne en même temps une colle fameuse à l'étranger en
affublant les fonctionnaires de titres et qualifications propres à lais-
ser présumer que les fonctions respectives seraient remplies par des
particuliers.
Le second moyen ne s'emploie, ainsi que nous l'apprennent les
délibérations de notre Diète, non seulement chez les sous-préfets et
autres fonctionnaires de l'ordre administratif, mais encore dans la
magistrature, pour mieux faire goûter labeautédes lois prussiennes
et, mais avec un succès peu satisfaisant, envers le clergé, pour
exciter, si possib'e, un zèle pour l'insiruction prussienne. (Message
royal du 3 mars 1835, rescrit ministériel du 1" octobre 1851.) Pour
les maires il y a, outre ces gratifications, un jouet tout particulier :
la conféralion de la « chaîne d'or» (qui cependant doit être fournie
à frais de commune) et du titre de « maire-en-chef. »
Il est ici le lieu de faire remarquer que ce n'est pas seulement dans
ces petits moyens, mais dans tous ses actes que le gouvernement
tâche de faire des dupes : tous ses règlements, lois, écrits, etc., etc.,
portent toujours une fausse étiquette. Si, par exemple, dans les mo-
tifs d'une loi, elle est dit donnée « pour satisfaire à une nécessité
reconnue », pour accomplir un désir déjà longtemps exprimé, » ou
« pour abolir un inconvénient marqué, » on peut être sûr qu'il s'agit
toujours d'introduire un nouvel abus, de supprimer une institution
populaire ou d'abolir un droit existant.
Entre mille exemples citons un seul : la loi sur les raisons com-
merciales proposée à notre première Diète, laquelle loi, d'après l'ex-
- 32 —
posé des motifs, ne prétendait que d'abolir certains abus dans le
choix des raisons commerciales, et devait surtout empêcher de se
servir pour ces raisons de noms empruntés; ce qui donnait à notre
Diète l'occasion de prouver à l'évidence que les abus allégués n'a-
vaient jamais existé dans notre province, mais que, dans le fait, ils
devraient précisément être introduits par la loi en question et qu'il
ne s'agissait, dans toute la proposition, que d'introduire, par voie
détournée, les lois prussiennes sur ces matières.
Que le cas n'élait pas isolé, cela nous prouvent tous les actes de
notre Dièîe, où presque sur toutes les pages nous rencontrons, à
propos des propositions royales, des expressions telles que voici :
« Que les dispositions matérielles élaient en contradictions ouvertes
avec les motifs, que le but proposé ne serait jamais atteint, que le
gouvernement se trompait dans ses raisonnements, que les résul-
tats ne répoudraient aux attentes, que l'inconvénient cité n'avait
jamais existé ou ne pourrai! être aboli de la sorle, etc., etc. »
Tout particulièrement celte duperie se montre dans la rédaction
des actes de notre Diète elle-même, qui jusqu'en 1840 était confiée à
un commissaire royal (Landtagsmarschall) où la falsification fut
poussée si loin que souvent on n'apprit le vrai contenu des remon-
trances de la Diète que par le message royal qui y répondait. Les
protocoles de la première session, puis de la seconde ( B. 15), de la
quatrième (B. 22), de la cinquième (B. 11), en donnent la preuve
incontestable. Comment on procédait plus tard, où la rédaction fut
confiée à une Commission spéciale, présidée par ledit commissaire
royal, cela nous apprend une protestation de la septième ses-
sion (1842) qui se plaint simplement de la suppression des procès-
verbaux de séances entières. Aujourd'hui, où la Dièle, ce censeur
incommode des actes du gouvernement, n'existe plus, on fait dans
la rédaction des textes de loi le possible, de sorle que, à l'étranger et
même dans le reste de l'Allemagne, il y a impossibilité absolue de
saisir le fin mot d'une loi prussienne et, à plus forte raison, d'en
mesurer sa porlée.
Citons, pour revenir en même temps sur les affaires administra-
tives, un seul exemple extrait de la loi communale. Il y est dit
(art. 103) textuellement : « On prendra, dans la nomination des
maires, soin de ne nommer que des propriétaires ou d'autres per-
sonnes jouissant d'une considération générale; » malheureusement
l'article se termine par dire « si d'ailleurs ils sont capables pour la
place. » Moyennant ce post-scrit et en ne voulant point trouver dans
les communes « des personnes capables pour la place, » les préfets
ont pris la liberté de ne nommer partout que d'anciens officiers
_^^^^^^_____
H^^HMH
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— 33 -
et des commis de bureaux, n'ayant jamais eu ni domicile ou rési-
dence dans les lieux respectifs. — 11 est vrai que, dans le sens des
Prussiens, ils ont suffi à la loi; car, le lecteur, que croirait-il que
le gouvernement prussien comprend sous l'expression « des
hommes considérés? » Disons-le lout de suite, puisque autrement il
ne viendrait jamais à le deviner : Sous « hommes considérés » ou,
pour parler avec la Nouvelle Gazette de PftttM, sous « l'élile de la na-
tion » le gouvernement prussien (que le lecteur ne veuille pas rire,
mais lire plutôt le rapport de ladite gazette sur une certaine fête du
15 mai 1863) comprend — «les fonctionnaires et fils de fonction-
naires prussiens stationnant en notre province. «
Ce fut précisément ledit 15 mai que tous les fonctionnaires, du
préfet jusqu'au garde-champêtre, tous les fils de fonctionnaires,
aspirans, officiers et caporaux prussiens, fêtèrent les beaux jours
qu'ils avaient, cinquante ans durant, vécu dans les États de leur gra-
cieuse Majesté, et surtout dans ses belles provinces du Rhin. Et de
cette fête, à laquelle n'avaient participe que les fonctionnaires et
troupiers prussiens, à laquelle le roi même avait eu la faiblesse d'as-
sister pour voir comme on devait retenir le peuple par la force armée
pour l'empêcher d'exprimer ses sentiments à lui — de cette fête,
disons-nous, ledit organe de la cour avait eu le front de dire : que
c'était « l'élite du peuple » qui l'avait arrangée. Il est vrai que le
peuple désigne toute cette bande de « pack » ; peut-êlre les mots
« pack » et « élite » sont ils synonymes dans le vocabulaire prus-
sien.
El ce n'est vraiment pas un, petit corps que ce corps de fonction-
naires prussiens : il forme déjà une quote-part assez considérable
de la population. Qu'on regarde seulement les parties exclusivement
françaises de noire province, les parties détachées des départements
de la Moselle et de l'Ourlhe, et données au partage général du butin
à l'insatiabie Prussien. Dans ces contrées, où jamais aucun son alle-
mand n'a retenti, on voit déjà s'élever de nombreux temples, écoles
et presbytères allemands prolestants, n'étant destinés que pour les
fonctionnaires prussiens et leur descendance, mais tous bâtis et entre-
tenus aux dépens des communes toutes catholiques. Comme on
procède dans ces contrées, auxquelles on a pris leurs tribunaux et
autres institutions, prouve mieux que toute autre chose le fait sui-
vant qui s'est passé tout récemment. Un propriétaire des environs
d'Aix-la-Chapelle fut cité comme jury devant la Cour d'assises de
celte ville II obéit promptement à la citation, mais déclarait en même
temps que, ne sachant pas l'allemand et le débat se faisant dans
cette langue, il lui était impossible d'y assister. Cette excuse ne fut
— 34 —
pas admise et, comme il persistait dans son relus, il fut condamné à
500 francs d'amende, laquelle sentence fut confirmée encore à
l'appel.
Semblable imposture à l'adresse de l'étranger que celles mention-
nées déjà ci-contre, est dans la nomination des autorités départemen-
tales, auxquelles on a laissé le litre de « régence » (Uegierung),
dénomination faisant supposer qu'il s'agit d'une autorité collective,
bien que le peu de collectif qu'il y en avait eu soit disparu déjà long-
temps par l'ordonnance royale du 13 février 1825. Le fait est que le
président (que, pour nous mieux faire comprendre en France, nous
avons toujours designé sous le nom de « préfet >•), en sa personne ou
remplacé par l'un de ses deux chefs de division (pour l'administra-
tion proprement dite et pour les contributions), exerce outre un
droit pénal fort étendu, entièrement inconnu en France et dont nous
parlerons dans le chapitre sur VOrdre. judiciaire, non seulement
toutes les fonctions de nos préfels, mais encore toutes celles de nos
Conseils de préfecture, quelques-unes de ces dernières cependant
« après avoir pris l'avis de l'un ou de plusieurs de ses chefs de
bureau. > La circonstance, que l'on donne à ces chefs de bureau le
titre de « conseiller,» ajoute encore à raffermir la fausse opinion de
l'étranger bien que, en cela du moins, il n'y ait pas de tromperie
intentionnée, puisque dans ce pays d'ordres et litres (la Prusse n'en
compte pas moins que 95 ordres et médailles), on confère le titre de
conseiller non seulement à des fonctionnaires de tout grade jusqu'aux
percepteurs des contributions et simples copistes (anciens caporaux
de l'armée) mais à des médecins, architectes, géomètres, etc., voire
même à des commerçants. Entendons ce que dit à cet égard un des
auteurs les plus rénommés de l'Allemagne du Sud, M. Schmitt :
« Mannersen (auteur d'un livre d'histoire pour les écoles prus-
siennes), dans son histoire des Romains, ne sait mieux peindre les
qualités et talents du grand Pompée qu'en le comparant à un caporal
prussien. Si cela ne peut plus blesser le grand Pompée, il y a de
quoi flatter le caporal prussien. Quoi qu'il en soit, il est certain qu'en
Prusse le caporal n'est pas seulement beaucoup, mais tout.
» Dans aucun pays du monde le caporal se fourre davantage dans
les affaires civiles qu'en Prusse. Où l'on voit et regarde, toujours et
partout la figure rébarbative, la ligure roide et ajustée, la figure si
admirablement dressée du caporal prussien, dans les plus hautes
aussi bien que dans les plus basses régions, dans toutes les adminis-
trations, régies et exploitations.
i Toute la Prusse, de haut en bas, est parsemée de caporaux qui
fournissent le matériel le plus utile et le plus applicable de fonction-
■IHI^HB
HH^HHMH^B
— 35 —
naires et qui forment le vrai el véritable noyau de la hiérarchie
bureaucratique de la Prusse. C'est de leurs rangs que sorlent les con-
seillers intimes et non intimes, conseillers de la cour, conseillers-
chancelliers, conseillers-comptables, conseillers-régistrateurs, les
directeurs, inspecteurs, contrôleurs, percepteurs, régisseurs, les
calculateurs et toutes les diverses catégories d'employés jusqu'aux
veilleurs de nuit et piqueurs des chemins de fer. contre l'un des-
quels une injure quelconque est toujours réprimée de la manière la
plus sévère.
» Le caractère du caporal prussien est donc en tout le caractère de
la bureaucratie prussienne : la promptitude, l'obéissance, le dévoue-
ment pour le « service du roi, » une ponctualité scrupuleuse, une
brièveté militaire pour l'expédition des affaires : voilà son avers; la
présomption, la suffisance personnelle, l'orgueil de l'homme de rien,
une insolence sans bornes envers le public, une rudesse militaire
envers ses inférieurs allant de pair avec une servilité rampante
envers ses supérieurs, l'esprit bureaucratique militairement ajusté
qui ne connaît d'autre intelligence que celle de la caserne, d'autre
liberté que celle du « permis, «l'esprit de corps de garde enfin, voilà
son revers. »
A propos de caporaux, nous avons encore à constater que non seule-
ment les gens de celte catégorie (caporaux, sergents, mailres-de-
logis, elc, etc.,) mais encore tous les officiers de l'armée (à l'excep-
tion peut-être d'une douzaine de nobles) sont Prussiens do pur sang.
Jamais il ne s'est vu qu'un Rhénan, naturel du pays, ait continué le
service une heure seulement après son temps expiré; le contraire a
lieu pour les fils des fonctionnaires prussiens stationnant dans notre
province : ça s'engage et se rengage presque en totalité jusqu'à ce
que, après douze ans de service militaire, il entre dans le service
civil. Il est à remarquer que cette génération fonctionnaire, comme
par ordre, affiche toujours les qualités de Rhénan, pour faire croire
qu'il y ait en effet des Rhénans dans les rangs de l'armée et de la
bureaucratie prussienne.
Des Conseils généraux il n'y en a pas plus que des Conseils de pré-
fecture. Ainsi que nous l'avons déjà dit au chapitre sur le Droit
public, ces Conseils, décrétés par une loi du 11 mars 1850, ne sont
jamais entres en vie, puisque ladite loi ne fut d'abord pas exécutée,
puis fut suspendueet enfin abolie (24 mars 1853) avant d'èlre entrée
en vigueur. Sur l'insignifiance des attributions conférées à cet égard
à notre Diète, nous avons déjà traité dans ledit chapitre ; au reste, la
pétition n° 24 de la 7' session de notre Dièle en donne tout éclaircis-
sement désirable.
-36-
Au dessus des autorités gouvernementales il y a encore» un prési-
dent supérieur, » espèce de gouverneur général, pour toute la pro-
vince qui, exerçant dans le département de sa résidence (Coblence),
les fonctions ordinaires de préfet, a la surveillance sur les autres
préfets, puis la direction des affaires occultes (telles que les affaires
des cultes, des écoles supérieures, de la presse, de la haute police, etc.,)
et qui surtout contribue à donner à la machine administrative,
d'ailleurs un peir compliquée, l'élan, la centralisation el h direc-
tion uniforme qui caractérisent l'administration prussienne.
II est ici le lieu de nous occuper un peu de la circonscription admi-
nistrative de la province, qui, elfe aussi, a joué un rôle, et rôle assez
important, dans la prussification de notre pays.
On sait qu'un des premiers actes du Directoire (loi du 9 vendé-
miaire an iv) fut de réunir déflnilivementà la France lous les pays en
deçà du Rhin qui avaient été le domaine de la maison d'Autriche,
avec laquelle on était encore en pleine guerre, et ceux qui avaient été
cédés par la Hollande en vertu du traité de La Haye récemment con-
clu. Assurément il ne saurait être notre intention de blâmer cet acte
en lui-même, mais ce que nous ne saurions comprendre, c'est que
cette loi laissait en dehors les autres pays de la rive gauche : les
possessions des princes séculiers et ecclésiastiques qui n'étaient que
l'accessoire de ces domaines autrichiens, et celles prussiennes qui
tout récemment encore, par un traité formel (traité de Bâle du 16 srer-
minalan ni), avaient été abandonnées à la République; lesquels pays
on plaçait d'abord sous une administration centraient germinal an m)
et puis (14 brumaire an vi) sous un gouvernement provisoire, dirigé par
un commissaire du gouvernement, ce qui, tout cela, constituait une
faute grave en ce qu'il mettait une différence, différence nullement mo-
tivée ni justifiée, entre les diverses annexions et lésait véritablement
les intérêts de ces pays qui tous avaient de solides communications
établies avec ces pays autrichiens el hollandais et dont plusieurs, les
Gueldres dites prussiennes, par exemple, qui récemment encore en
avaient été forcément détachés, soupiraient après la réunion. Mais ce
n'était pas tout : cette faute une fois commise devait en entraîner
d'autres et surtout le grand inconvénient que, tandis que l'organisa-
tion des neuf départements réunis marchait assez rapidement, les
autres pays ne les suivirent qu'au gré d'une administration particu-
lière, retenue souvent par mille considérations futiles. C'était à l'œil
exercé du Premier Consul et à sa puissante initiative de découvrir et
de redresser celte faute, en prononçant (22 fructidor an vm) l'assi-
milation complète de ces pays, appelés depuis les quatre départe-
ments du Rhin, à l'organisation française. Mais si cette assimilation
— 37 — é
el la réunion définitive qui la suivit (18 ventôse an îx) remédiaient,
promptement à celle faute en ce qui concernait la marche de l'admi-
nistration, elle ne purent remédier à la circonscription vicieuse à
laquelle on ajoutait encore, par une application un peu trop rigou-
reuse, des principes qui avaient présidé à la circonscrip'ion de l'an-
cien territoire. 11 en résultait une subdivision des plus malheureuses,
qui devait blesser à la fois et les souvenirs et les intérêts de ces pays
et qui est resiée le grand, mais heureusement le seul reproche à faire
à la domination française. Ainsi que nous venons de le dire, on ima-
gina une circonscription en quatre départements aux chefs-lieux
d'Aix-la-Chapelle, Coblence, Trêves, Mayence. Rien qu'à voir ce
tableau, l'on s'apercevra déjà de la grande faute de ne pas y voir
figurer le nom célèbre de Cologne. Mais ce ne fut pas la seule. L'an-
cienne frontière autrichienne finissant tout juste aux porles d'Aix-la-
Chapelle, on était obligé de composer à ce chef-lieu, wallon par goût
et mœurs, un corps d'administrés d'essence flamande el même d'y
ajouter des territoires (Nèves et les Gueldres, par exemple), qui
n'avaient jamais eu le moindre rapport avec le nouveau chef-lieu.
Même confusion dans les autres départements, surtout dans celui du
Rhin et de laMoselle dont on fit remonter leterritoire jusqu'aux portes
de Cologne, et dans celui du Mont-Tonnerre, où les habitants duPala-
tinat ne voulaient rien avoir à démêler avec les Mayençais. Il est vrai
que, pour le moment, on ne pouvait guère agir autrement, mais tou-
jours est-il que cette circonspection vicieuse, qui eût été une faute
grave partout, constituait une faille capitale dans des pays qui, de
tout temps, s'étaient montrés si jaloux de leurs libertés et grandeurs
municipales. Encore si elle fut restée provisoire ; mais elle fût bien-
tôt définitive par la nouvelle circonscription des diocèses qui suivit
peu après (IN germinal an x) et qui créait un nouvel évéché, celui
d'Aix-la Chapelle, pour en faire disparaître deux des plus anciens :
l'archevêché de Cologne et l'évèché de Spire. Celte circonscription
aussi elait fort malheureusement choisie; si même nous ne voulons
pas blâmer le choix de la ville d'Aix-la-Chapelle, ville digne à tous
les titres du double honneur d'être le siège du pouvoir spirituel et
temporel, mais on ne devait pas laisser en dehors Cologne « la sainte
Cologne » el d'autant moins que moyennant quelques échanges de
territoire avec les départements de l'ancienne Belgique, échanges, du
reste, désirées de pari et d'autre, il y avait de quoi composer six
vasteset beaux départements auxchet's-lieaxd'Aix, Cologne, Coblence,
Trêves, Mayence et Spire et, tout en créant un nouvel évéché, on eût
pu laisser subsister les anciens sans trop sortir des principes obser-
vés dans l'ancien territoire. Tout porte à croire que ces inconvénients
3
-38 -
ne se seraient pas perpétués, car ils avaient attiré l'attention de
l'empereur, mais toujours est-il que cette malencontreuse circons-
cription passait telle quelle aux Prussiens qui se hâtèrent de la faire
disparaître, pour la remplacer par une autre qui certes n'allait pas
mieux à nos sentiments, mais qui était mieux appropriée aux inté-
rêts matériels. C'est qu'ils ajoutaient aux trois de nos départements,
qui leur étaient échoué au partage général du butin, le versant
occidental des Monts- Westphaliens, décrivant une longue et étroite
raie du territoire et formant pourle Rhin ce qu'on appelle les dépen-
dances d'un fleuve, pour en former une vaste province dite « du
Rhin, » divisée en cinq départements, auxquels |ils assignaient pour
chefs-lieux, outre Aix et Trêves, les trois principales villes situées
sur le Rhin : Cologne, Coblence et Dusseldorf. On conçoit que telles
villes sur un telle fleuve devaient avoir des relations commerciales
bien établies avec les deux rives et ainsi faire moins sentir l'incon-
vénient de cette annexe qui réunissait un territoire essenlillement
français et flamand.
Une circonstance particulière venait singulièrement en aide à dimi-
nuer cette antipathie nationale. Pour la bien peindre, il faudrait nous
avancer trop dans le détail des affaires du grand-duché deBerg,beau
et riche pays et de plus reconnaissant des bienfaits qu'il a reçu de
nous. Nous nous contentons donc de dire que ce pays s'opposait de
toutes ses forces à l'introduction des lois prussiennes et demandait a
grands cris la conservation de nos lois françaises. On concevra aisé-
ment que de tels efforts, plus que toute autre chose, étaient faits pour
nous consoler des inconvénients de cette réunion et nous devons
reconnaître qu'encore sous ce point de vue, la circonscription prus-
sienne était supérieure à la nôtre, bien qu'il nous soit pénible de
décorner ainsi le prix d'habileté à des ennemis qui en ont su tirer de
si funestes conséquences. Car ce ne fut qu'une petite partie du grand-
duché (celle ayant été ci-devant le patrimoine de la maison Palatine)
qui obtint l'accomplissement de ses vœux et conservait nos Codes fran-
çais. Elle embrassait deux petits arrondissements et formait le centre
de l'annexe dont les deux bouts furent soumis aux lois prussiennes.
C'était, en vérité, une bien profonde conception que celle de cette
réunion, car si mince que fût le territoire annexé, il obligeait les
autorités placées à la tète des départements de se familiariser avec
les lois prussiennes qu'elles étaient appelées à maintenir dans ces
annexes. C'était à la fois une souricière, une pépinière et un pied-
à-terre pour les fonctionnaires : une souricière pour ceux trouvés
en place, une pépinière pour les élèves et un pied-à-terre pour les
nouveaux arrivants de la vieille Prusse.
■MB
- 39 —
C'était d'abord une souricière : Le gouvernement français ne
s'étant servi toujours que de fonctionnaires naturels du pays, le
gouvernement prussien, bien qu'il les traitât avec une injustice su-
périeure et un arbitraire sans pareil (voir plus tard le chapitre sur
VOrdre judiciaire), ne put s'en défaire entièrement et fut obligé, bien
malgré lui, d'en employer quelques-uns. Le maniement des lois
prussiennes était donc une occasion unique pour sonder leurs dis-
positions et de s'assurer de leur souplesse : aussi sut-on bientôt
qu'il n'était chemin plus sûr pour entrer dans les bonnes grâces des
Prussiens que de savoir bien manier leurs lois, de les trouver ap-
propriées aux habitudes du pays, de les employer surtout par mé-
garde dans les parties où elles n'étaient pas en vigueur. Mais tel
était le prestige de notre incomparable administration française,
tant le gouvernement impérial avait-il su bien choisir ses agents,
que ceux-ci s'identiflèrent,pour ainsi dire.avec les lois de l'exécution
desquelles ils avaient été chargés, que, ces lois menacées, ils s'en
constituèrent à la fois les agents et les gardiens. Oui, disons-le et
répétons-le, à l'éternelle gloire de nos administrateurs et magistrats,
que pas un seul (du moins dans nos départements français) ne se fit
intimider par la force, ni gagner par des promesses, ni séduire enfin
par l'appât de l'arbitraire, si séduisant pourtant pour les adminis-
trateurs, qu'ils restèrent, au contraire, tous fidèles à nos lois, à nos
principes, en sacrifiant à la fois (et l'extirpation totale de l'élément
rhénan dans l'administration d'abord, dans la magistrature ensuite,
en est la preuve irréfragable!) et leur avenir à eux et celui de leurs
enfants.
C'était, en outre, une pépinière qui permettait aux Prussiens de
former leurs élèves dans les lieux mêmes où ils étaient destinés à
agir; c'était enfin ménager à leurs employés qui venaient déjà en.
grandes troupes, comme des sauterelles, inonder nos contrées, un
pied-à-terre, une sphèred'activité toute trouvée qui leur permit, tout
en fonctionnant d'après leurs lois, d'étudier les nôtres pour pouvoir
plus tard les éluder et les renverser plus aisément.
Même avantage que des défauts de la circonscription administra-
tive les Prussiens surent tirer des défauts de celle diocésaine, en
annonçant dès le premier jour le rétablissement de l'église métropo-
litaine de Cologne, mais en se gardant bien d'accomplir celte pro-
messe avant de l'avoir bien utilisée dans les négociations qui allaient
s'ouvrir avec la cour de Rome et qui aboutirent à un concordai,
conclu en 1821, qui rétablissait enfin cet antique siège archiépiscopal,
en lui assignant pour suffragants les évèchés de Trêves, de Munster
et de Paderborn et pour territoire les provinces du Rhin, de la
HH
■ ■ ; -
— 40 —
Westphalie et de la Saxe. Tandis que ce rétablissement assurait ainsi
un triomphe moral au gouvernement, la subdivision des évèchés lui
procurait certains avantages pour ainsi dire pratiques et d'une
grande importance. C'est qu'il se souciait fort peu de faire corres-
pondre les limites départementales à celles diocésaines, mais beau-
coup de composer chaque évéché partie de l'ancien territoire fran-
çais, et partie de l'accrue prussienne, à quelles fins il alla même
jusqu'à départir plusieurs cercles de nos départements à l'évèche de
Munster (en Westphalie). Il est vrai que cette circonscription ne
plaisait guère mieux que la précédente; la différence était seulement
que notre circonscription avait déplu, toit en servant mal nos inté-
rêts, tandis que celle prussienne, tout en déplaisant également, élait
fort atttttiageu.se à leurs intérêts à eux, car cetle réunion de terri-
toire d'une législation differeule obligeai! non-seulement les chancel-
leries et les chapitres de travailler d'après les lois prussiennes, mais
permettait encore au gouvernement de demander, et cela sans
paraître d'exiger tiop, aux jeunes ecclésiastiques la connaissance du
droit ecclésiastique, par rapporta l'Allemagne et aux adeptes du pro-
fessorat, l'élude des institutions prussiennes, d'élever enfin, en un
mot, l'accrue du clergé à la guise allemande. (Voir pour cela le cha-
pitre sur les Affaireb il ex cullfs.)
Espérons donc que la nouvelle circonscription franc aise ne tombe
dans les nu'iurs défauts et jetons encore un coup d'œil sur le déve-
loppement historique de l'administration, laquelle a marché toujours
de mal en pis. De notre magnifique organisation française, présen-
tant un Code bien réglé et garantissant l'indépendance des com-
munes, nous sommes venus, à travers l'arbitraire prussien, à !a loi
de 1845, dans laquelle on pouvait encore découvrir quelques traces
de l'influence de notre Diète, en ce que, par exemple, elle maintenait
l'élection secrète des conseillers municipaux et limitait du moins le
salaire qu'elle, accordait aux maires, pour arriver enfin aux lois de
1856, abolissant cetle limitation et introduisant une élection à haute
voix, détruisant de plus les dernières traces d'une indépendance des
communes même en des affaires purement communales et cela dans
un plus haut degré que dans la vieille Prusse elle-même, comme cela
démontre à l'évidence une pétition du Conseil municipal d'Aix-la-Cha-
pelle on date du 13 février 1861, laquelle pétition protestait encore
contre un abus, qu'en France on croira humainement impossible,
contre l'abus, introduit en 1822, aboli en 1848, mais rétabli par la
loi de 1856, que tous les fonctionnaires et employés prussiens, bien
que payant intégralement leurs contributions directes, ne payent que
la moitié des centimes additionnels communaux et autres, qui font
m
41 —
l'accessoire de ces contributions et qui exempte même le clergé en-
tièrement de ces centimes additionnels.
Elle protestait également contre les charges énormes (souvent
jusqu'à 200 p. c. des contributions directes) imposées aux communes
par ordre des préfets et sous-préfets. On ne pourra se faire une idée
du fardeau de ces centimes additionnels avant d'avoir vu, dans un
des chapitres suivants, la hauteur des contributions directes dont ils
sont l'accessoire. Pour aujourd'hui, nous nous bornons à signaler
un nouveau petit moyen pour tromper le public, en constatant que
ce qui s'appelle ici « centimes additionnels communaux » renferme
aussi toutes les charges de cercles et presque toutes les charges pro-
vinciales et départementales (pour les maisons de fous , dépôts
de mendicité, écoles pour les sourds -muets, éeoles des sages-
femmes, etc.), puis encore diverses charges générales (prestations
pour le service militaire, frais de l'inslruction supérieure, etc. , etc.),
tandis que ce qu'on appelle « centimes additionnels de département^
« comprend principalement des charges générales pures et simples
(frais de justice, remises des percepteurs, frais de l'assiette des
tailles, non-valeurs, frais de cadastre, construction des grandes
routes, etc., etc.). »
Elle s'élevait encore surtout contre un abus exercé trop longtemps,
de retrancher, par des ordonnances ministérielles, le peu des droits
accordés par la loi, procédé employé de tout temps et auquel nous
devons l'abolissement, pièce à pièce, de notre organisation adminis-
nistivitive française. Cet abus reposait sur une ordonnance royale du
4 décembre 1826, où il avait été dit, pour ainsi dire en passant, « que
les lois administratives françaises, bien que n'abolies par aucune
loi, ne seraient censées être en vigueur que tant elles n'étaient pas
en contradiction avec les armes et maximes prussiennes. » En suite
de cette ordonnance, les préfets ne surent mieux faire que de dé-
terrer à toute occasion d'anciennes ordonnances et instructions
prussiennes (quelques-uns allaient même jusqu'aux temps des an-
ciens margraves de Brandebourg) et de les incorporer comme
maximes et armes prussiennes dans notre législation française. Il
s'ensuivit une telle confusion que, pour nous servir des termes
propres de notre Diète « personne ne savait plus ce qui était loi ou
non, » et qui nous le laissait presque regarder comme un bonheur
d'obtenir enfin en 1845 une loi municipale un peu codifiée, bien que
composée d'après des principes prussiens. Toutes les interventions
et protestations de notre Diète contre un tel état de choses restèrent
toujours infructueuses, ainsi
dans le chapitre sur YOrdref
verrons plus amplement
— 42 —
Nous ne devons clore ce chapitre sans avoir signalé le traitement
indigne réservé à nos anciens soldats de l'empire, traitement qui
eût dû déjà longtemps provoquer l'intervention du gouvernement
impérial, et d'autant plus qu'il est ici le secret de Polichinelle qu'en
ce point aussi, il a été la dupe de celui prussien. C'est que ce gou-
vernement s'est fait toujours un mérite auprès de celui français,
d'avoir pour les vétérans français les mêmes soins que pour ceux
prussiens. Mais rien n'est plus faux et le vrai est qu'un crédit de
187,500 francs est porté sur le budget de l'Etat pour subvenir aux
besoins de tous les vétérans, français aussi bien que prussiens ; mais
qu'un autre crédit de 562,500 francs, porté sur le même budjet, n'est
destiné que pour les vétérans prussiens exclusivement. (Ordonnances
royales du H août 1852 et du 10 mars 1863.) Tant pour la législa-
tion, dans la pratique on a su l'arranger que de ce petit fonds général
de 187,500 francs puisent toujours 49 vétérans prussiens sur 1 vé-
téran français, bergois, saxon et polonais.
Tout le monde d'ailleurs est d'accord ici que le gouvernement
prussien ne fait ce peu, ou pour mieux dire ce rien, que pour em-
pêcher le gouvernement français de s'occuper lui-même de ses vété-
rans, puisque cela pourrait contribuer à ranimer les anciens sou-
venirs.
Combien le gouvernement prussien craint des soins de ce genre,
cela s'est démontré lors de l'apparition du décret impérial du 5 août
1854, concernant la liquidation des legs accordés par l'empereur
Napoléon I er aux officiers et soldats de ses armées. A la première
nouvelle qu'un tel décret allait paraître, il fit déjà publier par les
autorités et feuilles locales que les vétérans français qui voudraient
profiter de ces dons, devraient se présenter devant les sous-préfets
et maires, qui, en qualité des commissaires de « l'institution natio-
nale pour les anciens soldats, » étaient chargés de défendre leurs
intérêts. Sous la main, il donnait à ces sous-préfets et maires, par
une circulaire du 18 août 1854, l'ordre « de recevoir les requêtes des
anciens militaires, de les déconseiller de démarches directes et de
leur intimer d'altendre tranquillement ce que le gouvernement du
roi allait faire pour eux. » Pour rassurer les plus impatients, il y
était encore recommandé « de leur faire comprendre que, d'après des
informations sûres recueillies par la légation de Prusse à Paris, il
n'avait été rien fait encore pour l'exécution du décret en question et
qu'il pourrait durer encore quelque temps avant que la distribution
se fasse. »
Comme on le pense bien, il ne s'ensuivit rien et lorsque plus tard
les pauvres trompés s'adressèrent directement au gouvernement
H|M|iH^H|M
ma
— 43 —
impérial, il leur fit à tous la réponse uniforme « que le délai fixé pour
la production des requêtes était expiré, que les listes étaient closes et
que la distribution des fonds avait déjà eu lieu, i
Ayant déjà parlé, dans le chapitre sur le Droit public, des ma-
nœuvres du gouvernement prussien envers les membres de la Légion
d'honneur, il ne "este ici que de faire connaître ses procédés à l'égard
de la distribution des médailles de Sainte-Hélène.
Gomme nous connaissons bien quelles sont les déclarations faites
par le gouvernement prussien au gouvernement impérial, nous
n'avons qu'à rendre, textuellement et sans commentaire, un rescrit
du président supérieur de la province, persuadé que la haute impor-
tance de ce document vis-à-vis des explications du gouvernement
prussien sur cette affaire ne lui échappera pas. Ce rescrit, le voilà :
• Par ordre de Son Excellence le ministre de l'intérieur, j'ai l'hon-
» neur de vous inviter — vu ^ caractère impatriotique de ces de-
> mandes — de vous opposer par tous voies et moyens, à ce que les
» anciens militaires français formulent des pièces et demandes pour
» obtenir la médaille de Sainte-Hélène. Je vous recommande surtout
» de bien instruire les autorités inférieures de ne délivrer aucuns cer-
» tificats ou attestations à cet effet. Puis j'ai l'honneur de vous faire
» remarquer que l'acceptation et le port des ordres et médailles étran-
i gers, et par conséquent aussi des ordres et médailles français, sans
• la permission expresse et spéciale de Sa Majesté, est défendu et que
i les contrevenants encourraient les peines portées par l'art. 105 du
» Code pénal prussien.
» Coblence, le 7 octobre 1857.
» Le président supérieur de la province,
» Pour le président, le délégué :
» (Signé) : Keilwettek.
» A Monsieur Sebald, président de la régence royale, à Trêves. Con-
fidentiellement. N° 5326. »
Mais que nos vétérans se rassurent. Pour eux, aussi bien que pour
nous tous, il se fera jour bientôt; il viendra le jour où le monarque
assis sur le trône de notre belle France se souviendra des paroles de
son début, où il se souviendra « que c'était son grand aïeul qui avait
* préféré quitter le trône que de laisser un seul village français sous
» les mains des barbares. »
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CHAPITRE IV
Les contributions publiques % dans la Prnsse rhénane
Les contributions prussiennes, les directes aussi bien que les in-
directes, suivent dans leur extérieur l'itinéraire des contributions
françaises. Mais en les regardant un peu de plus près, toute simili-
tude va disparaître et Ton y trouve, au lieu de la sagesse et de
l'équité qui, en France, président à l'imposition, une injustice criante
dans la répartition et l'arbitraire le plus absolu dans l'estimation;
au lieu d'un contingent, l'infini (les facultés de chaque contribuable);
au lieu de Conseils de préfecture, Conseils généraux de département
ou d'arrondissement décidant des réclamations, le préfet ou le direc-
teur des contributions; au lieu de marques distinctives pour la coti-
sation, le bon plaisir du préfet ou pis encore. Examinons donc une
à une ces contributions et les lois qui les régissent.
La contribution foncière est la seule qui soit contingentée et pour
cela la moins onéreuse de toutes, bien qu'elle monte à H, 3 p. c. du
produit net. Augmentée considérablement depuis 1 8 1 s, elle fut
réunie, en 1828, en un seul contingent pour les provinces du Rhin
et de Westphalie, contingent qui présentait à peu près le double de
ce que payaient, proportion gardée, les vieilles provinces de la Prusse.
Celte injustice, surtout en vue de l'augmentation démesurée des
autres contributions, excita de vives murmures de la population et
de fortes remontrances de la part de notre Diète, mais ce qui porta
l'irritation au comble, ce fut l'immunité dont jouissait, en récom-
pense des services rendus dans les guerres contre la France, la
■M
- 45 —
noblesse brandebourgeoise qui ne payait 'de contribution foncière
du tout. Cependant toutes les protestations et réclamations furent
inutiles : seulement une députation de notre Diète, partie pour Berlin
à la nouvelle de la révolution de février, apportait-elle pleine et
parfaite promesse de remédure, mais l'ordre rétabli, la promesse fut
i oubliée. C'est au gouvernement actuel, qui sait tirer parti de tout,
même des plaintes, qu'il fui réservé de donner raison à ces plaintes
éternelles, ce qu'il lit d'une manière aussi singulière qu'efticace,
c'est-à-dire en augmentant encore la contribution. Pour cela il pro-
posa d'abord une estimation nouvelle du produit net, puis l'abolisse-
meul des immunités, eulin une augmentation du contingent général
de l'Étal à raison du surcroit de revenu qu'on espérait tirer de cet
abolissement d'immunités. Au moyen d'un comité central d'estima-
tion et de plusieurs sub-eomités, dont les membres, nommés moitié
plus un par le ministre des finances, étaient royalement rétribués
(loi du 21 mai 1861 art. 13 et U), il lui fut chose facile de prouver
que la province du Rhin, au lieu de payer trop, avait toujours payé
trop peu, et de porter, tout en diminuant le taux de 11, 3 p. c. à
8, 7 p. c, la contribution foncière de notre province de 5,970,000 fr.
en 1861 à 6,243,270 fr. en 1865 (terme de la nouvelle assiette). Quant
à la noblesse brandebourgeoise, on la soumit, il est rrai, à la con-
tribution, mais on prit soin de l'indemniser en bons portant intérêt
de vingt fois la cote annuelle (3 e loi du 21 mai 1861, art. 2) de sorte
qu'aujourd'hui elle paye tout simplement la contribution avec les
intérêts de celte indemnité.
A propos d'immunités, nous devons remarquer que ce n'était pas
seulement dans la vieille Prusse que se passaient de ces abus; dans
notre province mémo, on cherchait à transplanter quelque chose de
semblable. Analogue aux lois françaises, on lève en sus de ces con-
tributions 2 p. c. pour non-valeurs, secours en cas de grêle,
d'épizoolie, etc., etc. Bientôt on lit la remarque que non seulement
les secours ne furent distribués que rarement, mais qu'il n'y avait
guère de non-valeurs du tout, puisque les percepteurs pressaient les
contribuables jusqu'à la dernière goutte de sang. En recherchant,
on trouva que ces fonds, à je ne sais plus lequel titre, se vidèrent
dans les poches «de quelques nobles, créatures du gouvernement.
Notre Diète, dans sa session de 1843, après avoir constaté le fait, en
fit l'objet d'une protestation solennelle, en demandant el le compte
et la restitution. A l'honneur de notre noblesse rhénane, il doit être
dit que ce fut elle qui diligenla le plus cette protestation. Mais compte
et restitution furent également refusés. (Message royal du 30 dé-
cembre 1843.)
- 4 6-
La contribution des portes et fenêtres suivit les destinées de celle
foncière. Réunie comme celle-ci en un seul contingent pour lesdites
provinces du Rhin et de la Westphalie, elle ne devait s'élever qu'à
raison des nouvelles bâtisses et reconstructions. Quoique ce contin-
gent, calculé également sur le pied de 11, 3 p. c, fût considérable-
ment augmenté en 1828, par suite d'une nouvelle estimation du
produit net, le gouvernement ne le voyait qu'avec dépit et profitait
de l'occasion, c'esl-à-dire du règlement de la contribution foncière,
pour le remplacer par l'arbitraire. En conséquence, une seconde ioi
du 21 mai 1861 établit cette contribution sur les bases suivantes :
Plus de contingent; la contribution basée, ni sur le nombre des
portes et. fenêtres, ni sur celui des étages, mais seulement sur le pro-
duit net, littéralement produit de l'exploitation, et fixée au vingt-
cinquième de ce produit net pour les maisons d'habitation et au
cinquantième pour les établissements industriels. Il faut en convenir
que c'est une bien modique imposition pour une imposition prus-
sienne que celle de i et 2 p. c; aussi les organes du gouvernement
ne se firent pas faute de parler grandement d'une contribution à
lever d'après un bien petit pied sur d'immenses richesse natio-
nales, etc., etc., d'une contribution-modèle enfin. En effet, le taux
était bien modique, seulement voyons le mode d'évaluer le pro-
duit net.
Ce produit net, aux termes de la loi (art. 6), ne doit représenter
autre chose que la « valeur locative, » sans déduction aucune, ni pour
dépérissement, ni pour frais d'entretien, de réparation ou autres,
et cette valeur locative est évaluée d'abord par un commissaire du
gouvernement nommé par le ministre, puis par un comité d'estima-
tion présidé par ledit commissaire (art. 9). Si le comité ne croit pas
devoir accepter l'estimation du commissaire, celui-ci doit en référer
au préfet (1) qui, à son tour, fait l'estimation. Cette estimation du
préfet, le comité est tenu de l'accepter et de la reconnaître comme
la sienne propre (art. 10). Quant aux réclamations des particuliers,
le préfet en décide également et afin qu'il n'en soit pas trop embar-
(I) Nous (lovons remarquer ici qu'en disant « le préfet, » nous nous écartons
du style curial prussien qui dit « la régence; » mais comme cette régence
prussienne, ainsi que nous l'avons vu au chapitre sur l' Administration, ne
représente autre chose que le préfet (appelé ici a président ») purement au
« lé préfet ayant entendu l'avis de l'un ou de plusieurs de ses chefs de bureau »
et en affaires de contributions particulièrement « le préfet ayant entendu ou
étant représenté par le directeur des contributions » (appelé ici « chef de divi-
sion >>), nous nous croyons autorisé de désigner cette institution prussienne non
par son nom, mais d'après son essence.
■
— 47 —
rassé, la loi (art. H) a pris soin d'impuler aux réclamants déchus les
frais des visites domiciliaires du comité, ce qui, du reste, n'est pas
une bagatelle, le commissaire aussi bien que les membres des comités
étant tous royalement rétribués.
Mais singulière dérision des choses humaines ! cette loi, si impé-
rieusement arrangée pour ne faire aucun bruit fâcheux, n'en fit que
plus. En procédant à l'évaluation, les comités estimaient, il est vrai,
à qui mieux mieux : quelques-uns évaluaient un produit net élevé de
quelques 100 à 150 p. c, d'autres allaient jusqu'à 200 p. c, mais si
bien qu'ils opérassent, impossibilité absolue d'atteindre le chiffre
des commissaires qui, eux, étaient allés jusqu'à 300 et 330 p. c. et
qui, en référant aux préfets, eurent la douce consolation de voir
leurs estimations pleinement approuvées. Jusqu'ici tout avait marché
assez bien, mais lorsqu'on demandait aux comités de reconnaître ces
évaluations préfectorales, cettedemande fut trouvée un peu Irop forte ;
plusieurs comités osaient même protester contre ces évaluations
sans exemple. Quelques commissaires mal avisés, s'interposant en
médiateurs, vinrent proposer aux préfets de se passer de cette for-
malité bien inutile à leurs yeux, mais on leur fit remarquer qu'en ce
cas tout le prestige de l'estimation allait disparaître. Force leur fut
donc de faire do nouveaux efforts pour essuyer de nouveaux refus,
lorsqu'au plus beau milieu de cette bagarre éclata encore la nouvelle
que le ministre des finances n'avait même pas approuvé l'évaluation
de plusieurs préfets, notamment celle du préfet de Cologne, et qu'il
avait ordonné « d'augmenter » encore le produit net de quelques
100 p. c. 11 est vrai qu'il n'existe dans la loi aucune dispositions qui
demandât son approbation : tout au plus, l'article 12 lui accorde le
droit de redresser des erreurs. Mais peut-être était-ce une erreur que
d'augmenter le produit net de 300 à 350 p. c. seulement au lieu de
le porter tout de suite à 500? D'ailleurs comment marquer les bornes
de compétence à un ministre à devise : « La force prime le droit? »
Toujours est-il que les préfets, ne s'arrêtant pas le moins du monde
à de vaines scrupules, firent comme il leur fut ordonné, et que la con-
tribution, qui en 1818 n'avait été que de 522,000 francs, fut portée —
et cela malgré la considérable dimimution du taux de 11, 3 à 4 et
2 p. c. — de 1,887,000 francs en 1861, à 2,182,000 francs en 1865
(terme de la nouvelle assiette). Personne ne pense d'ailleurs que cette
fixation de la contribution au vingt-cinquième et cinquantième soit
le dernier mot du gouvernement, et nul ne doute que, une fois cette
prodigieuse augmentation du produit net un peu oubliée, il ne fasse
un nouvel appel à < de si immenses facu'lés des propriétaires, » et
cette fois en augmentant le taux de la contribution.
-48 -
Le lois prussiennes sur la contribution des patentes se distinguent
à leur avantage de celle française en ce qu'elles ne connaissent que
des droits fixes, mais qui s'élèvent :
A 270 fr. et clans plusieurs départements à 360 fr. pour tout mar-
chand en gros ou fabricant; puis, selon la population, à 40, 60 ou
90 fr. pour les détaillistes, enfin de 15 à 90 fr. pour les autres
contribuables; encore, et lout contraire à la loi française, tout paten-
table qui exerce, et même dans un seul et même local, plusieurs
métiers ou industries ou le cumule avec un commerce quelconque,
paye-l-il le droit pour chaque commerce, métier ou industrie sépa-
rément. Toutefois ce n'est pas dans l'importance de ces droits, ni
dans leur double, triple, etc., emploi qu'il faut chercher les princi-
pales rigueurs de ces lois qui se cachent surtout sous un mécanisme
de cotisation des plus ingénieux. — D'abord les marchands en gros
et les fabricant par département, les marchands en demi-gros,
détaillistes, artisans et autres patentables par ville ou par canton, se
réunissent en communautés de cotisation nommées « classes » . La
loi impose à toute classe « le droit fixe multiplié par le nombre de
ses membres », et lui laissj le soin de répartir, par des répartiteurs
choisis, le contingent ainsi formé (art. 26 de la loi du 30 mai 1820 et
art. 9 de celle du 19 juillet 1861). Tout cela serait beau et bon s'il y
avait seulement des marques distinctives pour qualifier les diverses
classes des patentables ou que les répartiteurs eux-mêmes en lissent
le classement. Mais voilà précisément ce qui manque : d'abord
il n'y a guère de ces marques distinctives (la seule, pour les mar-
chands en gros, est aux termes de la loi du 19 juillet 1861, art. 2
«un commerce de grande étendue,») et puis, c'est au seul préfet
de former ces communautés, et, en cas de contestation, de décider
de cette formation (art. H de la loi du 19 juillet 1861). Année par
année, il pèche ainsi sur les rôles des classes inférieures les plus
imposées pour les porter sur ceux des classessuperieures.il est vrai
que les répartiteurs en peuvent former des remontrances, mais, ainsi
que nous venons de le dire, c'est le préfet qui en décide; encore c'est
aux seuls répartiteurs que ce droit de vaines remontrances est ac-
cordé; les imposés eux-mêmes ne l'ont pas, mais en échange ont un
droit plu.5 utile à leurs intérêts individuels, le droit de pouvoir
réclamer contre la cote que leur impose la nouvelle communauté.
Or, comme c'est encore la préfet qui décide également de ces récla-
mations des particuliers et en décide encore aux dépens des commu-
nautés (car les remises qu'il accorde sont réimposées l'année pro-
chaine), il s'empressera de redresser les griefs des répartiteurs à
leur égard et d'autant plus qu'il oblige par cela même les commu-
— 49 —
nautés de hausser les cotes de leurs plus imposés à eux, lesquels
plus-imposés deviennent de la sorte toujours plus aptes de passera
leur tour dans une classe supérieure. Comme on voit, la loi sur la
contribution des patentes n'est autre chose que l'applcalion du vieil
axiome : «Un clou chasse l'aulre».
Autre avantage de cette loi, qui va jusqu'à frapper les rémouleurs
ambulants et chilToniersau crochet, c'est la facilité avec laquelle elle
permet d'imposer ces mèm^s droits élevés aux commerçants de la
moindre importance tels que marchands d'oeufs, filles aux légumes,
marchands sans échoppes, elc, sans les trop grever individuellement.
Le préfet, en les porlant sur les rôles, met, ainsi que nous l'avons
expliqué, ces droits à lachargedes communautés qui s'en arrangeront
comme elles le pourront; puis, usant île son droit de décider des
réclamations, il allège, le cas échéant, et toujours aux dépens des
communautés, ces petites gens qui, n'ayant aucune idée de ce méca-
nisme diabolique, bénissent ainsi souvent la main qui les a frappés.
Il va sans dire que dans un tel état de choses les fonctions de répar-
titeur ne sont point recherchées; aussi la loi a-t-elle pris soin d'en
ordonner l'acceptation et de punir les répartiteurs en défaut par des
amendes prononcées par voie administrative (art, 29 de la loi du
30 mai 1820; arrêté du préfet de Trêves du 16 juillet 1825).
Le recouvrement de la conlribulion des patentes est poursuivi
comme celui des autres contributions : non seulement le patentable
en retard est-il exécuté à outrance, mais ses métiers et jusqu'à ses
outils sont saisis et séquestrés (art. 35 de la loi du 30 mai 1820).
Un prélèvement pour les communes, c'estchose tout à fait inconnue
en Prusse où ce sont au contraire les communes qui supportent mille
dépenses générales qui devraient être à la charge de l'État, abus qui
fut l'objet de vives remontrances de notre Diète dans presque toutes
ses sessions.
Le résultat de celte législation prussiene enfin est une contribution
des patentes portée de 880,000 fr. en 1819 à 2,955,000 fr. en 1866.
Passons ensuite à la descriplion de la contribution personnelle et
mobilière, ce chef-d'œuvre de la législation camé raie de la Prusse et
que le député M. Reichensperger, du haut de la tribune, qualifiait
si bien de « vis sans écrou ».
Réglée d'abord par la loi du 30mail820etdepuisparcelledu l"mai
1851, suivie de deux instructions du 8 dudit mois, elle est assise:
1° sur le produit des biens-fonds, même de ceux situés à l'étranger
(art. 17 de la loi); 2° sur le produit des maisons d'habitation, même
sur celui fictif (art. 28 de la loi) de la maison qu'occupe le proprié-
taire lui-même; 3° sur le produit de tout commerce, industrie, pro-
I
- 50 —
fession ou exploitation ; 4" sur les rentes, salaires et gages ; 5° sur les
tètes — à deux francs par tête tant masculine que féminine — poul-
ies classes ouvrières, enfin 6° sur le luxe, en ce qu'il ne fait différence
(art. 1 1 C de l'instruction , II) si le revenu supposé existe en effet ou non.
Ne présentant donc pour les trois premiers chefs qu'un double em-
ploi des contributions foncières, des portes et fenêtres etdes patentes,
elle frappe non seulement les naturels, mais aussi les étrangers et
même ceux d'entre eux qui n'ont jamais mis le pied dans ce fortuné
pays s'ils y possèdent des terres ou participent à des établissements
industriels pour plus de 4,000 fr. de revenu (art. 18 de la loi); elle va
même jusqu'à frapper les morts si le revenu n'est pas viager (art. 36
ibidem).
En disant qu'elle frappe les classes ouvrières de 2 fr. par tête, nous
eussions dû ajouter que la loi n'entend appartenir à la classe ouvrière
que lesouvrierspropement dits, les valetsde ferme et leseompagnons
et apprentis de métiers (art. 7 de la loi), encore si le compagnon reçoit
une haute-paye, si ledomesliqueest àlOOfr. de gages pas an, ouquele
journalier possède un arpent de terre, ils payent 4, 8 ou 12 fr. Les
artisans n'y sont pas compris non plus : ils payent 15 à 40 fr., mais
à la moindre apparence de quelque aisance , s'ils possèdent, par
exemple, une maison ou quelques arpents de terre, le cote est de
45 à 90 fr. ; ceux seulement « dont il est bien constaté qu'ils ne sau-
raient vivre qu'en s'attachant à un autre ménage 1 (nous parlons
d'après les textes mêmes de l'instruction I, art. 5, § 6) « payent, par
exemption, 12 fr. »
C'est le seul préfet (ou plutôt le directeur des contributions qui
signe en son nom) qui fixe la cote de tout contribuable et décide des
réclamations. Pour la fixation des cotes au-dessus de 100 fr., il est
entouré de deux répartiteurs salariés et placés sous la discipline du
gouvernement (art. 31 et 34 de la loi).- Il leur communique le revenu
qu'il a fait rechercher par ses agents et les invite de prononcer la
cote. Comme celle cote est invariablemement fixée à 3 p. c. du
revenu (art. 19 de la loi), leurs fonctions sont à peu près celles d'un
maître d'arithmétique; aussi, ainsi qu'ajoute naïvement l'instruc-
tion (II, art. 14), « leurs opérations n'occuperont-elles beaucoup de
temps, s
Pour les cotes au-dessous de 100 fr, il y a lieu à trois évaluations
préalables faites séparément par le maire, par le sous-préfet et par
le maire assisté de deux répartiteurs pris par les membres de ces
Conseils doublement confirmés dont nous avons fait la connaissance
dans le chapitre sur V Administration publique. C'est à leur égard que
— Si —
déjà notre Diète, dans sa première session (1826), s'exprimait ainsi
qu'il suit :
« Ce n'est pas seulement sur l'élévation de cette contribution que
partent les plaintes, c'est surtout l'arbitraire intolérable avec lequel
elle est répartie qui excite les plaintes les plus amères. Les rôles
dressés par les répartiteurs communaux sont changés et corrigés
sans aucun motif; on ne tient aucun compte de leurs évaluations et
les livre ainsi à l'indignation publique. Beaucoup d'entre eux ont déjà
dû se démettre de leurs fonctions pour n'être plus exposés aux hainesde
leurs concitoyens, lésés et frustrés dans leur nom, mais sans qu'il y
ait eu de leur faute. »
Mais c'était le beau temps alors; aujourd'hui on procède tout
autrement encore, mais infiniment plus habilement ; on n'admet plus
que des « propositions » (art. 9 de l'instr. I) et des « propositions eD
augmentation » seulement, et un arrêté du préfet d'Aix (du 24 avril
1853), tout en déclarant les matrices des maire et sous-préfet comme
base unique de la fixation, défend expressément aux répartiteurs de
proposer des remises ou réductions « puisque ainsi ils s'arrogeraient
un droit que la loi ne leur accordait pas, le droit de critiquer les fixa-
tions préfectorales de l'année précédente. » (Textuellement.)
L'évaluation du revenu, dont aucune déduction n'est admise,
pas même celle pour les intérêts des dettes passives, «à moins que ces
dettes n'exerçassent une influence déprimante et visible sur les
facultés du contribuable » (instruction I, art. 6), se fait par tous voies
et-moyens, entre autres (art. 23 de la loi) par la compulsion des actes
notariés et des registres des conservateurs d'hypothèques ; non con-
tent de cela, le ministre dans son instruction (I, art. 5,§ 7) indique
un moyen d'un autre genre mais tout infaillible pour découvrir le
revenu, en ordonnant de porter simplement la cote d'un contribuable
d'une classe inférieure à une supérieure, de cotiser surtout à 120 fr.
ceux qui jusqu'alors n'auraient payé que 90 fr. et, comme elle ajoute
avec une naïveté touchante que nous lui connaissons déjà (II, c. 11)
d'user «dans les provinces du Rhin, » de cette même cote de 120 fr.
pour tous ceux qui n'auraient payé que 72 fr. Ce ministre d'ailleurs
s'appelait M. de Rabe, ce qui en français signifie « le corbeau. »
La voie de réclamation est réglée ainsi qu'il suit (art. 26 de la loi) :
Une fois la réclamation présentée, le préfet invite le réclamant de re-
présenter son « état de fortune ; » cet état est comparé aux notices et
renseignements déjà recueillis, ensuite on procède à de nouvelles in-
formations, en entendant des témoins « même par serment. » Après
cela le préfet fait.au réclamant» des questions et demandes précisées »
sur « le détail » de sa fortune et le somme de produire ses titres de
mamm^m^Êmmmm
— 52 —
propriété, ses baux, obligations et jusqu'à ses livres de commerce.
Si le réclamant n'obtempère, sa réclamation est déchue. Enfin le
préfet peut lui déférer le serment à lui-même sur la justesse de ses
déclarations. « en lui prescrivant mot à mot et la formule et la leneur
du serment; » si le réclamant refuse, sa réclamation est encore dé-
chue. En cas qu'il ail fait des déclarations incompItMes, sa cote est
quintuplée (art, 23 ibidem).
Avec une telle législation, on ne s'étonnera pas que celle conlribu.
tion, qui dans les places à enceinte encore, est remplacée en partie
(pour les cotes au dessous de 90 fr.) par un octroi for/ eVcc, perçu
pour le compte de l'Étal sur la mouture el le bétail, que cette contri-
bution, disons-nous, qui, sous le régime des lois française 1 : en 1819
n'ébit que de 1,267,000 fr. put monter successivement jusqu'à
4,700,000 fr. en 1838, et de 4,900.000 fr. en 1851, à 11,600,000 fr.
en 1865. (Dès l'an 1829 jusqu'à 1850, les principales rigueurs de ladite
loi furent suspendues pour notre province, comme nous le verrons
plus tard.)
Sur toutes ces contributions, on lève encore 13 à 29 centime* addi-
tionncU pour dépenses départementales et des centimes communaux
jusqu'à 200 fr. sur la seule autorisation du préfet (règlement du
31 juillet 1856, § 7). Ainsi que nous l'avons dit là-haut, bonne partie
de ces centimes communaux est encore absorbée par des charges gé-
nérales, telles que fournitures et surtout fourniture de chevaux pour
l'armée, habillement des recrues! subventions aux familles des
troupes, frais des écoles secondaires, écoles élémentaires, écoles de
sages-femmes et de sourds-muets, dépôts de mendicité, prisons,
maisons de fous, frais de la réprésention nationale et même de
l'assiette des contributions, etc., etc., (lois et ordonnances rovales des
21 avril 1821, 13 juillet 1827, 17 septembre et 8 novembre 1831,
24 février 1834, 22 décembre 1836, 31 décembre 1842, 30 dé-
cembre 1843, 27 février et 12 novembre 1850, 21 mai 1861, 26 mars
1868, etc., etc.)
Quant aux contributions indirectes dont on estime la quote-part de
notre province (y compris le produit des riches mines de Sarreville,
qui, à elles seules, rapportent 4,875,000 fr. par an, et le produit de
l'octroi sur la mouture dont nous avons parlé là-haut et dont ht quote-
part pour notre province est de 2,100,000 fr.) à plus de 90 millions de
francs, elles sont assises sur tous les objets qui en sont frappés en
France : sur les tabacs, le sel, les sucres, boissons, charbons, cartes
à jouer, calendriers, gazettes, etc., etc. Elles pèsent principalement
sur le sel et les sucres. Le mode de perception surtout est onéreux
(voir les actes de notre Diète, l rc session) et ajoute encore à l'impor-
■^^■■iH
— 53 —
lance de ces droits. Les droits d'entrée sur les denrées coloniales sont
également assez élevés; le régime du timbre est insupportable au plus
haut point. En ce moment, on propose encore une augmentation
considérable des droits sur le tabac et les boissons, notamment du
droit établi sur les bières.
Avant de terminer ce récit, deux mots encore sur la légalité de ces
loi- et règlements :
Pour cela il faut remonter aux lois fondamentales du pays où nous
trouvons, dans la patente de prise en possession du 5 avril 1815, ces
paroles royales adressées aux Rhénans: « Je ne vous surchargerai pas
de contributions, les impôts ne seront réglés qu'avecvotre concours; »
puis la patente réglant l'organisation politique du pays, du 12 mai
même année, patente qui nous promettait une Diète particulière de
.province, facteur de législation ; puis enfin à la patente du 5 juin 1823
qui, établissant cette Diète de province, disait textuellement (art. 3)
« que toutes les lois valables pour la province seulement et toules
autres qui concerneraient les personnes, les propriétés et les impôts
seraient soumises à sa délibération. »
Or, malgré ces promesses royales bien formelles et consignées
dans les lois les plus sacrées, toules les lois precilées sur les contri-
butions ont été émanées sans le concours de cetle Dièle et maintenues
malgré ses protestations les plus solennelles qui toutes furent infruc-
tueuses, une seule fois exceptée, sur ses instances réitérées, à elle
obtint enfin l'ordonnance royale du 1" décembre 1828. qui fixait la
contribution personnelle et mobilière, laquelle sous l'arbitraire de la
loi du 30 mai 1820 était montée de 1,267,000 fr.en 1819 à 4,700,000 fr.
en 1828, à celte dernière somme, comme contingent fixe qui ne dc-
vail s'élever qu'à raison de l'accroissement de la population et des
feux.
Ce succès fut d'autant plus précieux parce que non seulement il pré-
servait, pendant vingt-trois ans, notre province des ravages de l'arbi-
traire, mais qu'd permettait encore de démontrer par des chiffres, la
plus sù'-e de toutes les preuves, les effets effrayants de l'arbitraire
prussien; car si nous avons vu, sous le régime de l'arbitraire, cette
contribution monter dans les huit ans, de 1820 à 1828, de 1,267,000 fr.
à 4,700,000 fr. et dans les quinze ans, de 1851 à 1865, de 4,900,000 fr.
à 11,600,000 fr., nous la voyons, sous le régime d'une loi juste et
calculée sur un pied convenable, dans les vingt-deux ans, de 1829
à 1850, ne monter que de 4,700,000 fr. à 4,900,000 fr.
A l'heure qu'il est, notre Diète n'existe plus. Suspendue depuis 1845,
elle fut abolie en 1850 (voir notre chapitre sur le Droit public,
sans même cire entendue et par des moyens d'une légalité pareille à
■^■■^^■■^^■1
— 54 —
celle qui fit émaner les lois de contributions. Son seul succès.l'ordon
nance royale du 1" décembre 1828, disparut immédiatement après
(«* mai 1851).
Mais pourquoi nous arrêter à de vaines considérations de droit;
tout prouve dans l'esprit de ces lois que ce n'est pas une domination
légale qu'exerce ici la Prusse, mais une occupation militaire infini-
ment prolongée.
■■B^^M
■Mi
CHAPITRE V
Le commerce et l'industrie dans la Prusse rhénane
Vers les dernières années du premier Empire, le commerce rhénan
avait pris une étendue qui rappelait les beaux temps de la « Hansa »
et de la « Confédération des villes rhénanes. » Ce qu'en ces temps-ci
avait produit le commerce maritime, le commerce de terre, la libre
navigation intérieure, l'affranchissement du sol le produisirent alors:
Cologne et Mayence allaient devenir de nouveau les grands entre-
pôts du centre et du sud de l'Allemagne. Mais si le commerce ne fut
que remis dans son ancienne splendeur, l'induslrierhénane, bienque
florissanle auparavant, reçut un développement inouï qu'elle n'a-
vait jamais eu el qu'elle n'acquérera plus jamais. Les fabriques de
drap et d'aiguilles, les teinlureries, les tisseranderies, les tanneries
absorbèrent toutes les mains d'ouvriers en payant pour la main-
d'œuvre le triple de ce qu'on paye aujourd'hui ; les riches plaines du
Rhin ne purent suffire aux blés consumés par nos distilleries. Ce
pays qui se connaissait pourtant en aisance, en acquit orne dont les
récits seront qualifiés contes de fée par nos petits-neveux, aisance qui
cependant tomba promplement sous les pas des Prussiens comme la
piaule lombe sous le souffle du siroc.
Les fabricants de draps s'en ressentirent les premiers : n'a> ant plus
d'autre débouché que le marché de la Prusse, pays pauvre s'il en
fut, ils devaient presque renoncer à la fabrication des draps fins,
tandis que pour le gros drap, ils rencontrèrent la concurrence
acharnée de la Silésie qui avait la laine à portée de la main et <!e plus,
pour le débit, l'avantage des distances et d'un trajet par eau. Ces
- 5 6-
fabriques entraînèrent dans leur chute les teintureries ; maîtres,
ingénieurs, ouvriers s'expatriaient pour la plupart. (Voir la procla-
mation du gouverneur général prussien du 20 septembre 1814.) Les
distilleries les suivirent de près ; fort affligées déjà par les années de
disette 1816 et 1817, elles furent complètement ruinées par les con-
tributions prussiennes sur les consommations (1S19). Jamais on n'a
vu une industrie plus rapidement monter ni être plus promptement
détruite que l'industrie rhénane ne monta sous la domination fran-
çaise et ne tomba sous l'occupation prussienne.
La formation de. « l'Association des douanes allemandes » (183-i) et
l'invention des chemins de fer devaient surtout profiter à une pro-
vince qui nbondaiten fabriques, ateliers et métiers vides (l'exportation
avait été défendue par un arrêté du 20 septembre 1814) et en ouvriers
exercés maissans travail. Elles nous profitèrent, en effet, les premières
années : le commerce et l'industrie commençaient à revivre et à
donner lieu à de belles espérances, lorsque le gouvernement, qui ne
fit de ces grandes affaires de commerce qu'une affaire de politique,
anéantit ces prémices renaissantes de prospérité en défendant pour
notre proWncela construction de ces chemins de fer.
En effet, notre province, il y a cinq ans, n'était-elle non seulement
presque eniièrement dépourvue de ce puissant moyen de transport
(il n'y avait que deux chemins de fer courant parallèlement d'Aix à
Cologne et Dusseldorf avec embranchements sur Bonne etEibcrl'eld),
mais manquait de tout débouche, à l'excepiion d'un seul conduisant
tout .directement et à travers les sables arides de la vieille Prusse
vers les frontières russes, chemin de fer fort propre à jeter promp-
tement les Russes dans le cœur de l'Allemagne, mais de presque
aucune utilité pour noire commerce. Encore ce chemin de fer prus-
sien fut-il construit à grands frais sur les fonds de l'État, tandis que
noire peu de chemins de fer (à part un court espace, servant de dé-
bouché aux mines, domaines de l'Etal de Sarreville) fut construit par
nos seuls industriels auxquels, ainsi que nous venons de le dire, on
refusait même, sous de prétendues considérations militaires, la per-
mission d'utiliser ces chemins de fer, auxquels on refusait de se
créer ces débouchés nécessaires (vers la Hollande, dont les chemins
de fer s'arrêtaient tout juste à la frontière prussienne, vers le centre
et le sud de l'Allemagne, où l'on ne pouvait pénétrer que par un dé-
tour de 100 à 150 lieues) à leurs propres frais. Celte Association de
douanes tant désirée, et dont noire province eût dû profiter de pré-
férence, lui était donc à peu près inutile et ne lui apportait autre
chose que la concurrence de la Saxe dans les colonnades. Ce ne fut
que dans les dernières années, après avoir laissé à l'industrie prus-
- 57 -
sienne vingt-cinq ans pour s'établir solidement dans ces contrées,
que le gouvernement accordait enfin ces concessions si nécessaires,
et aussitôt on vit s'élever ces chemins de fer comme par enchante-
ment, fant sont grands l'esprit mercantile du Rhénan et la néces-
sité où il se trouve de demander tout au commerce, tout autre avenir
lui étant fermé.
Ce n'est plus notre Code français qui régit ce commerce, mais
deux Codes prussiens : « l'ordonnance de change » du 6 janvier 1849
et le « Code de commerce allemand i du 24 juin 1861 , ces deux rem-
plaçant le premier livre de notre Code de commerce. Le premier
diffère du nôtre en ce qu'il accorde à tout le monde, commerçant
ou non, le droit d'émettre des papiers de commerce ;-il ne demande
pas qu'une lettre de change soit tirée d'un lieu sur un autre, ni que
la valeur reçue y soit énoncée; it permet l'endossement en blanc et
se contente de la seule signature en signe d'acceptation.
Il n'est vraiment pas nécessaire de démontrer longuement les suites
fâcheuses que devait entraîner une telle législation; il suffit de dire
que les friponneries commises par certains juifs de finance de Co-
logne au préjudice des cultivateurs des environs dépassent l'imagi-
nation et que, grâce à cette ordonnance, grâce peut-être aussi à une
indulgence blâmable, ces friponneries restèrent impunies ou tout au
plus couvertes par la fuite.
Le Code de commerce prussien est d'une étendue effrayante : au
lieu des 109 articles du nôtre qu'il remplace, il en présente 431, dont
plusieurs pourraient passer pour des chapitres entiers; aussi con-
tient-il des règlements de police pour tout le personnel du commerce.
Comme le lecteur a certes assez de tous les règlements prussiens
qui se ressemblent toujours comme deux gouttes d'eau et qui, ici,
ne tendent qu'à mettre ses employés sous un droit exceptionnel,
nous croyons les pouvoirs passer sous silence et cela d'autant plus
que, tour les qualifier, il suffit de dire qu'ils admettent la punition
corporelle des apprentis par les maître et cela « sans que le maitre
ne soit même tenu d'énoncer en justice les motifs de la correction
Infligée » (décision de la Cour de cassation du 7 avril 1864). Faisons
donc seulement connaître les points principaux dans lesquels ce Code
diffère du nôtre.
D'abord, dans le chapitre sur les livres de commerce, il écarte
complètement le principe français des dates certaines, le laissant au
gré des commerçants de copier leurs inventaires, dispensant de la
tenue d'un livre-journal et du visa annuel des autres livres, ne de-
mandant pas non plus que les livres de commerce soient paraphés,
dispensant encore de tout enregistrement des actes de commerce
- 5 8-
(sans toutefois dispenser du droit d'enregistrement qui, en Prusse,
se lève toujours indépendamment de l'enregistrement au moyen d'un
timbre proportionnel).
Il renverse encore le système de procuration, en établissant des
procuristes permanents, divisés en classes, et le système dé l'arbi-
trage pour If s contestations entre associés; il permet aux courtiers
et agents de change de recevoir et de payer, il restreint pour les com-
pagnies de chemins de fer la garantie pour la perte ou l'avarie des
marchandises, il établit, outre les associations en commandite pro-
prement dites, une espèce d'association en commandite secrète, où
le commandataire (stille Gesellschafter) n'est tenu à aucune inscrip-
tion, déposition d'acles ou publication (qu'on ne veuille confondre
ces associations avec celles « commerciales en participation > dont
parlent les articles il, 50 de notre Code français, lesquelles associa-
tions existent séparément).
De plus, ce Code détache complètement la raison de la personne du
tenant; il permet la venle ou la cession de la raison, sans même de-
mander que l'acquéreur ajoute son nom ou autre signe indiquant la
séparation ; si entîn le Code français tend à rapprocher la législation
commerciale à celle civile, le Code prussien s'efforce de créer tout un
droit spécial du commerce ; il est, à cet égard, le digne complément
de la fameuse ordonnance royale du 9 février 1849, qui nous apportait
le rétablissement des < maîtrises et jurandes, » le rétablissement de
cette vénérable institution du moyen-àge que déjà le peuplé rhénan
avait renversée à rébellion ouverte, longtemps avant que la Révo-
lution française avait disposé les esprits à la révolte.
Il y avait déjà longtemps que le gouvernement caressait l'heureuse
idée de les rétablir; il en avait déjà jeté lés premiers fondements
dans la loi du 17 janvier 1845, qui devait remplacer le décret impérial
du 15 octobre 1 810 et qui assujettissait non seulement les manufactures
et ateliers répandant une odeur incommode, mais tous ceux qui
n'étaient pas précisément de la calégorie des ateliers de. tailleurs ou
cordonniers, à une permission préalable du préfet, laquelle permis-
sion ne s'aeqitiert qu'après force. révisions préparatoires, révisions
d'exécution et révisions d'exploitation ce qui, tout cela pour ceu*
qui se trouvent dans les bonnes grâces du gouvernement, se résout
en force droits de timbre, droits casuels et frais de transporl pour
MM. les ingénieurs des ponts-et- chaussées, tous, aussi bien que les
autres fonctionnaires et employés, Prussiens de pur sang. Elle assu-
jette également à même permission, droits OJfsœls et à un examen
théorique et pratique les maçons, charpentiers, tailleurs de pierre;
fontainiers, couvreurs et ramoneurs ; elle établit enfin déjà les corp»
— 59 -
de métiers pour les autres industries et professions, sans cependant
rendre déjà l'entrée obligatoire, ce qui fut réservé à ladite ordon-
nance royale du 9 février 1849 qui, peut-être la seule de ce genre
en toute l'Europe, mérile à tous les titres une mention toute parti-
culière :
D'abord après avoir aboli les chambres consultatives des arts et
métiers pour établir à leur lieu et place une sorte de maîtrisa géné-
rale, elle accorde aux « corps de métiers, » dans lesquels elle oblige
d'entrer tous les arlisans, sans exception aucune, toutes les anciennes
attribut ions : examen obligatoire pour toui maître ou compagnon
(art. -23), la discipline sur les compagnons et apprentis (art. 45), le
contrôle sur les caisses de prévoyance, elc, etc. ; puis elle renouvelle
les anciennes restrictions de commerce, en défendant l'exercice si-
multané de plusieurs professions (art. 29), en prohibant les magasins
d'habits, meubles et autres objets confectionnés par jes. mains des
artisans (art. 3î), eu prohibant également la vente publique de ces
objets (art. 69), en interdisant aux fabricants d'occuper des compa-
gnons (art. 31) et aux compagnons de travailler pour d'autres maîtres
que ceux de leur profession respective (art. 48); elle établit encore
avec une égale exactitude les anciens « usages de métier, » en faisant
dépendre la récption des compagnons et maîtres de diverses condi-
tions d'âge et d'exercice; et afin que rien ne manque, elle rappelle
même les « compagnons, maisons, moussues (Allgesellen) » pour faire
des statuts sur le compagnonnage (art. 46),
Elle brille (ou plutôt .elle brillait, car ses plus pures beautés vien-
nent de lui élre enlevées par la loi dite « d'urgence» du 12 juillet
dernier) surtout par la clarté avec laquelle elle précise les attribu-
tions et privilèges des divers métiers et professions, en défendan',
par exemple, à tout boulanger de faire des pains d'épice sans la per-
mission de la jurande des confiseurs, et à tout forgeron de faire in
clou sans celle de la jurande des clouliers, mais en permettant, par
exemption, qu'un cordonnier fasse des pantoufles (art. 23 et 26).
Toute contravention à ces défenses, prohibitions et obligations est
punie d'amendes jusqu'à 750 francs ou d'un emprisonnement jus-
qu'à trois mois, et, en cas de récidive, par l'interdiction de l'exer-
cice de tout commerce ou profession (art. 74).
Cette ordonnance ne laisse donc, en apparence, rien à délirer aux
plus chauds partisans des prohibitions commerciales, toutefois ce
n'est pas en faveur de ces vieilles niaiseries que la Prusse les rap-
pelle en vie el l'ordonnauce, vue au jour, n'est autre chose qu'une
mesure de police pour attirer, au moyen de privilèges, concessions
et permissions, des Prussiens en des provinces peu sûres et pour
I
tQ&i
ï\
— 60 —
lenir en sujétion celle nombreuse classe de petits bourgeois ; car par
une rédaction des plus adroites, elle a su conférer l'essentiel, c'e>t-
à-dire les défenses et les dispensions, à la police locale et aux pré-
fets, pour ne laisser aux « maîtres-égards » que l'honneur de la dé-
nonciation, système qui fut plus, amplement développé par les lois
du 3 avril et du 15 mai 1854,qui mettent les présidents des jurandes
et les membres des jurys examinaleurs à la nomination des préfets
et des sous-préfets. Malgré les rigueurs de l'ordonnance, tout bon
Prussien peut donc, au moyen de permissions particulières ou tacites
de la police, faire à peu près tout ce qu'il veut, et pour lui tout se
résout en quelques droits casuels au profit des commissaires de
police, présidents nés de tout jury examinateur, tandis que pour les
naturels du pays, l'ordonnance est exécutée à la lettre ou reste sus-
pendue sur leurs tètes en glaive de Damoclès.
La pression que le gouvernement exerce sur les grandes associa-
tions anonymes va très-loin. Avant d'accorder l'autorisation, il sait
toujours faire mille difficultés qui, par l'intermédiaire de ses agents,
se changent promptement en propositions d'assurer la nomination
de quelques descendants de Prussiens comme administrateurs, di-
recteurs, gérants, ingénieurs, etc., ce qui se fait toujours sous l'a
formule sacramentelle « afin que le gouvernement trouve dans le
personnel de l'administration les garanties, de la menlion desquelles
il dispense dans l'acte constitutif de la Société pour ne pas trop gêner
son libre mouvement. » Il demande aux employés des houillères le
serment de fidélité au roi et aux intérêts de l'État et le droit de les
agréer (loi du 21 janvier 1857). Les caisses d'épargne sont dans les
rapports les plus intimes avec le gouvernement, rapports tenus se-
crets avec le plus grand soin. A ces caisses se joignent toujours des
caisses d'emprunt (Kreisdarlehns Cassen) d'où les créatures du gou-
vernement tirent les fonds dont ils ont besoin pour leurs entreprises
commerciales ou autres. Ces rapports s'entretiennent surtout par
l'entremise de la « Compagnie royale du commerce marilime, t éta-
blissement curieux et sur le compte duquel notre Diète (1845) s'ex-
primait ainsi qu'il suit :
« Institut singulier, qui de sa première organisation et destination
n'a gardé que le nom ; institut qui se soustrait de tout contrôle et
comptabilité, bien qu'il ne fonctionne qu'avec des deniers publics,
produit de nos contributions ; institut qui s'immisce en des emprises
de tout genre, qui fait trafic de toutes choses, négocie toutes sortes
de valeurs, qui met le crédit et les fonds de l'Etat à la disposition des
uns et qui l'associe même à des entreprises de particuliers ; et tout
■w
61 —
eela sans plan an-été, sans règles fixes el reconnues, sans principe,
d'utilité générale.
• Si l'on vent, à la rigueur, admettre que l'État doive s'intéresser
à des établissements qui ont pour but la fabrication d'objets de ré-
gies et de la défense nationale, rien ne saurait justifier le fait que
l'Etat, au préjudice de quelques-uns de ses citoyens, fasse concur-
rence aux autres dans la fabrication d'objets d'un débit général, tels
que papiers, cotonnades, porcelaines, etc., et pour le commerce des
grains, des laines et de toutes sortes de marchandises. S'il se peut
concevoir que l'Élat favorise le commerce internationnal, rien ne
saurait expliquer qu'il s'immisce en des achats et ventes faits à l'ex-
térieur et pour l'intérieur seulement.
» L'opinion publique s'élève donc av»c raison contre un système
qui, sans aucun but utile ou même avoué, favorise les uns au détri-
ment des autres, contre un système qui est en opposition avec lotîtes
les idées du temps, et en contradiction ouverte avec les principes
d'une adminislration régulière, contre un institut qui, sans une
raison commerciale, n'est autre chose qu'une institution publique,
qu'une branche de l'administration publique, qu'une simple section
du ministère des finances enfin. »
Quant aux compagnies d'assurances, le gouvernement fait toujours
dépendre l'autorisation de la distribution d'une partie des bénéfices
à des œuvres charitables et utiles. Comme cette distribution se fait
sous la surveillance du gouvernement par des administrateurs par
lui agréés, ces œuvres charitables et utiles se changent toujours en
monuments, écoles et fêtes prussiens et en suppléments pour l'habil-
lement et la nourriture de l'armée prussienne (à quelle fin la Com-
pagnie dite « d'Aix et Munich » fournissait, en 1864 seulement,
37,500 francs) ; ce qui certes était une œuvre charitable, attendu que
le soldat prussien est on ne peut plus pauvrement habillé et pitoya-
blement nourri. (Voir les actes de noire Diète, 8 e session.) Pour les
chemins de fer, les exigences vont encore plus loin : le gouverne-
ment fait dépendre l'autorisation simplement de ce qu'on lui cède
l'administration et l'exploitation toutes entières. A part le seul che-
min de fer dit « rhénan » (d'Aix à Cologne avec embranchements)
qui fut construit avant que le gouvernement eût conçu cette heu-
reuse idée, tous les chemins de fer de notre province sont dans les
mains du gouvernement et tous ses employés — des directeurs jus-
qu'aux piqueurs — Prussiens de pur sang. En échange de ces con-
descendances, lesdites associations obtiennent pleine et parfaite au-
torisation d'exploiter le public à qui mieux mieux et, en effet, les
tarifs de ces chemins de fer et les primes d'assurances ne sont en
HH^HH
— 62 —
au^un rapport ni avec les bénéfices que fonl ces sociétés ni avec les
exigences du commerce.
Le service de ces chemins de fer se fait d'ailleurs assez régulière-
ment, mais la brutalité des employés, presque tous officiers et capo.-
raux de l'armée, révolte tout le monde. Le gouvernenienl gère encore
pour son propre compte le service des malles-posles, qui mange tout
le produit des postes aux lettres, dans le seul but d'y occuper une
armée de Prussiens. Quant à ce dernier service, nous avons déjà dit
dans un autre endroit que les directeurs des postes aux lettres ont
reçu l'ordre de dénoncer, trimestre par trimestre, tous les abonnés de
journaux étrangers à la haute police; pour le reste, nous n'avons qu'à
renvoyer à l'affaire de Landeck ; c'est tout dire.
11 est impossible de peindre la dureté du régime sous lequel souffre
la presse sans traiier en même temps du commun des lo.s pénales
auxquelles elle est soumise également. Pour l'objet qui nous occupe
dans ce chapitre, il suffit d'ailleurs de dire qu'il pèse surtout sur les
libraires et imprimeurs, qui sont responsables comme complices des
auteurs (art. 3-i de la loi du l~2 mai 1851) et auxquels, à la seconde
condamnation, la permission est retirée (art. 5-i ibidem). Mais même
si l'éditeur et l'imprimeur voulaient courir ce risque, il est littérale-
ment impossible de publier la moindre chose qui ne soil à la conve-
nance du gouvernement, puisque tout ouvrage de moins de vingt
feuille» d'impression doit être déposé 24 heures avant l'édition à ia
police (art. 5 ibidem). Indépendamment de ces moyens que lui donne
la loi, le gouvernement opère encore plus efficacement par des
moyens sourds, en faisant acheter des raisons existantes pour ses
agents, en imposant aux libraires et imprimeurs ses agents a titre
d'associé, de procuriste, etc., etc.; en conférant des autorisations, à
pleines mains, à la descendance des Prussiens, race mille fois plus à
craindre que les Prussiens eux-mêmes, gens capables à toute bas-
sesse, à toute infamie et qui, hues et flétris dès leur jeunesse, ont
pour ainsi dire sucé aveo le lait de la mère la haine contre les Rhé-
nans. Personne ne peut d'ailleurs se faire une idée des ravages que
eause cet emploi simultané de moyens sourds et publics qui aussi se
pratique envers les cafés, hôtelleries, cabinets de lecture, etc., dont
grand nombre a passé déjà dans des mains de Prussiens. Les permis-
sions ne se donnent qu'après un examen rigoureux sur les personnes,
les locaux et les besoins des lieux et doivent être renouvelées annuel-
lement. (Loi du 7 février 1835.) Tout cafeiier, etc., qui permettrait
quelque couversalion peu favorable au gouvernement, perdrait infail-
liblement sa permission par la seule voie du non-renouvellement,
contre lequel il n'y a non seulement aucun recours, mais dont l'admi-
-6 3 -
nisf ration n'est même pas lénu d'énoncer les causes (instruclion du.
Uaoùt 18i5).
Le régime des douanes est un des plus insupportables. Les vexa-
tions pour de simples formalités (dont cependant le grand commerce
s'en ressent peu puisque, dans les centres du commerce, ces forma-
lités sont remplies par des commissionnaires spéciaux à ce destinés),
dépassent l'imagination et annihilent complètement tout commerce
desvilles limitrophes de part et d'autre, ce qui constitue précisé-
ment l'accomplissement des vœux les plus intimes du gouvernement,
qui n'en veut nullement aux objets de commerce, mais aux idées et
aux nouvelles qui s'importent par les allées el venues continuelles
auxquelles ce commerce de voisinage donne lieu. Toute contraven-
tion à ces formalités, dont il y en a que personne ne saurait prévoir,
est punie sévèrement, même s'il n'y a aucune idée de fraude.
Un des plus grands soins du gouvernement fut toujours de faire
régner son système de monnaies, poids et mesures ; plusieurs ordon-
nances de la dernière rigueur constatent la résistance qu'il y rencon-
trait et aujourd'hui encore ses pièces de monnaie ne sont connues
que sous des épithètes injurieuses.
Les routes sont barrées par des droits de passage assez élevés; les
communications par eau sont aussi négligées que l'étaient les chemins
defer.Dès le premier jourde l'occupation prussienne, le gouvernement,
tout contraire à la loi du 30 floréal an x, disposait des octrois de-
navigation, qu'il augmentait encore considérablement, comme d'une
simple contribution indirecte. Il ne fit non seulement rien, absolument
rien, pour la navigation, mais lit aussitôt continuer les grands tra-
vaux de canalisation destinés à joindre le Rhin avec la Meuse, sans
cependant cesser de faire lever les centimes additionnels qui devaient
former la part contributive de nos départements. Il en était de même
de quelques digues commencées ou projetées sous l'Empire : le gou-
vernement ne fit pas exécuter les travaux, mais toujours lever les
centimes additionnels imposés à cet effet aux départements. L'entre-
tien de la Raër, rivière rapide et demandant beaucoup de frais d'en-
tretien, qui par le décret du 10 brumaire an xiv, avait clé mis à la
charge de l'État, fut, et cela par simple rescrit du ministre des
finances, mis à la charge des communes (1817). Les actes de notre
Diète sont remplis de protestations des plus vives contre ces procédés.
Elles furent toutes infructueuses : En vain demande-t-elle la réduc-
tion de ces octrois sur le taux légal ; en vain demande-t-elle l'emploi
de ces octrois aux besoins de la navigation, notamment pour la con-
struction d'un port de sûreté absolument nécessaire à Coblence; en
valu démontra-t-elle que les fleuves de la vielle Prusse étaient tout
— 64 —
autrement, favorisés et presque exempts de l'octroi ; en vain demandâ-
t-elle encore la continuation des travaux de canalisation ; en vain,
enfin, sur le refus d'exécuter ces travaux, la restitution des centimes
additionnels levés à cet effet par le trésor 'prussien. Seulement en
réponse à toutes ces demandes, le gouvernement, par le cotisé de la
dernière session de notre Diète (184.5), lorsque toute contestation sur
le montant fut désormais impossible, mettait-il à la disposition de ses
autorités administratives la somme de 225,000 francs (le vingtième
de ce qu'on demandait) pour être appliquée à la confection des
grandes routes.
Mais ce n'étaient pas seulement les octrois de navigation que le
gouvernement convertit ainsi en simple contribution; il en disposa
également des redevances des mines qui, aux termes de noire loi du
21 avril 1810, devaient être employées aux besoins métallurgiques,
ce qui donna lieu à une protestation solennelle de notre Diète, en 1845,
protestation aussi infructueuse que toutes les autres.
On peut bien le penser qu'avec le Code de commerce devaient dis-
paraître tôt ou tard toutes les autres lois commerciales. La loi sur
les mines aussi vient de disparaître (1865) malgré une promesse du
roi, donnée en 1843, de la conserver intacte. La loi sur les ch imbres
de commerce avait déjà disparu auparavant et était remplacée par
une loi du 11 février 1848 qui leur ôtait le droit de surveillance et le
règlement des comptes des travaux de commerce et de navigation,
droits que, du reste, elles n'avaient jamais été à même d'exercer,
attendu qu'il n'y avait pas eu de ces travaux sous l'occupation prus-
sienne. Le cas que le gouvernement fait d'ailleurs des chambres de
commerce ne saurait se peindre mieux que par la réponse du mi-
nistre de commerce à la Chambre d'Aix (avril 1865). Cette Chambre
ayant demandé à ce ministre, alors en tournée, la permission de se
présenter pour l'éclairer sur les besoins du commerce, le ministre
lui fit répondre que ce n'était pas à elle, mais au préfet de l'éclairer
sur les affaires de commerce; réponse qui, si originale qu'elle puisse
paraître, n'était cependant autre chose que le cliché exact d'une
réponse du roi (message royal du 30 décembre 1843) à une demande
de notre Diète en érection d'un ministère de commerce, réponse qui
porte textuellement : « que c'était seulement à ses volontés suprêmes
d'aviser comment il voulait être éclairé sur les vrais besoins du
commerce, i
Le troisième et quatrième livre de notre Code de commerce sont
encore débouts, mais qui en voudrait conclure qu'ils aient trouvé
grâce dans les yeux du gouvernement, serait dans une grande
erreur. Cela tient uniquement à ce que Ile droit de commerce prus-
-6 5 -
sien ne s'est pas assez « développé » et que l'on craint de le publier
d'un seul jet. Pour le moment on propose de composer les tribunaux
de commerce «le jurisconsultes, proposition qui déjà a soulevé des
protestations nombreuses de la part des Chambres de commerce,
bourses et autres réunions commerciales. Comme on voit, il y a de
quoi de ne pas trop se hâter d'étaler (outes les beautés de ce droit
prussien à la fois.
À la vue du vaste système préventif et répressif dont nous venons
de donner quelques détails, on devait croire que le gouvernement
pût se reposer en sûreté sur ses œuvres ou du inoins ne pas craindre
un soulèvement populaire. Bien loin de là! Cette crainte, au con-
traire, l'assiège sans cesse et il surveille avec une anxiélé puérile
non seulement tout affluence de momie, mais même les plus inno-
centes réunions de. la vie privée. Tout le momie sait quel gran.l cas
le Rhénan fait de ses kermesses (fêtes de village, foires dans les
villes) e! l'affluencede monde qui s'y porte. Il est vrai que ces kermesses
ne se terminèrent jamais sans force malédictions contre la Prusse et
force huées en faveur de ses f< nelionnaires et que, pour cela, elles
étai ni un double sujet de scandale pour le gouvernement. Il fallait
donc à tout prix y parer, ce qui, du reste, pour un gouvernement
aussi habile que celui prussien, fui chose la plus simple du monde :
il ne défendit pas précisément ces kermesses et ces foires, mais niel-
lait toutes les kermesses pour tout nn district à un seul et même
jour, de sorte que, pour jouir de la fêle, chacun est oblige de rester
chez soi ; et découvrant dans les foires une profanation du dimanche,
il les transférait simplement de ces jours à des jours ouvriers, ce qui
ne pouvait manquer de les l'aire tomber promptement. Restèrent les
réunions el divertissements prives, bals, concerts, etc., à l'égard des-
quels le gouvernement opérait également ingénieusement en les relé-
guant a d^s jours déterminés el fixes pour chaque endroit pas le pré-
fel. et en rendant les aubi rgi>tes responsables de tout désordre, sous
peine de perdre immédiatement la permission. Toutes ces ingénieuses
défenses, agréablement colorées et motivées, se lisent dans les arrêts
du préfet d Aix du 16 décembre 1*53 et du 31 décembre 1859.
Mêmes précautions pour les armes et poudres, dont le commerce
et même le transport dépend d'une permission spéciale du sous-
prefel et dont la provision à garder ne doit être au-dessus d'un
kilogramme pour les détaillants et de cinq pour les marchands en
gros (arrêté du i septembre 1S5-4).
Cette peur puérile perce d'ailleurs à travers tous les actes du gou-
vernement, qui cependant pourrait bien être tranquille de ce côté-
là : car ce n'est certes pas à nous autres, malheureux Rhénans, de
w
— rt>6 —
prendre des moyens désespérés tant que nous avons notre espoir
dans cette terrible armée aux aigles romaines, à l'aspect de laquelle
la France, redevenue libre, n'ose plus démentir son ancienne gloire.
CHAPITRE VI
L'instruction supérieure dans la Prusse rhénane
Avant la Révolution déjà, l'éducation supérieure dans ce pays
était dans un état florissant. 11 n'y avait pas moins de trois univer-
sités : la première, celle de Bologne, fondée en 1388, fille de celle de
Paris et mère de celle de Louvain, jouissait d'un renom européen et
comptait parmi son auditoire des «lèves des quatre p rties du
monde et en si grand nombre (quelquefois plus de 8,000) qu'une
autre pouvait fleurir presque à ses portes, à Bonne. Indépen-
damment de ces deux, il y en avait une troisième à Trêves. Les
écoles centrales, imaginées par la Convention, ayant pris pour mo-
dè'e les anciennes universités, l'introduction de la première législa-
tion française ne pouvait rencontrer ni difficultés, ni obstacle. En
effet, un arrêté du commissaire du gouvernement, du 9 floréal an vi,
convertit les facultés de philosophie de ces universités en écoles cen-
trales, et les facultés de médecine et de droit en écoles spéciales de
ce genre, et tout fut dit.
Ce qui distinguait avantageusement ces universités rhénanes des
universités allemandes, c'était l'union étroite dans laquelle, elles se
trouvaient avec leurs écoles préparatoires, dont la discipline sévère
se transmettait dans les universités elles-mêmes et préservait non
seulement les élèves de la vie dissipée et des écarts qui régnaient
dans les universités allemandes, mais les rendait surtout plus aples à
profiter utilement d'une instruction à la fois soignée et pratique. Ces
universités rhénanes étaient, en effet, non seulement des puits de
science, mais de véritables foyers d'instruction, et les élèves y for-
1 mes non seulement des hommes savants, mais éclairés et habiles,
I
WH
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— 68 — .
propres à toutes les carrières et surtout à saisir et à goûter les
grandes idées du temps. Nous avons la satisfaction de pouvoir con-
stater que ces qualités furent appréciées par quiconque les rencon-
trait, notamment par le commissaire du gouvernement Rudler qui,
dans sa proclamation du 14 messidor an vi, leur reconnaissait « les
meilleures intentions, un grand zèle pour le bien public et un sincère
amour de la patrie, » et par le conseiller d'État en mission, depuis
ministre des cultes, M. Bigat de Préameneu qui (voir son rapport du
5 vendémiaire an xm) trouva les jurisconsultes de ce pays, élèves
de ces écoles, « à la lois fort instruits et éclaires, et rendant avec une
parfaite impartialité leurs arrêts et décisions. »
Il ne pouvait donc manquer que le système d'enseignement, adopte
plus lard par l'empereur, et qui joignait à une instruction à la fois
littéraire et pratique une éducation mâle, sévère et régulière, n'ob-
tient l'approbation générale, et c'est aujourd'hui encore une véritable
jouissance de cœur d'entendre, le peu d'hommes qui nous restent de
cette époque, parler de notre instruction dans ces temps-ci, de les
entendre faire l'éloge de nos lycées, écoles secondaires et spéciales.
Les Prussiens, trouvant un système d'éducation si solidement éta-
bli, comprirent forl bien que jamais il ne se prêterait à leurs des-
seins et se decidèrenl promptemenl à détruire l'edilice de fond en
comble pour plus tard en ériger un autre. Ils s'y prirent avec résolu-
lulion en faisant tout de suite main basse sur les fondations et en
abandonnant ensuite les élablis.-emenls d'enseignement aux com-
munes. Or, abandonner ces établissement aux communes en les pri-
vant en même temps de leur revenus, c'était, dans les circonstances
du temps, prononcer leur arrêt de mort; car après quatre affreuses
année» de guerre, on se Irouvail en face de deux années de disette,
également affreuses (1816 et 1817) et dans une situation qui n'ollrail
aucune perspective d'un prochain avenir meilleur et par couséqueul
aucun but utile aux éludes. C'était donc un calcul peu hasardé que
de penser qu'il ne se trouverait pas assez d'élèves pour suflire aux
besoins de ses instituts (dont le gouvernement se reservait d'ailleurs
la direction et la nomination des professeurs), que les communes se
monlreraienl difliciles et renverraient au gouvernement l'obligation
de doler ces établissements, qu'alors les écoles se dissoudraient et
qu'on pourrait ainsi faire ce qu'on voudrait. Toutefois, le résultat
opéré se laissant encore attendre, le gouvernement se voyait obligé
de lui venir en aide par une défense fulminante (i février 1817) con-
tre renseignement de la langue française et par l'introduction des
livres de classe usités dans la vieille Prusse. Dès lors, le succès pa-
raissait assuré ; les instituteurs se dispersèrent et allèrent trouver
-6g-
dans les pays d'alentour un meilleur emploi de leurs facultés et de
leur bon vouloir.
Ce fut nlors seulement que le gouvernement commençait ses opé-
rations actives parle rétablissement (18 octobre 1818) de l'université
de Bonne, qu'il appelait t université rhénane, » mais qui 'devait rem-
placer non seulement les trois anciennes universités rhénanes, mais
encore quatre universités allemandes récemment supprimées, dont
l'une protestante (celle de Duisbourg dans le grand-duché de Berg),
et trois catholiques (celles de Meinster et de Paderborn dans le
royaume de Westphalie et celle d'Erfurt dans la Haute-Saxel. Elle
devait encore remplacer l'ancienne académie et faculté de droit (ca-
tholique) de Dusseldorf (grand-duché de Berg).
La population de cette université fut bientôt trouvée : pour corps
enseignant quelques nrofesseurs rassemblés çà et là dans les univer-
sités de la vieille Prusse, auxquels on envoyait pour élèves une armée
de boursiers prussiens, partie flls de fonctionnaires, parlie puînés de
la nob'esse brandebourgeoise, tous, professeurs aussi bien qu'élèves,
protestants.
Ainsi, un corps enseignant tout prussien, ayant pour élèves des
boursiers prussiens, un établissement d'instruction destiné pour
quatre provinces prussiennes à la fois, une école protestante au
milieu d'une population toute calholique, voilà ce qu'on appelle en
Prusse « une université rhénane. »
Cette université se compose de cinq facultés (collégps) : de théolo-
gie protestante, de théologie catholique, de droit, de médecine, de
philosophie, celle-ci divisée en quatre sections : de la philosophie
proprement dite, des mathématiques et de l'histoire naturelle, de la
philologie, de l'histoire et des sciences politiques. Une école d'écono-
mie rurale vient d'y être ajoutée. Comme on voit, c'est un bien sin-
gulier agglomérat d'élèves que celui que nous présente une université
prussipnue.
Personne ne niera d'ailleurs que cette réunion d'écoles si diffé-
rentes en une seule doit offrir de solides avantages au gouvernement
et que surtout, la réunion de jeunes théologiens des diverses confes-
sions doit produire « le vrai esprit de tolérance • qu'il chérit tant
et qu'il recommande si chaudement dans l'article 10 du statut par-
ticulier de la faculté de théologie catholique du 18 octobre 1834,
article qui semble être calqué sur les fameuses ordonnances royales
du 2 février 1810 et du 12 février 1832, celte dernière connue sous
le litre de « règlement pour les églises militaires prussiennes » et
dont nous ferons la connaissance en son temps et lieu.
Un long règlement (du 1" février 1819) traite des privilèges et
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~ 70 —
libertés de l'université. A ces mots de « privilèges et libertés > le
lecteur pensera certes que nous allons peindre le beau côte de ces
établissements. Il nous est bien pénible de devoir le détromper en
disant que, si ces mots ont encore quelque sens dans les autres par-
ties de l'Allemagne où ils annoncent une sorte d'autonomie de ces
instituts, ils n'en ont aucun en Prusse, bien que le règlement prus-
sien s'efforce à suivre, dans ses formes extérieures, l'itinéraire des
règlements allemands. Ce serait sans doute un travail fort curieux
que de rapprocher dans un seul et même tableau et les anciens usages
et règlements allemands et celui prussien, et d'y démontrer com-
ment le gouvernement prussien a bien su en faire disparaître la sub-
stance, tout en laissant subsister les formes. Mais comme il ne saurait
èlre noire intention d'écrire des choses curieuses mais de décrire la
déplorable situation de notre malheureux pays, nous devons nous
contenter de dire qu'en Prusse ces privilèges et libertés ne consis-
tent que dans une juridiction exceptionnelle pour dettes et menus
délits et que non seulement les universités prussiennes ne jouissent
d'aucun privilèges, mais qu'elles sont dépouillées même des droits
inhérents à tout établissement d'école, qu'elles sont dépouillées jus-
qu'au droit d'examiner et de décider de l'admission de leurs élèves,
droit qui leur fut enlevée par un règlement du 4 juin 1831, règle-
ment remarquable sous tous les rapports et dont nous parlerons plus
tard.
Le corps enseignant se compose de professeurs ordinaires, profes-
seurs extraordinaires, professeurs privés et professeurs répétiteurs.
Les professeurs extraordinaires ne sont appelés qu'à l'aide ou en
remplacement des professeurs ordinaires, qui seuls forment ce
qu'on appelle « le corps professoral ; • lés professeurs prives et ré-
pétiteurs ne sont que des élèves pour le professorat. Extérieurement
revêtus d'attributs de professeurs, ils sont dans le fond sujet à une
discipline d'écolier. Ce qui rend leur situation plus pénible encore,
c'est qu'en apparence relevant de leurs facultés respectives, ils ne
relèvent en réalité que du seul curateur (commissaire du gouverne-
ment près les universités, seul et véritable directeur et administra-
teur de ces établissements); il en est de même de leur admission.
11 est vrai que les statuts particuliers des diverses facultés et surtout
l'art. 52 du statut de la faculté de théologie catholique, semblent dé-
mentir celte assertion, car ils disent simplement et clairement « que
les facultés elles-mêmes décident de l'admission des professeurs pri-
vés et répétiteurs. « Mais patience et attention! Un peu plus loin nous
trouvons dans un coin obscur, dans le paragraphe qui traite des
pièces à l'appui, entre bon nombre de cerliflcats de toute espèce
- 71 —
l'exigence que voici : « § 7", un consens en règle, délivré par le cura-
teur de l'université, portant permission pour le candidat de solliciter
son admission. » (Quand nous disions qu'il devait être chose curieuse
de rapprocher les dispositions des règlements prussiens!) Il va sans
dire que ces brevets d'admission sont, comme tous les brevets, con-
cessions et permissions prussiens révocables et même renouvables
après certain délai (art. 55 ibidem). Ces professeurs-élèves pourront
d'ailleurs, comme cela est bien naturel dans une université presque,
entièrement peuplée de boursiers, être rémunérés par l'État (art.58),
ce qui certes ne rend pas leur position plus indépendante. Ceux qui
entrent le mieux dans les vues du gouvernement reçoivent le titre de
professeur extraordinaire, sans pour cela sortir de ces conditions.
Il parait que le gouvernement ne se précipite pas dans les nomina-
tions des professeurs ordinaires qui pour la plupart sont de vieux
débris d'hommes: l'un est aveugle, l'autre sourd, un troisième para-
lytique, un quatrième tombé en enfance, tous en un mot plus on
moins infirmes et imbus de préjugés et de théories les plus singu-
lières. Tant pour leur physique; quant à leur moral, nous pensons
nous borner de donner plus tard le règlement de discipline auquel
ils sont sujets et de le laisser à la décision du lecteur si ce doit être
un homme de caractère et de savoir qui s'y soumet. Toujours est-il
que le gouvernement ne voudrait pour rien au monde se passer de
ces hommes si bien faits au joug et qui, pendant leur longue car-
rière (plusieurs d'entre eux appartiennent encore à la première
bordée prussienne), lui ont rendu d'éminents services en ayant
toujours su tenir la jeunesse dans l'obéissance sinon des lois, du
du moins du pouvoir.
Tout contraire à nos écoles françaises, un examen de sortie n'a pas
lieu dans les universilés prussiennes, mais l'on y confère, les grades.
Comme parfois on se fail des idées erronnées sur la distribution de
ces dignités à propos desquelles, grâce aux écrits el journaux prus-
siens, on attribue aux universités prussiennes plus de rigueurs, sur-
tout vis-à-vis des universités allemandes, accusées par ces mêmes
journaux prussiens de prodiguer et même de vendre des dignités,
il faut ici constater que rien n'est plus faux, et que ce sont là seule-
ment de ces calomnies prussiennes qui ne méritent même pas d'être
réfutées. Le fait est que les universilés allemandes, dans la distribu-
lion de ces dignités, ont beaucoup de liberté et qu'elles les confèrent
à tout mérile acquis n'importe où ou comment, ou dans l'université
elle-même, ou à l'étranger, ou même par une éducation particulière,
tandis que les universités prussiennes sont liées par mille considéra-
tions, conditions et formalités. Il est vrai que les règlements prus-
^^
- 72. —
, siens (du 18 octobre 1834) posent en principe que le titre de docteur
ne s'acquiert qu'après force traités, thèses, dissertations, disputa-
lions, etc., tous écrits ou prononcés en langue latine; il est vrai qu'il
ue s'acquiert encore qu'après présentation d'excellents certificats de
bonne vie et mœurs ; il est vrai que ces certificats ne suffisent même
pas et que (art. 36) l'admission à l'examen dépend encore de « cer-
tains renseignements ultérieurs » sur la conduite morale et politique
dont la faculté doit préalablement se prémunir ; mais ce qui est encore
vrai, c'est que lout cela ne constitue que la voie ordinaire et qu'il
y a encore un autre chemin pour y parvenir : c'est quand le candidat
est présenté par le gouvernement (art. 47). Alors, pour étrejeçu
docteur ou licencié, lout cet appareil tombe : il tombe traités, thèses
dissertations, disputalions, langue latine, examen et certificats, et tout
se borne à un discours prononcé en langue allemande (art. 28), où se
résout en simple envoi du diplôme (art. 47). Il parait donc que, sous ce
rapport aussi, les universités allemandes valent bien celles prussien-
nes et que, si les premières couronnent le mérite acquis librement, les
prussiennes ne peuvent couronner qu'un mérite ou autre chose que
le gouvernement leur ordonne de couronner. Si l'on paye d'ailleurs
les diplômes dans les universités allemandes, il faut en convenir qu'ils
ne se donnent pas pour rien en Prusse où un diplôme de docteur,
outre les faux-frais, coûte ses beaux 637 francs 50 centimes, prix fixe
(art. 41, 43, 50 et 56 des statuts part.), si toutefois le ministre de
l'instruction publique n'ordonne pas qu'il soit délivré ou gratuitement
ou à prix réduit (art. 43 et 44). Au reste nous ne saurions assez le
répéter que ces grades ne sont que purement et simplement honori-
fiques et ne donnent aucun droit ni sur une professure, ni sur un
emploi quelconque, ni sur l'advocature, ni même pas pour l'exercice
de l'art de guérir, pour lequel exercice aussi on doit encore encourir
un examen particulier par-devant une commission d'examen royale.
(Règlements des 1" janvier 1825 et 8 octobre 1852.)
L'instruction dans ces universités se donne au moyen de cours
publics ou de leçons particulières. C'est surtout dans ces dernières
que les professeurs doivent éveiller dans le cœur de leurs élèves
« les sentiments d'un attachement sincère au roi, à la maison royale
et à la monarchie prussienne et d'une reconnaissance bien sentie
pour les bienfaits (les bourses) qu'ils en oui reçus »(art. 15, 20, 36 des
statuts part.). Les cours privés, où les professeurs choisissent eux-
mêmes les élèves auxquels ils daignent dispenser la potion, sont jus-
tement renommés dans la faculté de droit et dans la section de l'his-
toire et des sciences politiques. C'est là où se débitent principalement
les principes dévastateurs que nous avons signalés dans le chapitre
— 73 —
sur l'instruction primaire. Aussi sont-ils bien appréciés par le gou-
vernement, au point que leur arrangement dispense de toute leçon
publique (art. 13 et 15 ibidem). Toutefois il ne faut pas penser que
ces leçons publiques ou privées soient données au gré des professeurs
ou entendues au gré des élèves. Bien loin de là!Une telle liberté devait
singulièrement compromettre les fruits que le gouvernement attend
à si juste titre de la réunion d'écoles si différentes; aussi n'a-t-ëlle
pas lieu et le gouvernement fait-il simplement prendre aux élèves
avec leur matricule « un guide d'études » approuvé par le ministre,
qui teur prescrit, pièce par pièce, article par article, toutes les leçons
qu'ils doivent entendre, tous les cours' qu'ils doivent suivre. Il est,
vrai qu'ils ne sont pas astreints « par aucune contrainte ou peine, »
comme dit le règlement, de suivre ce guide qui ne se donne qu'en
bon conseil » (art. 16 des statuts) ; mais malheur à qui voudrait s'en
écarter, ou seulement ne pas le suivre de bon cœur et de grand train ;
malheur à qui ne voudrait s'accomoder de bonne volonté aux soi-
disantes leçons préparatoires (art. 3, 10, 19 ibidem) de philosophie
(les principes prussiens), de l'histoire (brandenbourgo-prussienne) et
de la philologie (locutions latines et prussiennes); malheur surtout à
qui voudrait préférer les leçons sur le droit français (si toutefois il y
en a) à celles du droit prussien ; car s'il n'y a pas d'examen de sortie,
il y a toujours des « certificats de sortie » qui ne constatent que la
conduite et les leçons entendues; et s'il n'y a pas d'examens à l'uni-
versité, il y en a par devant les autorités royales par lesquelles tout
qui veut parvenir à une professure, fonction, emploi quelconque ou
même à une profession privilégiée (avoués, avocats, médecins, phar-
maciens, architectes, ingénieurs particuliers, arpenteurs, etc.,) doit
passer et par devant lesquelles autorités ces « certificats de sortie »
doivent êlre présentés.
Au reste, aucune contrainte n'est nécessaire pour des élèves aussi
disciplinés que ceux d'une université prussienne, car n'entre pas
dans ces universités qui veut. En effet, la faculté de recevoir les
élèves, d'abord laissée aux universités par le règlement du 1" fé-
vrier 1819, vient de leur être retirée et à présent cette réception ne
se fait que sur un examen spécial par devant un commissaire du gou-
vernement et d'après un règlement particulier (du 4 juin 1834).
Comme ce règlement nous facilite singulièrement notre tâche et
mérite encore à tant d'autres titres d'être connu, en voici les
substances :
Art. 3. — A l'avenir, les examens de maturité pour les universités
n'auront lieu qu'aux seuls gymnases, par devant une Commission
spéciale, présidée par un commissaire du gouvernement, membre (le
w^
-tg&mw,
— 74 —
l'autorité supérieure de la province (c'est-à-dire d'un des chefs de
bureau du préfet de Coblence, cette autorité ne se composant que
du dit préfet et de quelques-uns de ses chefs de bureau).
Art. 5.— Sous la présidence du dit commi-snire, cette Commission
se compose d'un membre du curatoire, député à cet effet et confirmé
par l'autorité supérieure d'écoles, et par des instituteurs de la pre-
mière classe, si toutefois (art. 22) le commissaire du gouvernement
ne juge à propos de les remplacer par d'autres examinateurs.
Art. 15. — Le commissaire du gourvernement approuve les thèmes
ou les désigne lui-même. Quant au résultat de l'examen (art. 26), le
plus jeune des professeurs opinera le premier et ainsi les autres dans
l'ordre du tableau; le président-commissaire du gouvernement, selon
les cas, opine ou n'opine pas. II opine s'il tombe d'accord avec la
majorité et en cas de partage où il décide; il n'opine pas si son avis
est contraire à celui de la majorité, auquel cas la décision est simple-
ment déférée au préfet de Coblence. Toutefois les Prussiens n'aimant
pas de recourir trop souvent aux moyens d'autorité, ont imaginé un
expédient des plus ingénieux, c'est de laisser aux professeurs mal
avisés d'abord, la faculté de s'amender et, ainsi que dit naïvement le
règlement, « de retracter leur premier vote pour en émetlre un autre
plus motivé qui alors sera regardé comme le seul émis. »
Les articles 16, 18, 23 et 28 traitent des connaissances nécessaires
pour l'examen. On demande beaucoup dans la langue latine qui joue
surtout un singulier rôle dans les écoles prussiennes; puis une
connaissance accomplie de la langue allemande, ensuite une connais-
sance également approfondie de V Histoire patriotique brandebourgo-
prvssienne. En fait de langues modernes, on enseigne, mais seule-
ment pour la forme, la langue française, en ne demandant à l'examen
d'autre chose que la traduction par écrit et L l'aide du dictionnaire
encore, d'un pensum qui « grammalicalement ne doit guère présenter
de difficultés, » et avec ou à défaut de cela (art. 28) l'interprétation
d'un passage d'un auteur français et qui non plus < ni pour l'objet,
ni par rapport à la langue doit présenter de difficultés. » Pour les
autres parties de l'instruction, on n'exige presque rien, et, en effet,
les connaissances qu'on demande en mathématiques, histoire univer-
selle, géographie, histoire naturelle et physique, ne dépassent pas
celles des élèves de nos écoles primaires supérieures.
L'énonciation des causes qui peuvent donner lieu à un traitement
indulgent termine enfin dignement ce règlement fameux. Nous en
remarquons seulement les suivantes (art. 28) : « La leclure raisonnée
des auteurs patriotiques, » « les intérêts du service public, » et puis
qu'en général une connaissance avancée des langues latine ou alle-
■^■^^■■■■^H
■immsm
- 75 —
mande ou de YHistoire brandebourgo-prussienne rachète tous les
défauts dans les autres parties de l'instruction. Gomme on voit, il ne
pèche pas par manque de tolérance, et la seule et unique restriction
qu'il fait ne s'adresse encore qu'aux seuls Polonais qui (même article)
« en fait de la langue allemande doivent toujours, en tous les cas et
sans exception aucune, satisfaire à toutes et même au plus hautes
exigences qu'on fait aux écoliers allemands. »
Il va sans dire (art. 21) que ces examens sont secrets, en échange
le règlement ordonne des licenciements publics qui seront entourés
de solennités propres à faire sur les écoliers aussi bien que sur le
public « l'effet désiré (art. 22). »
Que le lecleur veuille bien remarquer que cet examen est le der-
nier que passe l'écolier prussien devant les autorités scolaires et il
aura une idée juste de ce que doit y acquérir un écolier qui ne soit
pas poussé, ou par la nécessilé de vivre ou par une vocalion inté-
rieure. En effet, il manque absolument d'un institut où les fils des
classes aisées puissent recevoir une éducation convenable; aussi,
pour y suppléer, la noblesse rhénane a-t-elle fondé à ses frais un
institut particulier, à Bedbourg, appelé « Académie de la noblesse
rhénane, » institut honorable mais qui partage le sort commun de
tous les établissements exclusifs et qui succombe encore sous les
exigences prussiennes.
11 n'étonnera donc pas de voir l'université presque entièrement
peuplée de Prussiens et, en effet, c'est beaucoup, c'est le maximum, si
parmi 900 élèves, on trouve (à part toutefois jles élèves de théologie
catholique) 25 ou tout au plus 30 Rhénans, naturels du pays. Le reste
se compose ou de Prussiens de pur sang ou de fils de fonctionnaires
prussiens, de Bergeois et de Westphaliens. 11 est vrai que les tableaux
du gouvernement en accusent un nombre bien différent, ce qui vient
de ce que le gouvernement nous présente comme Rhénans ces fils de
fonctionnaires prussiens qui forment surtout le plus grand nombre
des élèves. Encore ce n'est certes pas de bonne volonté que ce peu de
Rhénans s'y trouve, mais, comme nous disions déjà, ce n'est pas seule-
ment tout avenir au service public (à quoi du reste le Rhénan renonce
volontiers), mais l'exercice de plusieurs professions (d'avoué, d'avo-
cat, de médecin, de pharmacien, d'architecte, d'ingénieur, d'arpen-
teur, etc., etc.), aussi bien que la confération des ordres sucrés qui
dépendent de la fréquentation de ces écoles prussiennes. (Ordonnance
royale du 30 juin 1841.)
Nous avons également déjà fait connaître les défenses souvent
saugrenues (c'est le mot!) de fréquenter les universités étrangères,
et le régime intolérable qui rend impossible toute instruction privée!
■M«N
Nous n'avons donc qu'à compléter le|récit par rénumération de cer-
taines mesures ultérieures, parmi lesquelles nous devons citer en
premier heu : la défense bien formelle de discuter les lois et règle-
ments prussiens (ordonnance du 5 décembre 1835); la défense de
Tisiler les villes étrangères, sièges d'une université (arrêté du 22 jan-
vier 1834); le renvoi, aux frontières prussiennes, de tout étudiant
étranger voyageant sans un laissez-passer spécial du ministre prus-
sien ; la sujétion des étudiants aux lois pénales et de procédure prus-
siennes (ordonnance royale du 31 décembre 1836); la jusùiication du
séjour et de la conduite politique pendant les vacances (arrête du
19 septembre 1836), mesure assez ingénieuse mais qui, ainsi que nous
l'apprend une publication du dit curateur en date du 17 mars 1840,
faillit manquer par la délicatesse de plusieurs maires (qui alors ne
furent pas encore salaries) et auxquels il répugnait de se livrer à de
telles indignités.
Autre moyen de propager le patriotisme prussien, c'est de faire
absolver les cours de l'université par des militaires eu activité de
service (l'assassin Eulenburg était de ce nombre), moyeu sur et effi-
cace, le service militaire, comme on le sait, ayant été la grande école
du patriotisme prussien. La distribution des bourses livre d'ailleurs
au gouvernement le moyen toujours prêt d'y en envoyer autant
qu'il juge nécessaire pour le maintien de cet esprit de discipline
militaire.
A propos de bourses, nous avons dit à plusieurs reprises que
l'université était presque en entier peuplée de boursiers. Comme,
surtout en vue de la lésinerie bien couuue et devenue proverbiale des
Prussiens, cette assertion pourrait parailre un peu hardie, nous neJe
jugeons pas de trop de la développer un peu. D'abord il f.mt savoir
que ce n'est pas le gouvernement à lui seul qui pourvoie à cas
bourses, bien qu'il les confère toutes. Pour les élèves de théologie,
par exemple, il ne fournit guère un rouge liard : ceux-ci sont sim-
plement renvoyés aux quèles et collectes dans les églises, ordonnées
par le gouvernement. De plus, il existe un excellent moyeu de se
procurer des fonds, c'est l'obligation imposée aux compagnies d'assu-
rance, d'appliquer une partie de leurs bénéfices à des œuvres chari-
tables. Comme c'est sans doute une des plus charitables que d'edu-
quer les rejetons de Prussiens pour les faire aptes à continuer l'œu-
vre d'oppression commencée par leurs pères, et comme d'ailleurs
ces compagnies sont toutes dans les mains du gouvernement, rien de
plus naturel et de plus facile que d'engager ces sociétés d'y concourir
efficacement. En effet, la seule compagnie 'd'assurauce, dite d'Aixet
"Munich, fournissaiUlle à ces Ans, dans une seule et même année,
— 77-
plus de 86,000 francs. Le surplus et rapporté par le Trésor, mais
«omme toujours cette charge étant trop lourde, on imagina un
moyeu plus qu'ingénieux, tant sous le rapport de l'économie que de
l'instruction, c'est de ne plus conférer, niais de prêter (stunden) seu-
lement les bourses, à charge d'être remboursées par les boursiers
parvenus à quelque emploi (instructions des 5 avril et 10 septem-
bre 1831). Gomme on le voit, en Prusse tostes choses s'expliquent
parfaitement, seulement il faut rapprocher les unes aux autres.
Reste encore à traiter un peu du système d'éducation et de disci-
pline des professeurs; mais avant de nous y engager, faisons connaître
un peu l'organisation des écoles secondaires et préparatoires, aux-
quelles ce système et cette discipline sont communs. Pour cela nous
devons prier le lecteur de vouloir bien jeter un regard rétrospectif
sur le commencement de ce chapitre où nous l'avons laissé dans
l'attente des réclamations des communes sur l'enlèvement des bien*
d'écoles d'abord, sur les charges imposées à ces communes ensuite.
Ces réclamations, en effet, ne se firent pas attendre et le gouverne-
ment qui comprit parfaitement que son système de surveillance et de
direction exclusive ne pouvait s'exécuter à la longue, ni surtout de-
venir fécond, s'il continuait à refuser loute participation aux frais,
sembla assez dispose de satisfaire à ces réclamations et d'accorder
sur les biens d'écoles séquestrés (qu'il se hâtait d'ailleurs de mettre
promptement sous le marteau) quelques secours aux communes.
Mais il posa toujours à ces dons certaines conditions, notamment ces
•trois dites «de rigueur, » savoir :l°de considérer ces écoles comme
instituts d'État; 2° de les qualifier ou « mixtes » ou < n'ayant aucun
égard à la confession; » 3" de conférer au gouvernement non seule-
ment la direction générale, mais l'administration spéciale (règlement
des salaires, choix des loctux, fixation des honoraires, etc.). Ce ne
fut donc qu'à ces conditions bien incommodes et contre lesquelles les
«ommunes se débattirent de leur mieux que le gouvernement con-
sentit à se charger d'une partie (ordinairement de la moitié) des frais
de ces établissements. Encore n'étendait-il cette prétendue faveur
qu'aux seuls lycées qu'il appelait dès lors «gymnases, » et laissait par-
faitement en dehors les écoles secondaires dont il ne paraissait guère
se soucier; faute capitale qui, pour les premières années, lui lit perdre
tous les fruits de son œuvre et qui, aujourd'hui encore, les compn>
Biet singulièrement; faute qu'il aggravait encore par certaines me-
sures ultérieures qui ne décelaient que trop sa haine contre tout ce
qui était * Rhénan, » mais peu son habilité ordinaire, et parmi les-
quelles nous devons surtout signaler : une épuration parfaite du per-
sonnel des instituteurs, corps qui cependant était bien épuré par l'ex-
- 7 8 -
patriation de la plupart de ses membres. Celte-opération qu'il exécuta
surtout pir des mortifications, humiliations, méchancelés se-
crètes, etc., n'eut d'autre suite que de déterminer le reste des insti-
tuteurs de s'expatrier également ou de chercher refuge auprès des
instituts restés communaux, auprès des écoles secondaires. Il va sans
dire que les écoliers s'en allaient avec eux. Comme on le pense bien,
ces instituteurs étaient bien loin d'apporter dans ces écoles « l'esprit
de l'attachement et d'une reconnaissance, bien sentie pour le roi la
reine, son épouse, la maison royale et toute la monarchie prus-
sienne » que, cependant, le gouvernement exigeait d'eux. (Règlement
du 12 juillet 1824.) Il ne pouvait donc manquer que ces écoles, bien
que dirigées et surveillées par le gouvernement, bien que leurs in-
stituteurs fussent soumis à la même discipline que ceux des gvm-
nases, ne prissent une direction quelque peu opposée. Tous les efforts
du gouvernement d'y remédier élaient vains : que le gouvernement
prescrivit le plan d'enseignement : ce plan fut suivi, tout en étant
éludé; qu'il imposât des livres déclasses prussiens : ces livres furent
introduits sans qu'on en fit usage ; qu'il ordonnât l'enseignement de
l'histoire « brandebourgo-prussienne » : on enseignait sans livres, il
est vrai, l'histoire du pays; qu'il diminuât les honoraires des gym-
nases : on payait de bon cœur le double et le triple dans les écoles
secondaires (voir les acles de notre Diète, V session); qu'il contestât,
dans le règlement des comptes communaux, les gratifie* lions et aug-
mentations de salaire accordés aux instituteurs : il ne servit qu'à les
faire restituer par les parents ou souvent même par les conseillers
communaux en leur nom propre et privé; qu'il défendit, enfin, ces
dons volontaires (arrèlé du 4 septembre 1841) : il ne servit qu'à les
décupler, mais à les faire donner secrètement. En vain déclarait-il,
par le règlement du 4 juin 1834 dont nous venons de donner
la substance, les seuls gymnases capables de former des élèves pour
l'université; il servit non à peupler les gymnases, mais à dépeupler
l'université. Mais tout cela ne pouvait durer que quelque temps;
l'avenir, par la nomination des instituteurs, devait appartenir aux
Prussiens. En effet, les instituteurs nouvellement nommés surent
bientôt dégoûter les communes de l'intérêt qu'elles avaient jus-
qu'alors témoigné à ces instituts qui d'un sujet de prédilection qu'ils
étaient, allaient devenir une charge. Dans cet état de choses, le gou-
vernement eut la singulière audace de présenter à notre Dièle (1841)
un projet de loi portant règlement des pensions, projet qui mettait à
la charge des communes les pensions des instituteurs tant aux écoles
secondaires qu'aux gymnases, tout en réservant au sojvernementde
prononcer de la retraite et de fixer ces pensions. C'était précisément
— 79 —
ce qu'il fallait pour combler la mesure ; aussi notre Diète rejeta-t-elle,
séance tenante, ce projet, alléguant que c'était bien à qui nommait et
dirigeait ces inslituleurs, à qui en revenaient tous les avantages, que
c'était au gouvernement enfin de pensionner les instituteurs et non
seulement de les pensionner, mais de les salarier.
Cette singulière proposition du gouvernement eut encore de bon
que la Diète examinait un peu de plus près l'étal de ces écoles, exa-
men qui aboutit (session suivante, 18*3) à une plainte amère sur
beaucoup de choses, entre autres : sur la composition de l'autorité
supérieure des écoles, composée, comme nous l'avons déjà dit, du pré-
fet de Coblence et de luelques-unsdeses chefs de bureau; su ries exigen-
ces étrangères à leurs fondions qu'on demandait aux instituteurs des
écoles secondaires; sur l'arbitraire dans la qualiftcalion des institu-
teurs, sur le manque de tout secoursdela part de l'État pour les écoles
secondaires; sur l'élévation démesurée des honoraires des écoles
secondaires vis-à-vis de ceux des gymnases, suite inévitable de ce
manque de secours; sur la fausse direction imprimée à ces instituts;
en les assimilants de plus en plus aux gymnases, non en rang, attri-
buts, secours, mais pour le plan d'enseignement qui devait cepen-
dant être tout un autre. Elle se plaingnit de plus amèrement que le
gouvernement ne songeait qu'à former des fonclionnaires qui
cependant étaient « le matériel le moins propre à combler Pabime
qui existait entre le gouvernement et la population rhénane. »
(C'était l'expression textuelle).
La réponse du gouvernement (message royal du 30 décembre 18*3)
refusait net et concluait que si l'on tenait les instituteurs des écoles
secondaires aux mêmes justifications de capacité que ceux des
gymnases, cela n'impliquait nullement de les égaler en rang et en
traitements; que l'adjonction d'autres membres à l'autorité supé-
rieure d'écoles nuirait à l'unité et à l'accord qui devait y régner; que
le gouvernement ne manquait pas de soins envers les écoles secon-
daires, preuve l'envoi multiplié de beaucoup de moyens et d'appa-
rats d'instuction; (il faut en convenir que le gouvernement ne
manquât pas de leur envoyer force bustes du roi et de tous les mem-
bres de. la maison royale, force tableaux patriotiques, cartes géogra-
phiques et livres d'histoire prussiens;) que les subsides accordés
aux gymnases n'étaient « qu'une faveur « et nullement une obliga-
tion ; qu'ils n'avaient d'ailleurs été accordés que sur des fonds pro-
venant de la vente des biens d'écoles et aujoud'hui épuisés; qu'au
reste, les gymnases n'avaient obtenu ces secours qu'après plusieurs
années d'épreuve.qu'après surtout que toute incertitude sur leursorga-
nisation, but et moyens avait disparu, mais que les écoles secon-
— 80 —
éaires étaient encore bien loin de donner les garanties nécessaires
sur ces but, moyens et organisation, et qu'avant toutes ces garanties
ne fussent données el développées, aucun secours ne pourrait avoir
Heu.
Il parait que ce développement s'est laissé attendre, car à l'heure
qu'il est, nous trouvons ces écoles secondaires toujours dans la même
situation, ou, pour mieux dire, les ayant laissées dans un commen-
cement d'altération, nous les retrouvons aujourd'hui quelque peu
raffermies, quelque peu revenues sur leurs idées premières, el les
instituteurs, dans le nombre desquels (chose remarquable!) nous
eomptons même quelque Rhénans, marchant à peu près dans les
traces des anciens, ce que nous devons d'abord au gouvernement
lui-même qui, par des humiliations continuelles dont ces écoles
furent l'objet, rebutait un peu les Prussiens d'y rechercher des
emplois et, de plus, poussait les instituteurs nommés au mé-onten-
tement et à se laisser gagner par l'esprit de corps ; mais ce qui sur-
tout est dû à l'esprit inaltérable des écoliers, car si les gymnases
représentaient l'élément prussien et n'étaient peuplés, à part les
obliges (théologiens, juristes, médecins, instituteurs, etc.,) que de
rejetons de Prussiens, les écoles secondaires représentaient l'élément
national el n'étaient peuplées que de Rhénans, ce qu'elles sont
aujourd'hui plus que jamais, car le gouvernement, désespérant d'en
venir à bout, vient d'en retirer encore le peu de ses rejetons qui s'y
trouvaient, c'esl-à-dire ceux qui se destinaient aux emplois 'techni-
ques, pour les réunir en des écoles plus à son goût. — Comme nous
l'avons dit, les écoles secondaires, sous l'impression que leur don-
nait le gouvernement, avaient pris de plus en plus l'aspect dessrym-
nases, et les études classiques y allaient absorber les sciences, tes
langues mortes, celles vivantes. Profitant du mécontentement qui eh
résultait, le gouvernement proposa aux grandes villes l'érection
d'une école plus particulièrement destinée aux sciences exactes et
qui devait entrer dans les mêmes relations avec le gouvernement
«t recevoir les mêmes subsides que les gymnases. Il réussit en cela
parfaitement auprès du conseil municipal de Cologne qui donnait
pleinement dans le piège et qui, à présent, serait chargé d'une dé-
pense annuelle de 25 à 30,000 francs, représentant la moitié des frais
d'une école qui, il est vrai, porte le titre «d'école des arts el métiers^
mais qui en réalité n'est autre chose qu'une école du service public
et qui, y compris l'école préparatoire y ajoutée, est presque en tota-
lité peuplée de rejetons de Prussiens et de Westphaliens.
Pour le système d'éducation prussien en général, il faut remar-
quer d'abord que le gouvernement, pour ainsi dire, divise les élèves
■■■■■
8i —
de toutes les écoles possibles en deux grandes classes : en ceux qui
montrent du goût et de l'aptitude pour les belles-lettres ou pour
quelque science exacte, et en ceux qui n'ont ni goût, ni penchant, ni
application pour rien et que, dès l'origine déjà, il soumet à un trai-
tement tout différent. Pour les premiers, il les laisse tranquillement
s'enfourrer dans l'étude de leur objet de prédilection, ou comme dit
l'expression officielle « de les faire pénétrer dans les profondeurs des
langues et des sciences » en les encourageant par toutes sortes de
moyens (art. 46, 47 des statuts), en veillant soigneusement que leurs
études ne prennent pas une direction pratique et en ne les rendant à
la société que dans un état presque voisin de la folie et par consé-
quant peu dangereux. C'est à eux que s'adressent Ie< mille prescrip-
tions et exhortations pour l'étude de la langue latine, qu'ils manient
en effet merveilleusement, tandis que, pour les autres, ces prescrip-
tions et exhortations se résolvent en une récitation fréquente de cita-
tions et locutions latines où "« l'aptitude de les employer à propos »
figure comme « point donnant lieu à un traitement indulgent à
l'examen » (voir le règlement du 4 juin 1834).
Celle langue latine, nous ne saurions assez le répéter, joue vrai-
ment un singulier rôle dans l'instruction prussienne; on veut faire
d'elle rien moins qu'une barrière infranchissable pour séparer les
leth'és (« die wissenschaftlich oder academisch Gebildeten » comme
disent les Prussiens) des gens ignares, dans laquelle derière caté-
gorie en voudrait bien jeter tous ceux qui ont reçu leur éducation à
l'étranger ou par une instruction particulière.
L'emploi de cette langue se transmet promptement dans tous les
bureaux du service public, où il s'est associé ù mille puérilités du
même genre, telles que de donner à nos villes et villages des noms
allemands, d'exterminer de la langue officielle toute expression ou
dénomination françaises, même celles en usage depuis des siècles
(c'est ainsi que si l'on voulait exterminer de la langue française les
mots. : lansquenet, havre-sac et semblables); d'écorcher même la
langue allemande pour en former un jargon exclusivement prussien,
de dénaturer également la langue latine en tout ce qu'elle a de com-
mun avec celle française (on y retranche surtout le c, et l'on écrit
ainsi officiellement : zivil, alkzept, konvenlion, dezembre) ; puéri-
lilés qui donnent beaucoup à rire aux autres Allemands et dont
rirons certes aussi nos lecteurs français, bien que ce ne soit guère à
nous autres, malheureux Rhén;ins,d'en trop rire; car elles sont pour
nous ce qu'était le chapeau de Gessner pour les Suisses : le signe
abject d'une tyrannie infàmo qui brave même le ridicule; elles sont,
— 82 —
plus que ne le sont les choses sérieuses, la vraie pierre de touche
qui révèle au gouvernement les instruments de ses œuvres.
L'étude de l'histoire (excepté naturellement celle brandenbourgo-
prussienne) pour lesdits élèves se résout également à en apprendre
par cœur les principales dates de l'histoire ancienne et allemande;
on s'y sert de tableaux chronologiques expressément composéspour
cette singulière méthode d'instruction. Lerèglement du i juin 1834
enjoint au surplus aux examinateurs « de ne poser aucune question
qui pourrait faire supposer des connaissances plus que générales en
ces genres d'histoire. »
De longs règlements règlent de la manière la plus minutieuse toute
la marche de l'enseignement, au point de faire, des instituteurs de
tout grade, des mannequins purs et simples. Nous les avons déjà
signales dans notre premier travail. Le gouvernement lui-même en
rougit, non en les exécutant — bien loin de là ! — mais de les voir
publiés. Voici ce qui se passait à cet égard l'année dernière, à Kœ-
nigsberg : Un ancien conseiller, M. Sadt, qui s'en fit un mérite de
publier et de commenter ces règlements dans un recueil périodique,
comptait parmi ses abonnés plusieurs membres du conseil muni-
cipal de cette ville. Défense fut intimée à ces conseillers municipaux
de continuer l'abonnement, et comme ils n'obtempèrent proinpte-
ment, le préfet, par un arrêté du 23 novembre 1865, les punissait de
ces amendes prononcées par voie administrative, dont nous avons
fait la connaissance dans le chapitre sur l'administralion publique,
savoir : les conseillers municipaux, MM. de Facius et Weller, des
amendes de 120 francs, et le conseiller municipal, M. Berenl, d'une
amende de 40 francs et cela, bien entendu, pour le seul fait de l'abon-
nement sur ledit recueil, recueil paraissant dans les États de S. M. le
roi de Prusse et par conséquent soumis à sa juridiction.
Nousdevonsremarquerencore, que depuis longtemps, aucune publi-
cation sur les affaires d'ecolen'a pi us paru, que tout se renferme aujour-
d'hui en des envois de supérieur à inférieur, envois qui doivent rester
secrets et le restent en effet, vu que la violation du secret de bureau
est punie et recherchée de la manière la plus barbare. Toutelois, pour
prouver que les hauls travaux du ministère n'ont pas chômé depuis,
nous sommes à même de pouvoir citer un rescrit récent du ministre
de l'instruction puplique (du 25 janvier 1865) qui, réglant les affaires
des écoles polonaises, défend expressément d'enseigner aux enfants
de cette infortunée nation leur langue maternelle, dont on ne devrait
plus faire usage comme « objet d'enseignement », mais tout au plus
comme c moyen d'enseigner la langue allemande », et qui, de plus,
prescrit formellement les intervalles du temps, dans lesquels lesdi-
-8 3 -
vers livres de classe allemands y doivent être absolves. Même ins-
truction vient d'être lancée pour la parlie de notre province où l'on
parle seul et uniquement la langue française.
En jetant un regard sur la longueur de ce chapitre, longueur
aussi involontaire que nécessaire, nous sommes bien aises qu'une
législation brève et concise nous permet d'être plus court pour le
reste. En effet, la législation sur la discipline se borne-t-elle aune
seule ordonnance royale, celle du 12 avril 1822, et dont la seule re-
production nous dispense de tout commentaire. Commençant par
énoncer les motifs qui l'ont fait nailre et qui ne sont d'autres que
« d'assurer aux autorités la direction entière de renseignement et
la prompte exécution de leurs ordres » et « de faire disparaître
certains inconvénients qui jusqu'alors s'étaient opposés à une
prompte destitution des instituteurs » (« damilsie ohne nachtlieilige
Weit.'rurigensofortausdemDiensteentferntwerdenkôi)nen»),ellene
connaît qu'une seule peine: celle de cassation, qui doit être prononcée
non seulement pour tout fait ou article désagréable au gouvernement,
maisdejipourleseul fait qu'un inslituteurmontre unesprit d'opposi-
tion contre les mesures du gouvernement ou que seulement « il ne ré-
ponde pas entièrement aux vues et intentions paternelles du roi »
(«wenu siemeinen landesviieterlichenAbsiclitennichtentspreclieu »);
encore cette peine doit-elle être prononcée si cet esprit d'opposition
ou cette résistance à ses vues et intentions se montre, non dans l'ex-
cereice de leurs fonctions, mais même dans la vie privée, s'il se
mêle par exemple d'une manière plus ou moins directe d'affaires
plus ou moins publiques ou d'administration. » Le mode de pronon-
cer cette peine est le plus simple du monde et ne consiste
qu'en un seul rescrit de supérieur à l'inférieur sans recours aucun.
Après s'être occupée ici des instituteurs déjà destitues, à l'égard des-
quels elle ordonne « de ne pas leur faire parvenir le moindre se-
cours, » et des candidats de l'enseignement dont elle fait dépendre
la nomination d'un consentement express du ministre de la police,
cette mémorable ordonnance se termine dignement par une exhor-
tation solennelle aux autorités a de ne pas se laisser gagner par l'es-
prit de pitié, mais de faire de ses dispositions une application rigou-
reuse, » (die Beslimmungen dieser Ordonnance riichsichtslos zur
Ausfùliruiig zu bringen) et non seulement s'il s'agissait des faits
prouvés mais seulement présumés (erwiesene oder vermulhete).
L'ayant déjà laissé à nos lecteurs de juger de quelle trempe doivent
être les gens qui se soumettent à une telle discipline, nous n'avons
qu'à constater la solidité de cette législation, l'ordonnance ayant non
seulement subsisté ses {rentre ans révolus, mais ayant encore servi
-.*(?
■■■
-8 4 -
de modèle à la loi qui la remplace (du 21 juillet 1852), et qui avec
quelque gradation dans les peines toutefois, soumet au même régime
tous les autres fonctionnaires publics.
Ayant encore dit là-haul que, dès le premier jour de leur apparition,
les Prussiens firent main-basse sur les biens et fondations d'écoles,
nous nous rendrions coupable d'un péché d'omission si, avant de ter-
miner ce récit, nous ne faisions connaître les raisons solides qu'ils
alléguaient et qui se résumaient à ce que les élablisements auxquels
ces biens appartenaient avaient anciennement été dirigés par les
jésuites. Or, l'ordre des jésuites aboli, rien de plus naturel que de
déférer ces biens à l'État. Il est vrai, ainsi que prétexta notre
Diète (session de 1843) que ces biens n'avaient jamais appartenu
à cet ordre, mais qu'ils n'avaient été abandonnes qu'en
jouissance aux instituteurs, et que certaines lois française, entre
autres celle du 20 prairial an x, avaient affertés ces biens aux
besoins d'écoles. Mais de telles raisons ne pouvaient être admissibles,
ni ces lois être applicables, attendu que, ainsi que disait le roi dans
son message du 30 décembre 1843: « Les jésuites ayant été suprimés
longtemps avant la Révolution, .c'eût été aux princes alors régnants
de disposer de ces biens et que, s'ils ne l'avaient pas fait, cela n'im-
pliquait qu'une négligence à laquelle il daignait réparer à présent. »
Malheureusement pour ces raisons royales, il se trouvait que le prince
éclairé qui avait régné alors, notre incomparable Charles-Théodore,
avait en effet usé du droit que lui attribuait le message royale, et
qu'il avait confisqué ces biens pour les rétrocéder immédiatement
aux villes auxquelles appartenaient les instituts d'écoles. Mais ce
n'était pas une raison qui pût convaincre un roi de Prusse qui pen-
sait que, si l'électeur palatin avait rétrocédé ces biens, lui, en sa
qualité de successeur, avait assurément le droit de révoquer cette
rétrocession. Comme on voit, il n'y a pas de lutte possible avec de
tels arguments.
Reste à dire deux mots encore sur le caractère religieux de ces
écoles, dont quelques-unes, restées tout entièrement à la charge des
communes, ont conservé le caractère catholique, mais dont toutes
celles qui reçoivent quelque subvention de la pari de l'État sont, ainsi
que nous l'avons déjà dit, qualifiées ou mixte ou n'ayant aucun
égard à la confession. Ce qu'on entend sous cette qualification nous
apprend l'exemple de l'université qui, officiellement, est qualifié de
« mixte, > ce qui se résout finalement à la seule disposition de
l'art. 5 de ses lettres patentes (du 18 octobre 1818) où il est dit :
« Que dans la section de philosophie il y aurait toujours un profes-
seur catholique à côté d'un professeur protestant et que pour le reste,
- 85 -
à part toutefois les professeurs de théologie, on ne prendraiKaucun
égard à la confession des professeurs. » Encore cette disposition ne
fut-elle pas suivie et nous apprenons d'une plainte de notre Diète, faite
en 1845, que cette seule professure réservée à un catholique vac-
quait déjà depuis six ans.
Quant au côté national, il est assez dépeint par ce qui précède et
nous n'avons besoin pour le reste que de renvoyer à notre chapitre sur
V Instruction primaire, où nous avons vu de quelle manière le peuple
rhénan s'est préservé des suites funestes de ce système d'éducation,
où nous avons démontré qu'il est toujours digne de recevoir ses
frères libérateurs, et que c'est encore à lui que s'adressent ces der-
nières paroles du martyre de Sainte-Hélène :
« Il chérit mon nom, mes victoires. «
mitai- ' jifi*
CHAPITRE Vil.
Les affaires religieuses dans la Prusse rhénane.
Ayant déjà dit, dans le chapitre sur YInstruction primaire, qu'uu
célèbre auteur et illustre voyageur (M.A.Dumas, dans ses Excur-
sions sur les bords du Rhin) avait fait connaître en peu de mots
ja vraie situation de notre pays aux temps de nos persécutions
religieuses, il serait vraiment une grande témérité de notre part
de vouloir faire mieux ou autrement. Aussi n'entendons-nous pas
de nous en rendre coupable, mais de nous borner à la seule repro-
duction de son récit, en le complétant seulement par quelques faits
antérieurs ou postérieurs.
Le voici :
« En effet, les provinces rhénanes, séparées violemment de la France
et données à S. M. Frédéric-Guillaume comme accroissement de
territoire, ne sont que faufilées à la Prusse et, au premier appel, se
déchireront d'elles-mêmes. Leur nouveau maître, déjà séparé de ses
nouveaux sujets par l'abîme religieux qu'on ne fait qu'agrandir
avec la persécution et qu'on ne comble que par la tolérance, au
lieu de laisser aux habitants du Rhin le Code Napoléon qui pendant
vingt ans les avait régis, au lieu de choisir, dans leur sein même,
les fonctionnaires publics qui doivent les administrer, au lieu enfin
de leur accorder le libre exercice de la religion qu'ils ont reçue de
leurs pères et qu'ils veulent transmettre à leurs enfants, leur enlève
peu à peu les lois françaises pour y substituer le bon plaisir prussien,
choisit les employés du gouvernement hors du territoire qu'ils sont
-8 7 -
chargés de gouverner et veut que tout fils d'un père protestant suive
la religion de son père, ce qui serait juste peut-être dans tout autre
pays, mais ce qui là, où tout avenir ne s'ouvre que par l'alliance avec
les étrangers, et où tous les étrangers sont luthériens, devient une su-
prême injustice.
» Ce fut contre cette dernière décision, dont il sentit toute la portée,
que se prononça Clément-Auguste, achevêque de Cologne, qui a eu
le talent de se faire martyre dans une époque où l'on n'y croyait plus.
En vertu du pouvoir spirituel qu'il avait reçu du pape, il déclara, se
plaçant en opposition avec le pouvoir temporel du roi, qu'il n'autori-
serait les prêtres à bénir les mariages mixtes qu'après que les pères,
au contraire de ce qui était ordonné par l'arrêté royal, auraient
pris l'engagement formel de faire élever leurs enfants dans la religion
catholique, déclarant qu'à son défaut, il y avait les pasteurs luthériens,
et que pour ceux qui croyaient le mariage devant Dieu inutile, restait
le mariage devant la loi. Quelques jours après cette déclaration, le
gouverneur civil de la province et le colonel de la gendarmerie rési-
dant à Coblence, se rendirent à Cologne et, après s'être adjoint le
maire de la ville, se présentèrent à l'archevêché. Introduits en pré-
sence de Clément-Auguste, ils lui intimèrent l'ordre d'obéir aux in-
structions du gouvernement. L'archevêque répondit que, pour les
affaires temporelles, il était effectivement soumis au roi, mais que
pour les questions spirituelles, il ne relevait que de Rome. On lui
enjoignit alors de se démettre de son archevêché ; mais il répondit
que, nommé par le pape, c'était au pape seul à l'interdire. Sur cette
réponse, il fut arrêté et conduit à la fortesse de Minden, où il est libre,
il est vrai, mais libre dans une ville protestante, et où il a pour do-
mestiques deux soldats habillés en bourgeois.
i Ilestimpossibledese figurer l'effet que produisit cette arrestation;
un frisson de fièvre parcourut toute cette ligne de villes assoupies'
sous la domination étrangère, et qui se réveillèrent tout à coup, se
rappelant le temps où elles étaient libres. Sur le prétexte de surveiller
les Belges et les Hollandais, en litige à celte époque sur la question
du Limbourg et du Luxembourg, les troupes prussiennes furent
placées aux bords du Rhin. La forteresse d'Ehrenbreitstein.qui domine
Coblence, point central de l'agitation, se remplit de poudre et se
hérissa de canonsdont toutes le gueules, à mesure qu'ils se mettaient
invisiblement en batterie, se tournaient comme d'elles-mêmes vers
la rive gauche du Rhin. Le prince Guillaume envoyé dans le pays
avec la mission apparente de passer des revues, s'arrêta à Cologne
où il fut sifflé. Sur quoi de nouvelles troupes furent mises en mou-
vement, toujours sous prétexte de surveiller les frontières belges;
- 88 —
mais il résulte de tout cela que les villes qui bordent 1» rive gauche du
Rhin, depuis le pont de Kehl jusqu'à Nymègue, ne sont qu'une longue
trainec de poudre, à laquelle la moindre étincelle peut mettre le feu-
Une fois allumée, il est difficile que l'incendie, surtout s'il conserve
son côté religieux, ne se communique pas, sinon au gouvernement,
du moins au peuple belge que toutes ses sympathies porteront à
soutenir ses coreligionnaires.
» La cour de Berlin ne laisse jamais échapper l'occasion de témoigner
sa haine envieuse et contre-révolutionnaire pour la France. La
France, de son coté, a Waterloo sur le cœur, de sorte qu'avec un peu
de bonne volonté chez nos ministres, les choses peuvent s'arranger
à la satisfaelion de tout le monde. Notre devise doit être :
• Deus dédit, Deus dabil. »
Comme on le voit, nous étions bien loin de donner à l'auteur tout
l'honneur qui lui est dû puisqu'il trace, dans ces quelques lignes,
non seulement le tableau complet de la situation, mais encore tout le
système politique de la Pruss«.
Mais entrons nous-mêmes en matière en disant que les Prussiens
surent profiler très-habilement de certains défauts de la circon-
scription religieuse du premier Empire, en annonçant hautement, et
dès le premier jour de leur apparition, le rétablissement de l'église
métropolitaine de Cologne, tout en se gardant bien d'accomplir cette
promesse avant de ne l'avoir bien utilisée dans les négociations qui
allaient s'ouvrir à Rome et qui aboutirent à un concordat conclu en
1821. Ce concordat ne fut jamais publié, mais à son lieu et place,
la bulle qui le ratifiait fut insérée au Bulletin des lois prussiennes.
Cetle bulle avait conféré aux chapitres diocésains les anciens droits
d'élection de l'église allemande, sauf la restriction de n'élire que des
personnes agréables au gouvernement. Mais jamais cette élection n'a
eu lieu et ce n'est qu'une seule fois qu'on est allé jusqu'à en faire le
semblant d'une mise en pratique, en présentant au roi une liste de
candidats dont, soit dit en passant, aucun ne reçut l'approbation du
roi qui toujours a nommé de son propre chef aux sièges sans que
jamais la cour de Rome ait protesté, ce qui, joint à d'autres indices,
fait supposer que le concordat contienne des stipulations secrètes et
non publiées par la bulle. Quoiqu'il en soit, le gouvernement n'était
nullement pressé ni avec l'institution des chapitres, ni avec la nomi-
nation des évéques, bien que les sièges vaquassent déjà depuis 1814.
Enfin, en 1825, le roi parvint à obtenir l'institution canonique pour
un certain M. Spiegel, son conseiller d'État intime, Prussien de nais-
sance, et qu'il avaiteréé comte en 1816.Certes il nous doit être pénible,
comme catholique, de nous occuper ici de ce personnage aux relations
-8 9 -
intimes avec les pamphlétaires prolestants Gentz, Stein, Niebuhr, le
ministre Hardenberg et autres stipendiés de ta Russie, de nous oc-
cuper de ce protecteur et collaborateur du professeur Hermès, dont
les écrits devaient plus tard être condamnés comme hérétiques. Aussi
nous pensons passer sous silence ses œuvres pour mettre incontinent
au jour une des lumières les plus brillantes de notre église,
Clément-Auguste, baron de Droste au Vischering,- archevêque de
Cologne.
Grand fut rétonnement quand, vers la fin de 1835, immédiatement
après la mort de M. Spiegel, on apprit que le gouvernement avait fait
signifier au chapitre métropolitain que le roi venait de nommer à ce
poste éminent ce Clément-Auguste, jusqu'alors vicaire-général du
diocèse de Munster, homme vertueux, d'une fermeté rare, d'une
constance inébranlable, d'un zèle ardent, d'une piété aussi exemplaire
qu'éclairée, d'unecharité sans bornes e', avec tout cela, d'une simpli-
cité de mœurs touchante et d'une douceur vraiment évangélique.
On se refusait d'abord d'y ajouter foi, tant une telle nouvelle venait-
elle inespeiée; aussi, la confirmation venue, chacun se demandait : A
quoi devons-nous celte heureuse nouvelle? Serait-il survenu un
changement dans le Conseil du roi? Hélas, il s'agissait moins d'un
changement de système que du triomphe momentané d'une influence
salutaire, mais que nous verrons bientôt tomber sous les coups
redoublés de la bureaucratie prussienne, seule et véritable régente
en Prusse. En un mot, cette nomination était due à l'influence du
prince royal qui, dans un voyage récent, avait été témoin du déchaî-
nement contre le détenteur actuel du siège archiépiscopal et qui, avec
la pénétration d'esprit qui le distinguait, avait reconnu qu'il serait
temps de changer l'état des choses. Malheureusement que ce prince,
que caractérisait également un manque absolu de fermeté, ne put
réussir à faire accepler aussi les conséquences de cette nomination,
à fa ire accepter un changement des procédés jusqu'alors en usage en vers
l'église. Sans cela, la nomination était un non-sens qui devait
appeler des conflits.
En attendant, la plus grande joie régna dans tout le diocèse et
éclata surtout au jour de l'installation qjii coïncida justement avec la
fête de l'Église, fête que M. Spiegel venait de supprimer, comme il
avait supprimé toutes les autres fêtes, processions, etc., où la religion
se montrait comme ayant passé dans la chair et le sang du peuple
rhénan. C'était surtout le clergé de paroisse qui s'approchait avec une
entière confiance du nouvel archevêque, tandis que le haut clergé,
composé par les soins de M. Spiegel et connaissant mieux le vrai état
des choses, se montrait ou malveillant ou appréhendé ;appréhensious
mÊ^^M
— 90 —
qui d'ailleurs n'étaient pas tout à fait dénuées de fondement, car si
nous disions là-haut que la nomination de Clément-Auguste, sans
changement simultané de système, devait appeler des conflits, nous
ne nous sommes pas exprimé assez correctement : au lieu de dire
« devait appeler des conflits » nous eussions dû dire « devait trou-
ver des conflits, » puisque ces conflits subsistaient depuis longtemps
(voir la publication du président supérieur de la province, du
l"mars!819), que déjàils s'étaient élevés sous les vicaires-généraux,
administrateurs des diocèses avant M. Spiegel, bien qu'ils avaient été
temporairement et forcément supprimés par ce dernier. Ils roulaient
surtout sur deux points : sur l'instruction de la jeunesse, notam-
ment celle des jeunes ecclésiastiques, et sur l'éducation religieuse
des enfants issus de mariages mixtes.
Nous avons vu dans le chapitre précédent l'état de nos écoles supé-
rieures, nous avons vu leur organisation, leur esprit, leur discipline.
Eh bien ! c'étaient précisément ces écoles qu'un arrêté du 26 oc-
tobre 1826 avait déclarées obligatoires pour les jeunes gens qui se
destinaient au service de l'autel. Et il y avait de quoi; car si les pro-
fesseurs des autres facultés étaient protestants, ceux de la faculté de
théologie étaient des hermesiens, dont les écrits, ainsi que nous
venons de dire, allaient être condamnés par le Saint-Siège (26 sep-
tembre 1835). Ce ne fut donc qu'une conséquence inévitable de cette
condamnation que le nouvel archevêque fit demander aux professeurs
de cette faculté un revers de ne prendre lesdits écrits et principes
hermesiens pour point de départ de leur doctrine.
La plupart des professeurs furent repentants et prêts à donner le
revers demandé, lorsque le curateur de l'université, par les mains
duquel devaient passer tous leurs écrits, s'opposait non seulement à
la délivrance de ce revers, mais à toute communication avec l'arche-
vêque et cela sous peine de cassation immédiate. Il ne restait donc à
l'archevêque d'autre parti à prendre que de refuser son approbation
aux leçons de ces professeurs et de retirer la « cura a imarum » à
deux d'entre eux qui étaient les chefs de la nouvelle secte (laquelle,
dans sa doctrine, voulait expliquer la religion par la seule raison).
Cette démarche lui fut imputée comme « excès de pouvoir, » le gou-
vernement tirant ce texte du statut de l'université : t Le catalogue
des leçons de la faculté de théologie sera soumis à l'examen et à l'ap-
probation de l'archevêque;» la conclusion que celui-ci aurait seule-
ment le droit d'approuver mais non celui de réprouver et prétendant
en outre, que le bref pontifical condamnant les écrits de Hermès ne
devait être invoqué puisqu'il n'avait pas reçu le» placet . »du gouver-
nement.
— 9i
On lui imputa également, comme excès de pouvoir, un changement
intenté dans sou séminaire archiépiscopal. 11 avait été convenu entre
M. Spiegel et le gouvernement que les élèves n'y devaient être gardés
que pour la durée d'un an. Clément-Auguste, reconnaissant qu'un si
court séjour ne pouvait suffire pour l'examen de la doctrine, de la vie
et des mœurs d'élèves placés dans tout autre temps sous une influence
contraire, voulut le portera deux ans et, de plus, changer la per-
sonne de l'examinateur, fort suspect d'hérésie, ce à quoi le gou-
vernement s'opposa de toutes ses forces en lui contestant la faculté
d'opérer le moindre changement dans son séminaire sans le con-
sentement express du gouvernement.
Nous avons examiné, dans ledit chapitre sur l'Instruction supé-
riewe, les instituts d'instruction dits « mixtes » ou « n'ayant aucun
égard à la confession ; » nous y avons vu que ces établissements
n'étaient autres que des établissements purement protestants et
que ces phrases ne servaient qu'à déguiser l'empire exclusif du pro-
testantisme. Il ne pouvait donc manquer que le nouvel archevêque
s'en alarmait, ce qu'il ne témoigna cependant que par une abstention
complèle d'y coopérer de sa part, notamment par le refus de dési-
gner des aumôniers pour ces sortes d'instituts, refus qui lui fut éga-
lement imputé comme t abus de la grâce royale » (singulier délit !)
eomme « violation des lois d'Etat, « contre laquelle le gouvernement
eût dû sévirselon le Gode « si, » ainsi qued isait textuellementune publi-
cation du minisire des cultes, en date du 15 novembre 1837, « la
clémence du monarque le plus clément n'eût pas voulu lui laisser le
temps de s'amender. »
Nous n'irons pas plus loin pour les affaires d'école, passons'à celles
des mariages mixtes. Mais comme assurément on aura peine de croire
ce que nous avons à direà cet égard, tâchonsde ne parler qued'après
« l'Exposé officiel et authentique des faits qui ont précédé et suivi
l'arrestation de Clément-Auguste, i publié par le Saint-Siège en date
du 4 mars 1838 et dont voici la substance :
« Ce fut le 17 août 1825, immédiatement après l'installation de
M. de Spiegel à l'archevêché de Cologne, que le roi fit publier une
ordonnance que tous les enfants issus de mariages mixtes devaient
être élevés dans la religion du père et que les promesses données an-
térieurement par les époux pour assurer une autre éducation seraient
regardées comme non-avenues. » Cette ordonnance défendait encore
sévèrement aux curés catholiques d'exiger de telles promesses.
Bien que celle ordonnance fût en elle-même d'une rigueur
extrême, on ne se borna pas dans la pratique à leurs dispositions
mais on exigea, et nous verrons plus tard par quels moyens, du clergé
r
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- 9» — .
catholique de bénir, sans scrupule et hésitation, tout mariage mixte
qui se présenterait.
Ce fut alors qu'après de longs pourparlers du gouvernement prus-
sien avec le Saint-Siège, le pape promit d'accorder les pleins-pouvoirs
les plus étendus et de permettre la pratique la plus, indulgeate sur la
demande directe et motivée des évèques. En conséquence, l'arche-
vêque de Cologne et ses suffragants sur les instigations du gouverne-
ment s'adressèrent en ce sens à Sa Sainteté qui, parle bref pontifical
du 25 mai 1830 et l'instruction y ajuutee, adhérait à leurs demandes.
Ce bref, dans lequel le pape, ainsi qu'il le déclarait lui-même, était
allé jusqu'aux dernières limites de son pouvoir, permettait non seu-
lement de suffire parfaitement aux dispositions de l'ordonnance
royale, en ce qu'il consentait à la publication des bans de tout ma-
riage mixte et qu'il validerait ceux conclus devant les ministres pro-
testants, mais encore aux exigences ultérieures du gouvernement, en
autorisant même les curés de conclure aussi des mariages mixtes sans
promesse, mais en n'y assistant que passivement, c'est-à-dire en
recevant simplement et sans cérémonies les déclarations des époux.
Mais tel ne fut pas le désir du gouvernement, qui voulait voir cé-
lébrer ces mariages (au moyen desquels il espérait parvenir plus
promptement à la borussifleation du pays) avec toute solennité pos-
sible, pour faire tomber l'aversion du peuple à leur égard. Aussi le
bref ne fut-il pas publié mais, à l'avènement de Grégoire XVI, remis
à ce pape pour obtenir de lui des changements dans le sens que nous
venons d'indiquer. Mais ce pape aussi ne put que déclarer qu'il n'était
pas de sa puissance d'aller plus loin et que le bref devait être publié
comme il était ou ne pas être publié du tout. Sur cela, le ministre
plénipotentiaire de la Prusse annonçait (août 1834) que le bref avait
reçu « le placel » du gouvernement et qu'il était en voie d'exécution.
Comment cette exécution se fit, cela nous apprend une note confi-
dentielle du cardinal-secrétaire d'État, M. de Lambruschini, en date
du 15 mars 1836 et qui commence par dire :
i II n'y a pas longtemps que Sa Sainteté a été informée, et cela d'une
manière qui, raisonnablement, ne permet aucun doute, qu'il existe
une communication secrète au plutôt une instruction du feu M. Spiegel,
archevêque de Cologne, sur l'exécution du bref de Pie VIII, de glo-
rieuse mémoire, et de l'instruction y ajoutée du cardinal Albani, con-
cernant le sujet important des mariages mixtes. Celle communication
secrète tendant à dénaturer le sens et à altérer la substance de ces do-
cuments et à détruire les bases et principes sur lesquels ils reposent
(questa segreta comunicatione, lac[uale è diretla à travisare il senso
di quel documenti, ad altérante la sostanza ed à destruggere le massime
■M
— 93 —
sulle quali poggiano), elle n'a pu manquei" "d'attirer l'attention du
saint-père qui, obligé par les devoirs de son saint office, a cru ne pas
devoir se taire, etc., etc. »
Ici « pour faire ressortir la nature et la mauvais' foi de cette com-
munication secrète » (per ben comprendere la nalura et la mala fede
deU'accennata segreta comunicazione), la note donne un aperçu
comparatif du bref et de l'instruction de M. Spiegel et, après avoir
fait remarquer que la véritable instruction, annexe du bref, n'avait
pas été publiée, elle finit par dire « que malgré l'assurance positive
des informations reçues, Sa Sainteté voulait encore se refuser à croire
que cette communication ou inslruction secrète de M. Spiegel « soit
le résultat d'une conférence entre celui-ci et M. le plénipotentiaire lui-
même. >
A cette note, le ministre plénipotentiaire de la Prusse répondit par
une note (t5 avril 1836) dont on ne sait vraiment que dire. C'est
que non seulement il y nie, de la manière la plus positive, l'existence
de cette communication secrète (qui non seulement existait, mais qui
de plus était le résultat d'une convention en forme, conclue le
i9 juin 183-i entre M. le plénipotentiaire et M. Spiegel) et toute part
que le gouvernement y pourrait avoir eue, mais qu'il y reconnaît
même parfaitement le grand blâme auquel le gotivernment s'expose-
rait s'il en était ainsi, et tout cela dans les termes que voici :
« Car le soussigné n'hésite point à déclarer, de la manière la moins
équivoque, que si les appréhensions de Sa Sainteté fussent fondées,
si les accusations portées devant Elle contre son gouvernement
étaient autre chose que des émanations de l'ignorance ou de la malice,
il y avait, de la part du gouvernement de Sa Majesté non seulement
du tort, mais une injustice criante et une violation d'engagements so-
lennels; mais il a la satisfaction de pouvoir déclarer que l'existence
même de la prétendue instruction est absolument impossible, puis-
qu'elle ne pourrait exister sans que le gouvernement, et par consé-
quent le soussigné, en fût instruit.
» Puis après avoir nié personnellement toute participation, à part
i d'avoir reçu des mains de l'archevêque un rapport des évêques
constatant leur reconnaissance pour la publication du bref, » le mi-
nistre finit par renvoyer aux rapports ad limina des évêques, qui ne
tarderaient pas d'arriver et qui certes achèveraient de tranquilliser la
conscience de Sa Sainteté. »
Ces rapports, datés du mois de septembre 1836, arrivaient en
effet, mais, malheureusement pour les assertions du ministre prus-
sien, disaient peu de l'affaire dont il s'agissait. Le nouvel archevêque
de Cologne, ainsi que ses suffragants.ne firent que remercier Sa Sain"
— 94 —
teté d'avoir donné le bref en assurant que, quant à eux, ils tâche-
raient de l'exécuter < autant que les circonstances le permettraient. »
Ils furent tous communiqués à Sa Sainteté par une note du 15 jan-
vier 1837, dans laquelle M. le plénipotentiaire s'efforee de les expli-
quer dans un sens favorable à son gouvernement et par laquelle
il réfute solennellement :
• Certaines calomnies aussi noires que méprisées, d'un journal
belge qui, avait osé dire que ces rapports étaient dictés et même
extorqués par le gouvernement et qu'ils étaient bien loin d'exprimer
les vrais sentiments des évèques. »
Après quoi il continue et textuellement :
« Il parait au soussigné que l'Eglise catholique aurait cessé d'exis-
ter en Allemagne, si des documents signés par les évèques, et par de
tels évèques, adressés à un souverain pontife qui veille avec tant de
zèle et de soins sur les destinées de son église et qui, en peu de
semaines, peut avoir des renseignements directs de ces contrées,
remis enfin avec toute la solennité sacrée d'une note officielle, pou-
vaient contenir un mot, une syllabe qui ne découlât de l'âme et de la
conscience de ces prélats et qu'ils ne seraient prêts à maintenir à toute
épreuve. »
Ensuite le ministre ne doute pas « que Sa Sainteté ne voudra voir,
dans le contenu et dans l'accord parfait de ces rapports, qu'un sujet
de consolation et de réjouissance • et finit par déclarer « positivement
formellement et irrévocablement que, forts de ces documents,
Sa Majesté, son roi, ne pourrait jamais consentir à ce que l'affaire des
mariages mixtes puisse former le sujet de nouvelles discussions
entre son gouvernement et le Saint-Siège. »
Mais ce qui était sûr, c'est que ces rapports étaient bien loin d'être
un sujet de consolation pour le pape et que moins encore ils étaient
la vraie expression des sentimenls des évèques, ainsi que cela résulte
d'une lettre de l'évèque de Trêves, écrite sur son lit de mort, le 10 no-
vembre 1836, et parvenue par un autre chemin et plus vite que le
rapport officiel à Sa Sainteté, laquelle lettre portait textuellement :
« Ce fut uniquement sur l'instigation du roi de Prusse que feu
l'archevêque de Cologne, moi et les évèques de Munster et de Pader-
born, ses suffragants, nous nous adressâmes à Sa Sainteté Léon XII,
de glorieuse mémoire, pour le prier de prononcer, dans un sens mo-
déré, sur la question pendante des mariages mixtes. Ce pape, enlevé
prématurément par la mort, devait laisser le soin de répondre à son
successeur Pie VIII, de glorieuse mémoire, lequel, par le bref du
25 mars 1830, adhérait à nos demandes. Mais ce bref ne venait pas à
notre connaissance, puisqu'il ne répondit pas aux vues et désirs du
— 95 —
roi qui, après un délai de trois ans (en 1834), fit mander à Berlin
M. Bunsen, son ministre plénipotentiaire à Rome et l'archevêque de
Cologne, M. Spiegel, pour régler l'affaire d'après ses volontés. Ces
trois, le roi, M. Bunse7i et M. Spiegel, opérèrent entre eux, sans que
d'autres évèques eussent été consultés, et finirent par donner au bref
une interprétation plus indulgente qu'il ne fui permis; de ladite inter-
prétation, ils firent l'objet d'une convention en forme. Cette convention
conclue, le roi envoyait M. Spiegel auprès de ses suffragants, pour les
déterminer à y adhérer. Moi, pour le bien de la paix et pour éviter de
plus grands maux qu'on me fit clairement entrevoir^ je m'y lais-
sais gagner et signais l'instruction annexée à ladite convention,
laquelle instruction je m'empresse de mettre devant les yeux de
Votre Sainteté.
» Mais aujourd'hui où, saisi d'une maladie douloureuse, en vue de
ma mort prochaine et près de paraître devant le juge éternel, je vois,
éclairé de la grâce divine, que de cette démarche doivent résulter
les plus grands maux pour l'Eglise, vu que j'ai violé les canons
et principes de cette Eglise, je révoque, poussé par le repentir, mais
librement et de mon propre mouvement, tout en quoi j'ai manqué et
erré dans cette importante affaire.
» Sur cela, couché aux pieds de Votre Sainteté, etc., etc. »
Aussitôt celte lettre reçue, le pape s'empressa de la faire mettre
sous les yeux du roi de Prusse; mais tandis qu'il attendit à si juste
titre que ce monarque porterait remède aux embarras si clairement
révélés des évêques, une nouvelle d'une toute autre nature devait le
surprendre. Nous donnons l'événement d'après l'allocution du Saint-
Père, tenue au consistoire secret du tO décembre 1837:
« Nous nous plaignons de l'injure très-grave faite à notre véné-
rable frère Clément-Auguste, archevêque de Cologne qui, après avoir
été violemment, etavecemploi de la force armée, chassé de son siège,
vient, par ordre du roi, d'être interdit de ses fonctions épiscopales et
transféré dans un lieu sur. Cette grande calamité ne le frappait que
parce que, bien que toujours prêt de donner à César ce qui est à
César, mais fidèle à son serment de conserver intactes la doctrine et
la discipline de l'Eglise, il ne pouvait, dans l'affaire importante des
mariages mixtes, suivre d'autre règle que celle tracée par le bref de
notre prédécesseur PieVIH, de glorieuse mémoire, en date du 25 mars
1830, par lequel bref, dans son indulgence extrême, le Saint-Siège était
allé si loin que, dans le vrai sens du mot, il avait atteint la limite et la
surpasser eût été un crime. Vous ne savez que trop que ledit, notre
prédécesseur, ne fut amené à cette mesure d'indulgence que par la
nécessité d'empêcher des maux plus grands encore et qui devaient
-96-
inévitablement résulter des menaces du pouvoir civil. Qui au-
rait donc cru possible qu'une décision pontificale si condescendante
et qui avait été plus d'une fois acceptée par le ministre de la Prusse,
eût pu être exécutée dans un sens tout contraire aux intentions de
l'auteur et aux principes inaltérables de l'Eglise. Mais ce que per-
sonne n'aurait pu. s'imaginer, ce que de soupçonner seulement eût
été un crime, voilà ce qui a eu lieu sur l'instigation arlificieuse du
pouvoir civil {idartificioso saccularù potetsatis impulsu factum est).
«Aussitôt après l'avoir appris, nous ne tardâmes pas à formuler nos
plaintes et à aéclarer que notre devoir nous appelait d'avertir les
fidèles, afin qu'ils ne crussent émané du Saint-Siège ce qu'il ne peut
que hautement condamner. Et lorsqu'il nous y fut répondu comme
si nos plaintes étaient sans fondement, il nous arriva une autre lettre
d'un prélat de ces contrées qui, du lit de sa mort, au moment de
paraître devant le juge éternel, nous envoyait une copie de ces
instructions données par les évéques sur l'instigation du pouvoir
civil et qui nous déclarait en même temps que, éclairé par la grâce
divine, il voyait de ses démarches résulter les maux les plus
grands pour l'Eglise, voyait que leurs canons et principes étaient
lésés et qu'il révoquait de sa libre volonté et de son propre mouve-
ment les erreurs auxquelles il avait participé. Nous nous hâtâmes
d'envoyer tout de suite copie de celte lettre à S. M. le roi de Prusse
et de faire transpirer de plus en plus que nous réprouvions bâille-
ment l'interprétation et l'exécution données au bref comme étant
toutes contraires à son sens et aux principes et canons de notre Mère
la Sainte-Eglise.
» Mais, et nous le disons avec tristesse et accablé de douleur, tout
à notre insu, et tandis que nous nous attendions à une réponse satis-
faisante de la part dudit roi, l'ordre fut intimé à notre vénérable'
frère, l'archevêque de Cologne, d'exécuter ledit bref dans le sens que
nous venions de condamner ou de se démettre de ses fonctions. Et
lorsque celui-ci, comme de raison, résistait à ces demandes injustes,
le fait que nous avons signalé là-haut fut immédiatement mis en
œuvre, encore ne fut-ce que le 1" de ce mois que le ministre de
Prusse nous annonçait comme prochain ou comme étant sur le point
d'arriver, ce qui déjà avait eu lien le 21 du mois passé. Nous
avons donc cru de notre devoir d'élever notre voix pour protester
contre l'attentat inoui fait à la liberté de conscience, à la dignité épis-
copale et à la juridiction spirituelle, et pour donner en même temps
les éloges bien mérités de cet homme signalé par toutes vertus à
l'archevêque de Cologne, d'avoir si vaillamment et au sacrifice de sa
— 97 —
liberté défendu les droits foulés aux pieds de notre Mère l'Église.
Sur cela, etc., etc. »
L'effet que cette arrestation fit sur notre population et l'appareil
militaire déployé en cette circonstance nous étant dépeints par
M. A. Dumas, nous n'avons qu'à compléter son récit par rémunéra-
tion de certaines mesures d'un aulre genre, telles que celles-ci : Or-
ganisation d'un service spécial de police pour les provinces du Rhin;
défense absolue intimée au clergé de s'abstenir de toute allusion aux
affaires pendantes ; procédure sommaire en affaires de tumulte et de
résistance en cas d'arrestations; érection d'une Cour prévotale pour
délits politiques et religieux ; exclusion de la publicité dans toutes
les procédures, même civiles, qui pourraient donner lieu à des débats
religieux; défense de toute correspondance avec l'archevêque, saisie
des journaux étrangers ; défense de tout discours funèbre ; détention
immédiate dans une forteresse, sans jugement ni sentence, de qui-
conque divulguerait les mandements et allocutions du Saint-Père, etc.
(Message royal du 8 mai 1835, ordonnances royales des 17 août et
15 octobre 1835, 30 septembre 1836, 25 février et 24 décembre 1837;
9avril 1838, arrêtés des 15 et 24 novembre 1837, 6 octobre 1842, etc.)
Et avec tout cela, notre Diète n'est pas convoquée, la presse sous le
régime de la censure, la frontière hermétiquement fermée, le haut
clergé sans considération, composé comme il fut par les soins de
M. Spiegel, et l'administration du diocèse dans les mains d'un cer-
tain M. Husgen, élève de M. Spiegel, et dont il suffit de dire que le dis-
ciple surpassa le maître : voilà la situation de notre pays en ces
temps-ci.
Une seule consolation nous restait ; l'attitude digne et ferme du
Saint-Siège. 11 est vrai que les yeux lui étaient désilles et qu'il s'était
déroulé devant lui un système de mensonge jusqu'alors jugé impos-
sible. Nous avons fait mention déjà de plusieurs textes de notes
prussiennes et y avons vu avec quelle certitude et dans quels termes
le ministre prussien, dans sa note du 15 avril 1836, avait osé niei-une
convention que lui-même avait signée, comme partie contractante, le
19 juin 1834. Nous avons la haute satisfaction de pouvoir constater
qu'en présence de ces faits, la cour de Rome refusa toujours catégo-
riquement de rentrer en relation d'affaires avant que Clément-
Auguste ne fût mis en liberté, le pasteur ne fût rendu à son troupeau.
Sur ces entrefaites, Fredéric-GuillaumelII mourut. Les sentiments
sincèrement religieux de son successeur devaient faire espérer
un changement dans l'état des choses. Sa seule apparition et avec elle
la certitude qu'une opposition en matière de religion ne présenterait
plus d'avantages, suffisait pour faire disparaître la coterie des her-
mmmk
l*S3
- 9 8 -
mesiens qui, a.nsi que disait si justement un auteur contemporain,
«ne se composait que de gens indifférents en religion, serviles en
politique et ne connaissant d'aulre moral que le catéchisme de
l'égoïsme. » Elle s'effaça, en effet, si promptement que depuis on n'en
entendait même plus parler. Un différent sur les mariages mixtes
n'existait plus qu'en théorie, puisque en pratique il n'y avait pres-
que plus de ces mariages du tout.
Néanmoins, un accomodemenl final se fît encore attendre et il fal-
lut bien que deux remontrances des plus énergiques de notre Diète
(session de 1841) vinssent en aide aux dispositions bienveillantes du
souverain. Ce retard provenait, le lecteur le pense bien, de la
résistance de la bureaucratie prussienne que nous avons déjà dit être
la seule et véritable régente de l'Etal. Chose étrange et qui étonnera
certes nos lecteurs français, qu'un roi qui se montrait si franchement
absolu et autocrate dans tous ses autres actes, l'était si peu dans une
affaire qui lui tenait personnellement au cœur et que, intimidé par
les hauts cris de la bureaucratie qui appuya surtout sur les dangers
pour le système d'éducation prussien, ce roi n'osait même pas
réintégrer son ancien protégé qu'il se contentait de mettre en liberté,
tout en sollicitant à Rome la nomination d'un eoadjuteur sous pré-
texte de l'âge avancé du titulaire.
Ce eoadjuteur se trouva dans la personne d'un professeur récem-
ment annobli, M. de Geissel, lequel fut installé eoadjuteur et admi-
nistrateur du diocèse en 1842 et puis (1845) après la mort de Clément-
Auguste, archevêque. En même temps, le siège épiscopal de Trêves
reçut un titulaire.
L'administration de M. de Geissel a donné lieu à beaucoup de
plaintes de la part du clergé et si, ainsi que cela s'était pratiqué pour
M. Spiegel (arrêté du 11 mars 1825), la police ne devait plus intervenir
pour lui assurer les hommages dus à son rang, sa personne n'était
nullement considérée dans le public. Peut-être sa vie privée, qui
contrastait singulièrement avec la charité et l'affabilité de Clément-
Auguste, y était-elle pour beaucoup.
Il va sans dire que sous lui les institutions de M. Spiegel étaient à
l'abri de toute attaque; cependant il faut lui rendre cette justice que
tout en laissant les jeunes théologiens fréquenter les écoles prus-
siennes, il s'efforça de les préserver un peu de certaines séductions que
présentaient ces écoles universelles, en réunissant après les heures de
leçons ceux d'entre eux qui voulaient en profiter, en des établisse-
ments particuliers où leur vie et mœurs étaient plus particulièrement
surveillées. Pour le reste, il laissait tout à sa place, continuant tou-
jours de faire prier pour le roi, la reine, les princes et toute la mai-
— 99 —
son royale ainsi que pour tous ceux t qui professeraient un attache-
ment sincère pour cette honorable maison « (fur aile die diesem hohen
Hause zugelhan sind) et laissant tranquillement subsister la fête
scandaleuse « des prières et de pénitence » que les hautes classes
appellent simplement « la fête de saint Frédéric-Guillaume III, »
mais que le commun du peuple connaît sous une dénomination plus
significative encore, sous une dénomination faisant allusion à la der-
nière maladie de ce roi. Cette fête avait été instituée par M. Spiegel
en remplacement de la fête de l'Assomption que le peuple continuait
à solenniser comme fête de l'empereur. En supprimant cette fête,
M. Spiegel, selon sa proclamation, n'avait en vue que de mettre un
frein à la fainéantise et à la dissipation des classes ouvrières, tandis
que le gouvernement, plus sincère en celte occasion, l'attribuait dans
la sienne aux inconvénients politiques qu'elle faisait naitre. (Arrêté
du préfet d'Aix du 20 mai 1829.)
En 1848, 376 membres du clergé diocésain s'adressèrent à Sa Sain-
teté pour se plaindre de la partialité de M. de Geissel et de ses com-
plaisances pour le gouvernement, ce qui ne l'empêchait cependant pas
d'envoyer aux curés (ou du moins à quelque uns-uns d'entre eux) un
rescrit du ministre des cultes, en date du 1" octobre 1851, portant
< que tous les avancements, secours et distinctions à accorder aux curés
dépendraient surtout de leur zèle pour les écoles prussiennes. » En
supposant la dernière hypothèse, l'envoi à quelques-uns des curés
seulement, nous devons remarquer que cet usage de partiel envoi
ne date pas d'hier, mais qu'il est déjà longtemps pratiqué dans l'admi-
nistration diocésaine de ce malheureux pays, où nous trouvons déjà
une circulaire de l'administrateur diocésain pendant la captivité de
Clément-Auguste, en date du 20 mars 1839, qui enjoint aux curés
« de favoriser en toute sorte et par tous les moyens, mais surtout au
moyens de la catécfièse, la fréquentation des écoles prussiennes et de
refuser même la première communion aux enfants qui ne fréquente-
raient ces écoles; » laquelle circulaire porte en forme de post-
scriptum : € Cette circulaire ne sera envoyée qu'à quelques-uns des
curés pour en faire un usage discret et précautionné » (zur discreten
und amtsklugeu Behandlung).
Ce qui est singulier et digne de remarque, c'est que le haut clergé,
qui, sous Clément-Auguste s'était montré si mou dans la défense des
droits de l'Église, se montrait, grâce au mépris bien marqué et tou-
jours croissant qui suivit jusque dans la tombe certains de ses mem-
bres dont la conduite avait été un peu équivoque, se montrait,
disons-nous, dans les dernières années de M. de Geissel, animé d'un
•out autre esprit, de sorte que, à la mort de ce dernier (1864) le cha-
^H
— K3Q —
pitre métropolitain, se souvenant pour la première fois de ses pré-
rogatives, déclarait vouloir user de son droit d'élection. En consé-
quence, il présenta cinq candidats, dont, ainsi que nous l'avons dit
au commencement, aucun ne fut approuvé par le roi qui, après deux
ans de négociations, parvint cette fois encore à obtenir l'institulion
canonique pour un candidat directement proposé par lui. On se sou-
viendra sans doute qu'un article fort remarqué d'un journal français
dénonçait cette nomination comme extorquée par un ultimatum de
M. de Bismark, assertion qui reçut un démenti des plus formels par
le Giornate de Rome. Pour nous, nous croyons ce démenti fondé et
pensons qu'il faudra chercher la source de cette nomination dans
certaines stipulations du concordat de 1821, concordat qui, ainsi
quenous l'avons dit ci-contre, ne fut jamais publié et dont, en l'annon-
çant, le Moniteur prussien (11 août 1821) exprimait son contentement
en termes que voici :
« Ce que nous venons de conclure n'est pas un concordat dans le
» sens que l'on veut bien donner généralement à ce mot, le roi ne
• pouvant pas abandonner et n'ayant pas en effet abandonné la plé-
» nitude de ses droits en matière de religion. Tous les fidèles sujets
» du roi peuvent donc se féliciter d'une œuvre qui est si particulière-
• ment dû à la haute sagesse du roi, etc., etc. ►
Malgré cela, ce concordat ou cette convention ne fut-elle pas exé-
cutée par la partie qu'elle satisfit le plus, comme le prouvent plu-
sieurs plaintes et remontrances de notre Diète dans presque toutes
ses sessions.
Faudra-t-il nous occuper longuement de ces plaintes ? Faudra-t-il,
après ce qui précède, nous occuper encore de plaintes secondaires,
de griefs de second ordre? Faudra-t-il parler enfin d'intérêts pour ainsi
dire matériels, meltre en parallèle par exemple la dotation plus que
suffisante du haut clergé avec l'impossibilité d'obtenir la moindre
chose pour les églises elles-mêmes, avec l'impossibilité absolue
d'obtenir seulement un traitement pour les curés, du grand nombre
de succursales érigées toutes sur les frais des seules communes? —
Nous pensons que non, et qu'il suffira parfaitement de dire que,
d'après un livre de statistique publié par le gouvernement, les
communes d'un seul arrondissement communal, celui d'Aix-la-Cha-
pelle, ne dépensèrent en treize années, de 1848 à 1861, pas moins
que 3,838,600 francs pour constructions d'églises, tandis que le gou-
vernement n'a contribué à ces bâtisses que pour une somme de
184,000 francs, destinée en partie pour la construction d'églises et
de presbytères prolestants, et que des 33 curés de succursales érigées
à cette époque, aucun n'a obtenu le moindret raitement de l'État.
fc**i
— TOI —
Le nouvel archevêque, M. Melchers, est jugé diversement. Les uns
voudraient bien l'accuser également de complaisance pour le gou-
vernement, en lui reprochant surtout un mandement récent qui
défend au clergé toute agitation politique et qui lui recommande une
abstention complète dans les élections publiques. II est reconnu qu'il
a été engagé à cette démarche par le gouvernement. Cependant il
nous parait qu'engagé ou non, c'eût été une démarche utile en elle-
même, puisque cette prescription est l'application rigoureuse de la
maxime de Clément-Auguste, exprimée si clairement dans son
livre excellent : De la paix entre les Etats et l'Eglise, où il ne fait
que recommander aux ecclésiastiques « de ne se mêler en rien des
affaires publiques, cette conduite étant le meilleur moyeu d'empêcher
le gouvernement de se mêler des affaires de l'Église. »
Mais si les uns blâment M. Melchers, d'autres aussi lui recon-
naissent une fermeté de caraclère et une audace peu ordinaires,
audace dont il fit preuve en déclarant fausse une signature que le
préfet de Cologne avait daigné faire apposer en son nom au bas d'un
certain appel à la bienfaisance pour les blessés de 1866, et en faisant
ses réserves au serment fameux qu'on demande aux évéques et qui
est conçu en des termes que voici :
« Je jure d'être toujours lidèle, obéissant, soumis et dévoué à
S. M. le roi de Prusse, mon anguste maitre; je jure de me vouer
de mon mieux à ses intérêts et d'empêcher, autant qu'il est en moi,
tout ce qui pourrait y être contraire; je tâcherai surtout d'éveiller
dans le cœur des ecclésiastiques et des fidèles les sentiments d'un
vrai attachement au roi et l'amour de la patrie ; je jure encore de
ne pas tolérer qu'on enseigne d'autres principes ou qu'on agisse
en sens contraire.
» Tout eu particulier, je promets de n'avoir, soit au dedans, soit
au dehors, aucuns rapports ou intelligences qui pourraient être
contraires à l'ordre public et s'il venait à ma connaissance que,
dans mon diocèse ou ailleurs, il se tramait quelque chose au pré-
judice de l'État, je jure de le révéler au gouvernement de Sa Mnjesté.
Et tout cela, je le jure et promets, ayant l'intime conviction que
ce serment n'a rien de contraire à celui que j'ai prêté à Sa Sainteté
et à l'Église. »
Lors des dernières annexions , on exigeait ce même serment
de tout le clergé du pays de Nassau qui ne s'en scandalisa pas peu et
qui trouvait surtout singulier que celle phrase t s'il venait à ma
connaissance, etc., » ne se trouvait pas dans le serment des pasteurs
protestants. Sans doute, ces messieurs ne connaissaienl-ils pas l'ar-
ticle 82 du litre XI du Code prussien, lequel dit textuellement :
7
— 102 —
t En tant que la révélation d'un fait confié sous le secret du confes-
sional est nécessaire pour la sûreté de l'Etat, le prêtre est tenu de Ir
divulguer à Vautorité compétente. »
A côté de ce serment, nous ne devons pas passer sous silence le
fameux règlement pour les églises militaires, qui date du 11 février
1832 et qui, dès son apparition jusqu'à ce jour, fut l'objet de plaintes
éternelles. Nous le donnons d'après une analyse qu'en fit, en 1845,
notre Diète, lors d'une protestation solennelle contre une si flagrante
violation de la parité confessionnelle, garantie par les lois fondamen-
tales de notre pays.
» Les dispositions de ce règlement sont bien simples pour les
temps de paix et se bornent à la seule stipulation qu'il n'y aura que
des aumôniers protestants (art. 1-5) et que, pour les besoins religieux
des catholiques, il sera pourvu par un des curés de la localité, ou, à
son défaut, par le curé le plus voisin qui sera tenu de faire une visite
deux fois l'an (art. 58).
En temps de guerre, il est procédé à la nomination d'aumôniers
catholiques; cette nomination a lieu, après communication avec
l'évèque, par le consistoire protestant (art. 20), auquel ils sont subor-
donnés, qui peut les suspendre de leurs fonctions et dont ils reçoivent
tous les ordres, y compris ceux qui concernent la conduite spirituelle,
lesquels derniers ordres cependant ne leur parviendront que par
l'intermédiaire des évéques (art. 28).
Ce sont (art. 16) les seuls aumôniers protestants qui tiennent les
registres de l'état-civil ; par conséquent (art. -Il) tout aumônier ou
tout prêtre catholique qui bapti era un enfant, etc., devra en faire le
rapport à l'aumônier protestant, afin que celui -ci le transcrive
sur les registres. Le règlement, du reste (art. 34), ne connaît
qu'une seule église (paroisse) militaire, celle protestante, et dans
laquelle sont incorporés! (art. 38) tous les officiers, sous-oflîciers et
soldats du corps, ainsi que les membres de leurs familles, de quelque
confession qu'ils soient.
La célébration des mariages mixtes est réservée à l'aumônier de
la confession de l'époux (le pourquoi est facile à deviner, dit ici le
rapport de la Diète) ; de même pourront les survivants faire inhu-
mer les membres catholiques de leur famille d'après le rite et par
l'aumônier protestant, mais le contraire ne doit jamais avoir lieu
(art. 46).
Toutes les écoles militaires sont prolestantes. Pour maximum de
droits, on laisse aux familles catholiques la faculté d'envoyer leurs
enfants dans les écoles communales, sans que pour cela ils sortassent
du contrôle de l'aumônier protestanl (art. 91).
— 103 —
Ce règlement fameux maintient (art. 52) l'ordonnance plus fameuse
encore du 2 février 1810, concernant l'office militaire, laquelle
porte textuellement :
« L'intention de Sa Majesté étant d'accoutumer les soldats des di-
verses confessions à un office divin commun et de leur inspirer ainsi
un respect profond pour la religion du pays, sans pour cela faire vio-
lence à leurs croyances religieuses, il parait donc bien en règle qu'on
fasse lesdits soldats, au moins une fois par mois, prendre part au
prêche protestant, tout en leur laissant les autres dimanches liberté
entière de visiter telle église qu'ils voudront. C'est ainsi qu'on les
habituera à se défaire des préjugés du peuple et qu'on les rendra aptes
à tirer du prêche protestant de campagne tout le profit qu'un homme
sensé doit toujours tirer d'un office divin bien arrangé.
» Voilà, dit le rapport de notre Diète, la parité promise et garantie
par les patentes de prise en possession du 5 avril 1815 et par l'art. 16
de l'acte constitutif de la Confédération allemande. »
De notre part, nous avons seulement à ajouter que tous les efforts
du bon sens ont échoué à faire disparaître ce règlement et cette
ordonnance.
CHAPITRE VIII.
L'ordre judiciaire dans la Prusse rhénane.
S'il est vrai ce que disait le représentent en mission Joubert à nou.s
Rhénans (proclamation du 24 thermidor an m), qu'une législation
claire et nette était un des signes caraciérisques d'un gouvernement
libre, il n'est pas moins vrai que le contraire est l'expédient ordi-
naire du pouvoir arbitraire et que, si les Français suivaient toujours
celle première roule, les Prussiens, en de vrais barbares qu'ils sont,
ont toujours suivi la seconde.
Comme premier signe de la confusion qui règne dans leur législa-
tion, nous devons signaler déjà le manque d'une publication uni-
forme des lois, relativement à quoi une ordonnance royale du
24 juillet 1826 déclare form llemenl :
« Que c'était une erreur de penser que, pour être obligatoire,
une loi devait nécessairement être publiée par le Bulletin des lois,
mais que si, pour quelque motif que ce fût, on le jugeait opportun de
s'écarter de la règ'e, de publier par exemple une loi par les recueils
de préfecture, personne ne devait contester l'authenticité des lois
ainsi publiées. »
Cette confusion est augmentée par la faculté accordée aux préfets
(régences) de publier des ordonnances pénales (art. 32 du règlement
dit 20 juillet 1818). On se plaisait d'abord à croire que cette faculté
n'était autre que le droit de développer, par des règlements d'exé-
cution, les lois existantes et ce fut dans cette pensée, et à l'occasion
de divers empiétements des préfets, que noire Diète demandait qu'on
énonçât dans ces règlement les lois qu'ils devaient développer. Mais
— iog —
c'était une erreur de penser ainsi et un arrête ministériel, en date du
7 janvier 1845, nous apprend :
« Que cette faculté de publier des ordonnances pénales ne se borne
nullement à la publication de règlements proprement dits et qu'il
n'était pas nécessaire non plus que ces ordonnances aient pris source
dans les lois existantes, mais que celle faculté accordée aux préfets
n'était rien moins qu'un « pouvoir tuwloi/ue an pouvoir léf/isla/if, Uttlg
véritable délégation d'un droit de souveraineté enfin. »
Elle est encore augmentée, pour parler même avec un commenta-
teur prussien, « par la particularité malencontreuse des lois prus-
siennes de ne donner jamais une phrase d'un seul jet, mais de ren-
voyer toujours d'une loi à une autre, d'un article à un autre, et
souvent même à des lois non piibjiées dans la parlie respective de la
monarchie, lesquelles lois à leur tour, renvoyent encore à d'autres
lois non publiées, de sorte qu'ilest humainement impossible de dire
ce qui est obligatoire ou non. »
Cette confus on alla en effet si loin qu'en 1833 déjà, notre Diète,
pour parvenir à une solulion des doutes pénibles et pour remédier à
un inconvénient trop sensible, « devait demander une spécification
exacte et authentique de tous les lois et règlements censés être en
vigueur; aussi bien qu'en 18i5,e!le se voyait obligée de demander des
formes précises et déterminées pour la promulgation des lois « afin
que le citoyen et le juge sachent ce qui était loi ou non,» et se
plaindre « que de simples raisons du roi, de simples décisions pour
un cas tout spécial lussent regardées et maintenues comme de véri-
tables lois et qu'on attribuait même à ces décisions royales le
pouvoir de modifier cl d'abroger les lois fondamentales du pays. »
Mais assez de ces observations préliminaires, entrons en ma-
tière.
On sait que ce n'est pas seulement depuis hier que les Prussiens
travaillent à l'abolissement de nos lois. Déjà sous l'administration de
leurs gouverneurs généraux, parmi lesquels nous rencontrons la
Une Heur des stipendiés de la Russie, ils commencèrent cette œuvre
quand, soit dit à l'éternelle gloire de notre magistrature, ils rencon-
trèrent une première et vive résistance de la part de nos juges qui se
jetèrent hardiment dans la brèche pour défendre le souverain bien
de notre province, nos immortels Codes français. Pour vaincre cette
résistance, le gouvernement usa de tous les moyens possibles : trans-
lation de notre cour de cassation à Berlin, suppression de sept tri-
bunaux de première instance, introduction successive de l'élément
prussien dans la magistrature (ordonnance royale du 19 no-
vembre 1818, règlement du 13 janvier 1819); mais toujours cette
H S.*."* 1
— 106 —
résistance l'obligeait de temporiser, de dissimuler pour quelque
temps ses projets, de rétracter même quelques disposions trop
choquantes, en rendant par exemple aux juges l'habit noir qu'un
arrête du 29 juillet 1814 leur avait déjà ôté comme « étant contraire
au droit des Allemands. »
L'activité des Prussiens, pour ces premiers temps, culminait donc
flans le soin d'introduire leur régime administratif et de police et les
changements apportés dans notre, législation civile et pénale avaient
plutôt pour but d'assurer l'introduction de ce régime que d'attaquer
t organisation judiciaire en son entier. En conséquence, il n'y avait
pas, dans cette période, d'autres changements que les suivants :
1. Abolissement des Conseils de préfecture et transfération de
leurs attributions, à part toutefois le jugement des contraventions en
matière de grande voirie, à l'administration proprement dite
(ordonnance des i février 1814 et 30 juillet 1818);
2. Introduction de la procédure pénale de la police, institution
essentiellement prussienne et dont nous parlerons plus tard (règle-
ment du 20 juillet 1S18) ;
3. Renvoi, devant les autorités administratives, de toutes contes-
tations personnelles avec l'Etat, surtout des plaintes formulées par
les anciens fonctionnaires français (ordonnance royale du i fé-
vrier 1823);
i. Application des lois prussiennes pour le jugement des injures
et des délits commis envers les fonctionnaires (ordonnance royale du
5 juillet 1819);
5. Application de ces mêmes lois pour le jugement des délits com-
mis par des Rhénans en pays étrangers et par des étrangers en pays
rhénan (ordonnance royale du 30 juin 1820) ;
6. Application des lois prussiennes pénales et de procédure pour
l'instruction et le jugement des délits politiques et des délits commis
parles fonctionnaires (ordonnance royale du 6 mars 1821).
Enfin, croyant la magistrature assez épurée, le gouvernement,
trompé par les rapports mensongers de ses agents, se hasardait
à l'attaque générale et un décret royal du 23 octobre 1826 proposait
l'introduction, pour le 1" janvier 1828, de tous les Codes prussiens
civil, pénal et de procédure.
Aussitôt ce décret connu, les Conseils municipaux de toutes les
villes, ainsi que le constate le compte-rendu de la session, s'assem-
blèrent spontanément pour adresser à la Diète les prières les plus
ardentes pour la conservation de nos institutions françaises, les-
quelles prières trouvèrent l'accueil le plus favorable de la part de la
myfittm
— 107 —
Diète qui rejeta fermement et unaniment toutes .es propositions
royales.
La suite immédiate de ce vote fut le retranchement du droit d'élec-
tion des villes, en ce qu'on restreignit le droit actif d'élection aux
seuls conseillers municipaux qui alors étaient simplement à la
nomination du gouvernement (ordonnance royale du 13 juillet 1827)
et une réprimande fulminante du roi (message royal du même jour)
« de ce que la Diète avait osé accepter ces adresses des villes et non
seulement de les accepter, mais de les présenter même à S. M. » et
t de ce que plusienrs chefs de la délibération avaient transpiré dans
le public, ce qu'il voulait toutefois attribuer plutôt à l'indiscrétion
de l'un ou l'autre de ses membres qu'à la Diète en sa totalité. » Mais
malgré ses réprimandes, le gouvernement jugea utile de « désister
en partie de ses projets et il se contenta de ne proposer pour la
nouvelle session (1828) que l'introduction de quelques-unes des lois-
prussiennes les moins choquantes, tandis que les principaux titres
de nos Codes devaient recevoir une nouvelle sanction royale. A cela
la Diète répondit aussi unanimement qu'aucune loi prussienne, quelle
qu'elle fût, n'était faite pour être introduite dans notre province et
que nos lois françaises n'avaient nullement besoin d'une sanction
royale, puisqu'elles existaient de droit. Pour mieux faire comprendre
ses instructions, elle ajouta encore une protestation en forme contre
les ordonnances royales prémentionnées, publiées depuis 1814,
comme étant contraires aux principes des Codes français. Cette pro-
testation fut réitérée encore dans la session suivante (1830). Comme
cette fois elle s'adressait plus particulièrement contre le régime de
police prussien, c'est ici le lieu de faire connaître ce singulier ré-
gime.
Commençons pour cela par dénoter son origine ou, pour mieux
dire, son introduction dans notre province, introduction remontant
au fameux règlement, dit de compétence, du 20 juillet 1818 où nous
trouvons à l'art. 18 la disposition suivante :
t Pourront les préfets (régences), par des mandements pénals,
prononcer des amendes jusqu'à 200 francs ou un emprisonnement
de quatre semaines, et seront lesdits mandements exécutés par la
voie ordinaire d'exécutions administratives. »
Examinons ensuite une à une, d'abord la nature, puis l'étendue
et la portée de ce pouvoir pénal, ensuite les formes sous lesquelles
et les autorités par lesquelles il est exercé, enfin les moyens de s'en
pourvoir.
Quant à la nature de ce pouvoir, nous ne saurions mieux faire que
de rapporter textuellement les paroles d'un commentateur officiel
-
(M. Oppenhoff, lois de compétence) qui s'exprime à son égard ainsi
qu'il suit :
« Il ne s'agit dans ces mandements pénals nullement de réprimer
une contravention ou un délit, mais de punir une simple désobéis-
sance; il s'agit d'abord d'obliger, par des mandements commina-
toires, une personne irrépréhensible en elle-même de faire ou
d'omeltre telle ou telle chose que la police lui ordonne ou défend et
puis de punir, par des mandements pénals, le manque cFobéts-
sance. »
Tant pour la nature de ce pouvoir, voyons maintenant son étendue
et sa portée. Sur cela l'auteur susdit n'est pas si clair, puisqu'il se
borne à dire :
« Tout en n'admettant aucun recours en justice contre ces man-
dements, la loi oublie de spécifier les actes auxquels elle entend ap-
pliquer une disposition si importante., Il est vrai qu'il sérail fort
difficile de donner une définition complète el embrassant tous les cas
possibles. »
Mais si ce commentateur hésite, la cour de compétence (cour
suprême pour le jugement des questions de compétence), elle, n'hé-
site pas et deux de ces décisions lèvent tous les doutes à cet égard.
C'est que, par ta première (du 16 avril 1853), elle qualifie de man-
dements de police « tous les ordres, sans exception aucune, donnés
par un agent de police dans l'exercice de ses fonctions ; » et par la
seconde (du 25 novembre même année) elle qualifie d'affaires de
police « tout ce qui ne serait chose seigneuriale ou financière; -
(objets du reste dont les préfets et régies prononcent pareillement,
mais sous un litre particulier, art. 15 el 16 du règlement du
20 juillet 1818).
D'après une autre décision de cette cour suprême du 3 juin 1856
tombent sous ce même pouvoir pénal les arrèls rendus par la police
en affaires purement civiles, si les autorités de police jugent utile d'y
intervenir, dans d'autres décisions, il est dit que ce pouvoir ne se
borne pas à prononcer ces peines el amendes, mais que les officiers
de police pourront encore faire exécuter la chose ordonnée aux frais
du retardataire.
En ce qui concerne les formes sous lesquelles ces arrêts seront
rendus el ces peines prononcées, ledit règlement ne dit mot, d'autant
plus clairement se prononce, à ce sujet encore, la cour de compé-
tence, dont deux décisions (du 7 juillet 1856 et du 2 octobre 1858)
posent :
« Que les arrêts comminatoires ne sont nullement sujets à des
formes déterminées, qu'un ordre donné verbalement suffit parfaite-
— ioç —
ment, qu'il ne faul pas non plus d'arrêts pénals en forme, mais
qu'une simple notification faite au prévenu, en quelque forme que ce
soit, suffit, également pour rendre exécutoires les peines et amendes
prononcées. »
Remarquons encore que, d'après une ordonnance royale du
6 mai 1836, ces arrêts ou notifications comportent saisie mobilière et
immobilière.
Comme autorités compétentes à exercer ce pouvoir pénal, le
règlement du 20 juillet 1818 ne désigne que les seule préfets, ce qui
n'empêche pas que deux resciils du ministre de l'intérieur du 27 fé-
vrier et du 13 mars 1843 ne revendiquent ce même pouvoir pour les
sous-préfets et les maires. Quant aux autorités compétentes pour
rendre des arrêts comminatoires, trois décisions de la cour suprême
(des 12 janvier 1856, 7 mars 1857 et 13 mars 1860) accordent ce droit
à tout agent ou employé de police, disant textuellement :
< ha loi ne faisant pas de différence entre les diverses catégories
d'agenls, il est indubitable qui; les employés de la dernière classe
même « tels que sergents de ville ou gendarmes, >■ sont pleinement
compétents de rendre ces arrêts comminatoires. »
Pour ce qui regarde enfin les moyens de pourvoi, une loi du
11 mai 1842 nous donne toute clarté désirable, en ce qu'elle porte :
« Art. 1". Contre les mandements de police, aucun recours en
justice n'a lieu, et cela pas plus pour des plaintes qui contesteraient
la légalité de ces mandements que pour celles qui contesteraient
l'utilité ou la nécessité de la chose ordonnée ou défendue; toutes
ces plaintes, au contraire, ne pourront être portées que devant l'auto-
rité administrative immédiatement préposée à celle qui ait ordonnée
ou prononcée. »
Lequel article est encore plus amplement expliqué par une déci-
sion de la cour de compétence du 17 octobre 1851 qui pose :
« Qu'aucune plainte tendant à établir l'incompétence de l'autorité
ordonnante ou prononçante ne peut être reçue en justice, puisque
celte plainte ferait précisément la légalité de l'arrêt.objet d'un examen
de juge. »
Contre une peine une fois prononcée, aucun recours administratif
même n'est possible si le prévenu ne s'est d'abord pourvu contre
l'arrêt comminatoire et même une exécution postérieure et volon-
taire de la chose ordonnée ne saurait lever la peine « puisque, >
ainsi que nous l'apprend un rescrit du ministre de l'intérieur du
14 août 1849, « autrement l'autorité des agents de police en souffrirait
et qu'il serait ouvert un champ trop étendu au mauvais vouloir et
aux tergiversations. »
■
— MO —
Nous pensons que le lecteur nous dispense d'un commentaire de
tout cela, et qu'il est temps de revenir aux travaux de notre Diète
(quatrième session, de 1833), où nous voyons le gouvernement
essayer de faire brèche dans les lois françaises par une proposition
d'un autre genre, par une proposition de réviser les anciennes lois
du pays, c'est-à-dire les lois antérieures à la domination française.
Cette proposition aussi fut rejetée à l'unanimité, la Diète déclarant
« que les lois françaises étaient bonnes et parfaitement adoptées aux
mœurs de la province qui ne voulait pas les voir modifiées ni en
faveur des lois prussiennes, ni en faveur des lois anciennes. »
Fatigué de ces échecs, le gouvernement prit le parti de suspendre
l'action de la Diète et de ne plus la convoquer avant de s'être renou-
velée par une nouvelle élection, pour laquelle il opérait non seule-
ment par une épuration à fond des Conseils municipaux devenus,
ainsi que nous l'avons vu là-haut, les collèges électoraux des villes,
mais encore par restreindre l'éligibilité dans les campagnes aux
seuls cultivateurs laboureurs (littéralement : cultivateurs labourant
eux-mêmes leurs champs et tirant de cette économie rurale leur
revenu principal) et aux maires et adjoints des communes, dans
lesquels personnages seulement il voulait reconnaître les vrais re-
présentants campagnards (arrêté du i avril 1835); procédés qui, du
resle, ne le servirent à rien, si ce n'est à exciter de vives protestations
de la Diète dans ses sessions suivantes.
Pour ce qui allait se passer dans la cinquième session, réunie en-
fin en 1837, nous n'avons qu'à renvoyer à notre chapitre sur le Droit
public, où nous avons vu le gouvernement tenter fortune de toute ma-
nière : par des propositions à révision des lois anciennes, par des
propositions à l'introduction des lois prussiennes, par de nombreuses
promulgations illégales enfin. Nous y avons vu la Diète rejeter tou-
tes les propositions et répondre aux ordonnances promulguées par
des protestations de la dernière vivacité, protestations qui, survenues
de l'irritation des esprits par suifede la captivitéde l'archevêque Clé-
ment-Auguste et soutenues surtout par l'attitude de la France, qui
enfin semblait se souvenir qu'il y avait encore deux millions de
Français sous le joug de l'étranger, amenèrent enfin le gouverne-
ment à lâcher bride et de faire déclarer au roi, par un message du
36 mai 1839:
« Qu'il n'entendait que faire réviser le Code pénal prussien sur
les principales bases de celui français, que les autres Codes français
resteraient absolument intacts ; qu'il les ferait même traduire en
allemand, que le Code pénal prussien révisé serait au surplus soumis
à la délibération de la Diète et que tous les projets ultérieurs sur
— III —
l'abolissement ou la modification des Codes français seraient défi-
nitivement abandonnés. »
Cependant on laissait subsister les ordonnances royales établis-
sant le régime de police et soumettant aux lois prussiennes les crimes
et délits de fonctionnaires, ce qui excita une nouvelle protestation
de notre Diète dans sa 6 1 "' session (1841) qui dénonçait non seule-
ment oes ordonnances comme une violation flagrante de la Consti-
tution, mais comme un défi jeté à la face de la' civilisation, en ce
qu'elles violaient à la fois le principe de la publicité et de l'oralité des
procédures et celui de l'égalité devant la loi, « principes adoptés par
toutes les nations civilisées et surtout invétérés dans l'esprit rhénan.»
Dans la session suivante (la 7 n,c , réunie en 1843) le projet du nou-
veau Code pénal prussien révisé fut soumis à la délibération de la
Diète. — Cette délibération mérite une attention particulière :
D'abord la Diète, dans son rapport unaniment adopté, ne doute ni
de la nécessité de réviser le Code pénal prussien, ni du désir de la
vieille Prusse de se voir dotée d'un régime pénal plus en accord
avec les exigences des temps modernes. Mais quant au pays rhénan,
c'était chose entièrement oporée : là, jamais aucun besoin de révi-
sion ne s'étail fait sentir, aucun désir de modification n'eut jamais
été exprimé ; là. la magistrature, aussi bien que le peuple, étaient
tous d'accord de regarder le Code pénal existant i comme partie
intégrante et concordante de toutes ces institutions françaises si chères
aux Rhénans et qui toujours avaient été considérées comme parfaite-
ment adaptées aux habitudes, usages, mœurs et sentiments delà pro-
vince. » — Elle déclare donc devoir décliner l'honneur de participer
à cet œuvre de révision.
Toutefois, « comme il serait à craindre que le projet, délibéré déjà
dans les autres Diètes de la monarchie, ne fût, à l'exemple de tant
d'autres promulgations illégales, promulgué par voie d'ordonnance
royale,» la Diète ne voulant pas assumer sur elle la responsabilité
grave de voir octroyer ce Code sans que la voix de la province se
soit prononcée sur son détail, elle croyait de son devoir d'exa-
miner les diverses disposilions du nouveau projet, mais non sans
faire précéder et suivre le procès-verbal d'examen de deux protes-
tations expresses, constatant les vues et motifs ci-dessus exprimés.
Il ne serait pas besoin, vu le jugement de condamnation una-
nime de la Diète, d'énumérer ici une à une les objections portées
contre ce Code prussien « révisé 1 et avec cela contre les horreurs de
la nouvelle juridiction de la Prusse, si la crainte ci-dessus exprimée
ne s'était réalisée et que les principes de ce projet ne fussent passés»
soit ouvertement, soit en cachette, dans les lois prussiennes octroyées
w
k-mj
— 112 —
et imputées depuis à noire province, notamment dans l'ordonnance
royale du 9 février 1849 sur la police des industries, le Gode pénal
prussien du U avril 1851, la loi rétablissant la cour spéciale pour
crimes et délits politiques du 25 avril 1853 et le Code de commerce
prussien du U juin 1861, et qu'ils ne représentassent ainsi le droit
pénal actuellement en vigueur dans la province.
Ces objections s'adressaient d'abord contre sa tendance générale
« de laisser à l'arbitraire des juges une trop grande étendue de pou-
voir et en plaçant d'autre part ces mêmes juges en conditions qui
faisaient craindre que la liberté de leurs votes et de leur conscience ne
fût à l'abri d'enquêtes disciplinaires. » (On se souviendra à cet égard
de certaines enquêtes pour voles en procédures de presse dont par-
laient les journaux de l'Allemagne du Sud comme ayant eu lieu, en
1845, au sein du tribunal de Diisseldorf.)
En second lieu, elles s'adressaient contre le système des peines.
Commençant par constater que, si le gouvernement prussien avait
toujours reproché à notre Code français trop de rigueur, le nouveau
Code prussien ne péchait pas par trop de clémence, mais le surpas-
sait encore en rigueurs ; la Diète signale ensuite que ce nouveau
Code violerait ouvertement le principe de l'égalité par devant juge
et loi, en admettant pour un seul et même délit des peines différen-
tes, prononcées selon l'état et les conditions de fortune des coupa-
bles; qu'il admettait, par exemple là, où, pour les classes laborieu-
ses il ordonnait la réclusion, pour les classes aisées la détention ou
même un simple emprisonnement ; puis après avoir relevé le prin-
cipe si éminemment prussien des demi-peines lors d'une conviction
incomplète des juges, elle finit par dénoncer l'introduction des
peines corporelles, peines disparues déjà longtemps avant 1789 de la
législation rhénane et qui n'y pourraient reprendre place « que si
l'on voulail arracher violemment du cœur humain le sentiment delà
dignité d'homme. »
En troisième lieu, plusieurs changements apportes à la compétence
des tribunaux, notamment:
1° La restriction de la compétence des cours d'assises, de la
cognation desquelles, selon l'expres>ion textuelle de la Diète.on vou-
lait arracher précisément toutes les -affaires où l'on devait attacher
un prix à être jugé par ces concitoyens, « pour ne laisser à ces cours
que le jugement du rebut de la race humaine ; »
2° La compétence exceptionnelle de certaines cours et tribunaux
pour le jugement des crimes et délits politiques ;
3° La faculté accordée au ministre de la justice de nommer et de
« députer à temps » des juges-suppléants auprès ies tribunaux, « ce
— "3 —
qui serait surtout dangereux pourle jugement des délits politiques •
(on sait que la fameuse décision du (ribunal supérieur établissant la
responsabilité des discours parlementaires ne fui obtenue qu'à l'aide
de ces « juges-suppléants député temporairement audit tribunal » ) ;
4° La faculté donnée aux tribunaux de police correctionnelle de
prononcer des peines affliclives et infamantes;
5" La compétence trop étendue (de prononcer des amendes jus-
qu'à 200 fr. et un emprisonnement de six semaines) des tribunaux
de simple police, inconvénient plus senti encore « parce que le gou-
vernement semblait s'en faire un devoir de ne nommer à ces places
que de jeunes jurisconsultes prussiens manquant à la fois de l'indépen-
dance et de la maturité de caractère nécessaires à ces fonctions. »
Suivirent, en quatrième lieu, des objections de toute nature con-
tre le projet auquel on reprochait, outre certaines dispositions
draconiques pour la punition des crimes et délits politiques:
1" De s'écarter des principes universellement reconnus pour la
prescription (la prescrip;ion prussienne est chose la plus fantas-
tique du monde : tout écrit ou ordre verbal, donnés secrètement et
ne voyant jamais le jour, l'interrompt) ;
2° De violer en plusieurs endroits le principe: tSinelege, nulta
pœna; »
3° D'étendre démesurément, et d'une manière aussi inconvenante
qu'indécente, l'obligation de révéler les crimes et délits (voir encore
à cet égard le chapitre sur les Affaires religieuses) ;
4° De consacrer, par plusieurs de ses dispositions, les anciens abus
des corps de métier, notamment le droit de punition des maîtres
envers les employés ;
5° De rendre illusoire l'obligation de tenir les livres de commerce
et d'ouvrir ainsi la porte à toutes sortes de fourberies;
6° D'être, en général, peu clair dans ses dispositions sur l'escro-
querie et l'abus de confiance ;
7° D'être par trop indulgent pour les délits des fonctionnaires et
employés, tandis que
8° Les dispositions pénales contre les ecclésiastiques dépassaient
toute mesure ;
9° De prohiber non seulement le droit de pétitionner, mais toute
discussion d'affaires publiques ;
10° De mettre, dans ses dispositions sur la punition des injures
faites aa roi, aux princes et aux fonctionnaires (on punit aussi les
injures envers des rois, princes et fonctionnaires décédés) « 17m-
teire tellement aux fers que tout conte historique et toute description
d'affaires publiques, même des plus loyaux, étaient littéralement im-
- U4 —
possibles, et que le silence absolu pourrait seul garantir de peines et
poursuites judiciaires. » (Faisons remarquer ici que nous parlons
toujours d'après le texte du rapport.)
Comme il était à présumer, ces objections s'adressèrent aussi à la
rédaction du projet, auquel on reprochait en dernier lieu, outre une
ambiguité bien accusée dans plusieurs de ses dispositions'et dénomi-
nations, de donner des définitions trop générales pour les actions
criminelles, ce qui avait surtout lieu, et au point de ne pouvoir pas mé-
connaître l'intention, dans le chapitre sur tes crimes et délits diiclerqé
et puis de porter souvent les peines indirectement, par renvoi à
d'autres lois ou articles, ce qui ne devrait avoir lieu dans un Code
bien organisé et qui rendrait surtout impossible la lecture et l'in-
sertion des textes de loi dans les jugements.
Après avoir renouvelé ici encore une fois les deux protestations
mises a la tète du procès-verbal, la Diète conclut dans les fermes que
voici : i
« Que le projet déposé soit, dans les provinces de la vieille Prusse
regardé comme un progrès, le peuple rhénan ne peut y voir que le
coup mortel porté à ses institutions les plus chères, ne peut y voir
qu'une violation des droits d'homme, qu'une attaque à la civilisa-
tion, qu'une humiliation à la dignité humaine, et la Diète manquerait
gravement à ses devoirs et tromperait indignement les vœux de ses
commettants en ne s'opposant pas de foules ses forces et en ne pro-
tesfant de la manière la plus solennelle contre son introduction dans
la province. Elle ne peut donc que prier instamment et unanimement
Sa Majesté de vouloir bien se désister de ce projet, de le prier de vou-
loir laisser intacte la législation pénale existante, ou si, comme on le
prétextait à tort, la sûreté de l'État exigeait impérieusement sa mo-
dification, de faire composer un nouveau Code pénal qui, conforme
aux promesses de son prédécesseur, serait au moins basé sur les
principes de celui français. »
Que cette attente ne se réalisait pas, le lecteur nous croira sur
parole. Au lieu de cela, il s'ensuivit une réprimande fulminante de la
part du roi, qui, dans un message du 30 décembre 1843, reprochait
à la Diète * de n'avoir fait preuve d'un examen impartial et exempt
de préjugés, » et déclarait t ne pouvoir adhérer à sa demande et d'au-
tant moins qu'il s'était posé pour tâche principale de favoriser partout
et par toutes sortes de moyens les mœurs et sentiments allemands. »
A ce message, la Diète répondit par une protestation des plus vives
où elle déclarait formellement :
« Que, bien que ses membres, pour leurs actions et discours, fus-
sent soumis aux lois pénales, leurs délibérations étaient inattaquables
— us —
dans leurs molifs, motifs dont ils ne devaient compte à personne et.
pour lesquels ils n'étaient responsables qu'à leur conscience;
» Qu'on ne devait voir en eux des conseillers soumis ou des servi-
teurs humbles et obéissants, mais bien un corps d'Etat indépendant,
légalement constitué et appelé par la Constitution aux travaux de la
législation ; corps qui était résolu, en tout cas et à tout événement,
de soutenir et de défendre ce droit de représentation, droit que nos
pères avaient exercé dans un degré indéfiniment plus étendu;
» Que la Diète devait demander et qu'elle demandait en effet que le
roi voulût reconnaître dans ses délibérations unanimes la voix una-
nime de la province;
» Que, comment aussi le roi voulait penser des lois françaises et de
quel œil il voulait les regarder, pes lois étaient devenues la propriété
de la province, étaient estimées de la science autant que de la magis-
trature et de tout le peuple rhénan ;
» Qu'il ne s'agissait d'ailleurs de tâches qu'il s'était proposées,
mais bien « des promesses » données à plusieurs reprises par son
prédécesseur, e^ renouvelées solennellement et récemment dans son
message du 26 mars 1839; et, qu'en définitive, la Diète ne saurait
jamais croire que le roi dût ainsi manquer à ces promesses et mécon-
naître les vœux les plus légitimes de la province. »
A cette protestation cuirassée, la Diète en joignit, d'autres et plus
tranchantes encore contre les ordonnances royales signalées là-haut
et dont elle fit l'objet d'un examen spécial. Si le rapport sur le projet
de Code pénal prussien « révisé » nous a fait voir les beautés du droit
pénal matériel de la Prusse, cet examen nous montre dans toute leur
splendeur celle de la procédure prussienne. Mais qu'on entende la
protestation elle-même qui commence par dire :
« Ce n'est plus ta procédure française, la procédure publique et
verbale, mais la procédure prussienne, la procédure secrète et par
écrit, qui est employée pour les crimes et délits politiques. L'une des
propriétés de cette procédure, c'est que les jugements et arrêts
doivent être confirmés par le ministre de la justice. Les suites qui en
résultent, le cas suivant nous l'apprend :
« Théodore Brux, marchand horloger à Bruxelles, était prévenu
d'avoir pris, par ordre du gouvernement belge, des informations sur
l'organisation politique et militaire de la Prusse. Acquitté en dernière
instance, par jugement du tribunal d'Aix-la-Chapelle du 16 fé-
vrier 1833, ce jugement fut envoyé au ministre de la justice pour
recevoir sa confirmation. Celui-ci rescrivit, en date du i juin même
année « qu'en vertu de la faculté à lui réservée par la loi, il avait
envoyé les actes au tribunal de Magdebourg pour en prononcer de
Ii6 —
nouveau ; ce jugement du tribunal de Maydebourg, il l'avait confirmé,
celui du tribunal d'Aix ne pourrait, faute d'approbation ministérielle,
être considéré comme « une disposition de jugement, » comme une
« ébauche. • Le ministre charge ensuite le tribunal d'Aix de publier
le jugement confirmé. Et il s'ensuivit le jugement suivant :
« Dans la procédure intentée contre le sieur Th. Brux, les actes,
» par ordre du minisire, ayant été envoyés au tribunal de Magde-
» bourg, ce tribunal ayant prononcé, et le ministre ayant approuvé
» son arrêt, le tribunal d'Aix-la-Chapelle, en vertu de ce jugement
» confirmé du tribunal de Magdebourg,
i Déclare :
» Le sieur Brux est condamné, pour crime de lèse-majesté au
» troisième degré, à dit ans de réclusion. »
» De par la loi. »
» Autre propriété que nous présente cette procédure, c'est la
faculté accordée à ce mèm- ministre, de réprimander le* cours et
tribunaux pour jugements par eux rendus. — En foi de quoi la Diète
cite un rescrit ministériel du U avril 1837, dans Jequel il est dit
textuellement : «Sa Majesté a réprouvé l'arrêt rendu par le sénat accu-
sateur et m'a chargé de le rectifier à fond, » et ne manque pas
d'ajouter que, si de telles réprimandes s'adressaient à la cour
suprême de la province, il n'y avait rien d'étonnant que les tribu-
naux inférieurs dussent en avaler de plus fortes encore, telles que
celles-ci, contenues dans un rescrit ministériel du 13 décembre 1834,
qui leur reproche :
« Leurs aspirations très-blàmables de contrarier les intentions
de la police administrative, <> leur reproche » d'interpréter mal les
ordonnances pénales de la police, de réprouver souvent ces ordon-
nances pour des motifs frivoles, d'aquitter les contrevenants sous
prétexte que la contravention ne soit pas punie sous aucune peine, etc. ,
de tels procédés seraient par trop préjudiciables aux intérêts de l'Etat
pour être plus longtemps tolérés. Si cela ne changeait, il ne manque-
rait pas d'intervenir promptement et de députer, aux frais des juges,
un référendaire prussien auprès de tes tribunaux, pour que les juges
apprissent de celui-ci comment faire et comment envisager les
choses. »
Sur ce même ton, un rescrit ministériel du 26 janvier 1833 re-
proche aux présidents des tribunaux et aux procureurs» du roi «leur
manque de zèle pour la poursuite des délits politiques, • leur re-
proche » de ne pas mener assez sévèrement les procédures, d'user
de trop de modérations envers les inculpés, de n'avoir pas en vue le
but véritable de ces procédures.
■Ml
- 11/ -
Le 3 août 1835, ainsi que continue la protestation, un petit tumulte
a lieu à Berlin, et quinze jours après, le 17 du même mois, voilà
toute la monarchie gratifiée d'une ordonnance royale, lisant au plus
haut degré la liberté individuelle. Voici ses principales stipu-
lations :
1* Tout cri ou sifflement à l'occasion d'un tumulte est puni d'une
punition corporelle, puis de travaux forcés ou d'emprisonnement
simple;
2" Eu cas que le tumulte ait été accompagné de menaces, il sera
prononcé en tout cas l'application' d'un nombre de coups de fouet
donnés à rentrée et à la sortie de la prison ;
2° La relation du fait sera dressée par le commandant de la force
armée ; toute autre publication sera interdite;
4" Seront responsables des dégâts causés dans le tumulte, tous les
assistants qui ne se seraient' éloignés à la première sommation de la
police ;
5° L'instruction de ces délits se fera en procédure sommaire.
Cette procédure, établie par l'ordonnance royale du 30 septembre
était, en effet, assez sommaire : i La punition corporelle et un empri-
sonnement de quinze jours prononcés par le commissaire de police;
pour le reste, un simple interrogatoire par devant le commissaire de
police ou juge-commissaire, après quoi le tribunal prononce, « sur
la vue des actes, » et bien entendu à l'exclusion dé tout défenseur
pour les inculpés dont la peine ne dépasserait un emprisonnement
d'un an; « voilà tout. >
Après avoir signalé ici d'autres horreurs encore, introduites par
des ordonnances royales, parmi lesquelles nous ne voulons citer que
celles-ci : juridiction exceptionnelle pour délits politiques et pour les
fonctionnaires, procédure secrète et par écrit pour ces délits, inter-
jections de fins de non-recevoir dans tous les procès qui pourraient
en quelque sorte être désagréables aux fonctionnaires, la faculté
accordée à la police de faire des perquisitions et d'ordonner des
arrestations t sans que, » ainsi qu'il est dit. dans une de ces ordon-
nances, « la justice en eut à s'immiscer » et à propos de laquelle et
pour preuve sur quels bien légers indices ces arrestations avaient eu
lieu , la Diète cite un cas qui venait de se passer (1843) à Sarreville,
où un habitant de cette ville, pour prétendu délit politique, fut tenu
trois mois en prison, pour, rendu en lin à la police judiciaire, être mis
hors de poursuite après le premier interrogatoire ; après avoir
signalé, disons-nous, ces horreurs, la protestation conclut ainsi :
« Abstraction faite de la peine avilissante de punition corporelle'
abstraction faite des larges conceptions pour la culpabilité, il faut
8
f fle». ■■
— m$ —
constater que ces ordonnances vont établir des principes ioouis
inconnue dans les Etats civilisas. Le drou; de ta défense restreint'
aboli même pour affaires comportant emprisonnement d'un an ; un«
procédure exceptionnelle <H sommaire pour délits politiques,' une
juridiction accordée à la police, un pouvoir illimité accordé à l'admi-
nistration des juges prononçant sur la mie des actes, l'indépendance
de la magistrature détruite, ta liberté individuelle anéantie, les sen-
timents du droit et de l'honneur violemment arrachés ; voilà les
principes destinés à remplacer les idées de 1789. Certes, l'histoire
prussienne de tout temps montre beaucoup d'exemples d'empiéte-
ments de monarques, et même de grands monarques (textuelle-
ment — allusion et réponse bien visible à l'histoire controuvée du
Moulin de Sans -Souci) dans l'administration de la justice, mais
jamais l'arbitraire et le despotisme n'ont été aussi ouvertement pro-
clamé droit public comme à présent. Quant à notre province en par-
ticulier, jamais un droit approchant seulement à celui que nous
venons de peindre n'a existé. •
Après cet examen des ordonnances dans leurs péchés confie la
civilisation, la Diète passe à leur examen au point de vue du droit et
vient à la conclusion « que ces ordonnances constituaient une viola-
tion manifeste de la Constitution du S juin 1.823, que jamais elles
n'eussent pu recevoir la sanction royale si, un moment seulement, on
avait voulu se représenter la situation du droit, créée parcelle Consti-
tulion, que le ir abolition immédiate se devait donc attendre de tout
monarque qui ne voudrait se rendre coupable d'un manque de foi
jurée. »
Une troisième protestation avait pour objet l'humiliation de h»
magistrature rhénane. Avant de nous y engager, deux mots seule-
ment sur l'éducation des jeunes jurisconsultes.
Celle éducation, qui déjà avait donné lieu à une protestation de
la Diète en 1831, était de tout temps un des principaux soins du gou-
vernement. Nous avons vu, dans le chapitre sur V Enseignement
supérieur, qu'il n'y a pas d'examens ni dans les facultés de droit, ni
dans les universités en général et que tous les examens, sans excep-
tion aucune, se font par devant des commissions d'examens compo-
sées de fonctionnaires. Nous y avons encore vu que les grades con-
férés dans les universités ne sont que purement honorifiques et ne
donnent aucun droit pour la vie pratique. C'est ainsi que le grade de
• docteur en droit » ne donne lieu qu'à la remise d'un simple examen
préparatoire. Non content de cela, tous les candidats, les docteurs en
droit y compris, avant d'être admis à ces examens, doivent se pré-
munir d'une permission préalable, délivrée par les président et pro-
■HH
— 119 —
cureur du tribunal de leur résidence. Les instructions pour la déli-
vrance de ces permissions sont fort précises : un règlement du
16 février 1832 recommande à ces présidents et procureurs « d'exa-
miner soigneusement la conduite des candidats dès leur première
jeunesse, d'examiner surtout leur conduite dans les écoles moyennes,
de s'assurer de la déférence du caractère et des sentiments qu'ils y
ont manifestés. Tout paternellement le règlement ordonne « de ne
s'arrêter trop aux écarts ordinaires de la jeunesse, mais d'exclure
d'autant plus rigoureusement tous ceux qui, dans ces écoles ou plus
tard, se seraient montrés rénitents à l'ordre public, aux autorités
et aux institutions d'Etat ou qui seulement n'auraient pas été animés
des meilleurs sentiments patriotiques.
Dans les universités, tout est arrangé de manière à écarter ou à
entraver l'étude du droit français. Déjà, une ordonnance royale du
31 décembre 1836 soumettait les étudiants aux lois et à la procédure
prussiennes; en même temps, l'étude régulière du droit prussien fut
prescrite par les « guides d'études » dont nous avons fait la connais-
sance dans le chapitre sur V Enseignement supérieur; enfin, un
rescrit du ministre de la justice, du 5 octobre 1839, fit de cette étude
une condition expresse de l'admission aux examens.
lien fut de même pour les instructions devenues publiques; dans
la pratique on était allé beaucoup plus loin et une protestation de
notre Diète, en 1843, nous apprend que l'enseignement du droit
français qui, auparavant déjà, avait laissé beaucoup à désirer, avait
tout à fait cessé, et que l'examen principal devait se passer à Berlin,
par devant une commission d'examen à laquelle n'assistait qu'un seul
jurisconsulte rhénnn. Encore cette protestation nous apprend-t-elle
qu'on ne demandait aux juges et auditeurs prussiens, à leur entrée
dans la magistrature rfiénane, d'abord « aucunes t et puis, après
quelque temps de service « quelques connaissances générales » seu-
lement du droit français, tandis qu'en même temps, on demandait
aux Rhénans « une connaissance toute spéciale et approfondie du
droit prussien; » il en résulte de plus que ces intrus prussiens ne
se rangeaient pas d'après la date de leur entrée dans la magistrature
rhénane, mais d'après la date de leurs entrée en service dans la
vieille Prusse, mesure qui a elle seule devait détruire tout avenir
des Rhénans, si même ils eussent voulu passer par de telles condi-
tions.
En continuation de cette protestation, celle de 1845 prenait pour
objet spécial une ordonnance royale, nouvellement émise (du 29 mai
1844) sur la discipline des juges et qui comptait parmi les peines
disciplinaires « la dégradation des juges. » Sans doute le lecteur s'ar-
^H
— I20 —
rélera ici pour demander s'il a bien compris. Mêlas ! il n'a que trop
compris et il s'agissait effectivement de la peine de « dégradation, »
d'une peine qui, ainsi que le relevait la protestation, « jusqu'alors
n'avait été connue que dans l'armée, d'une peine qui permet qu'un
juge, trouvé indigne de l'administration de la justice dans un poste
élevé, continue ses fonctions magistrales dans une position inférieure,
qui permet qu'un conseiller à la Cour d'appel, destitué de ses fonc-
tions, fonctionne dorénavant comme juge au tribunal de première
instance, qu'un juge au tribunal de première instance, destitué, fonc-
tionne par la suite comme juge de paix. » Il va sans dire que celte
ordonnance n'oublia pas les peines secondaires, telles que déplace-
ment involontaire et autres et nous pourrions nous reposer à cet
égard si un cas tout spécial y prévu ne demandait pas une mention
particulière. Ce cas spécial, c'est le procédé à observer s'il s'agit
d'éloigner un fonctionnaire auquel on ne sait faire aucun reproche
sérieux, ou pour parler textuellement avec l'ordonnance royal (du
-26 août 1826, ordonnance donnée primitivement pour les fonction-
naires de l'ordre administratif, mais déclaré applicable aux magis-
trats par celle du 29 mai 1844) « sHl faut éloigner m fonctionnaire
non pour crime vu délit, non pour incapacité ou inconduite, maisponr
d'autres défauts qui cependant ne permettent pus de faire une propo-
sition n destitution. » En ce cas, le fonctionnaire on magistrat est
simplement uns à la retraite, sans forme de procédure et jusqu'à,
ainsi que dit textuellement l'ordonnance « sans qu'il y ail besoin
d'une articulation des faits. • Pour montrer quel prix le gouverne-
ment attache à cette procédure, l'ordonnance la déclare, applicable
encore aux fonctionnaires et employés qui n'auraient pas acquis
encore un droit à la pension et qui, par le seul fait de l'application
de cette procédure, acquièrent ce droit. Après avoir constaté ici que
l'ordonnance ne mentionne ni les motifs ni les faits ou articles qui
donneraient lieu à cette procédure et qui seraient laissés ainsi au bon
plaisir, des préfets, la Diète conclut enfin que les effets de l'ordon-
nance ne seraient autres < que de détruire l'indépendance de la
magistrature non seulement dans le fait, mais dans le principe
même. >
Pour nous, constatons que ce procédé fui dernièrement encore
(1867) mis en pratique contre le dernier Rhénan, resté à l'adminis-
tration communale, contre le vénérable baron de Loë, sous-préfet
de Clèves; mais abstenons-nous de tout commentaire d'une ordon-
nance sur laquelle l'auguste auteur pensait sans doute comme nous
lous, lorsqu'il disait en terminant :
« Il ne faut pas que cette ordonnance soit publiée, ni par le Bulletin
— 121 —
des lois, ni par les recueils administratifs, ni d'une autre manière ;
il suffira au contraire parfaitement qu'elle soit envoyée aux préfets
pour, le cas échéant, être communiquée aux prévenus par le procès-
verbal qui leur annonce l'ouverture de la procédure. »
Pour marquer enfin d'un seul trait la situation exacte de la magis-
trature prussienne, citons simplement un rescril du ministre de la
justice du 8 m;i".s 1839 qui autorise les juges de paix « de se faire
payer, par les propriétaires des fonds, une rémunération (à raison de
30 centimes pur jugement) pour tout jugement qu'ils prononcent en
matière de police forestière, mais bien entendu pour tout jugement
portant condamnation seulement. »
A côté de celte proteslation, une autre, ayant pour objet spécial
la discipline des membre du barreau, se dirigeait pari irulièrement
contre une ordonnance royale du 7 juin lSli, dont voici les princi-
pales dispositions :
Réunion du Conseil de discipline des avocats à celui des avoués,
restriction de l'éligibililé à ces derniers, abolition du droit d'appel
pour les arrêts portant suspension ou cassation, mais, par contre,
ce droit accordé au ministère public pour les arrêts portant acquit-
tement ; obligation pour le Conseil de donner suite à tout réquisi-
toire du procureur du roi, même s'il ne le juge pas fondé ; procédure
secrèle ; les témoins entendus en absence du prévenu et par-devant
le juge-commissaire seulement; faculté accordée au ministre de la
justice de prononcer de son chef toutes les peines jusqu'à la desti-
tution, celle-ci comprise; en un mot, ainsi que s'exprimait la Diète,
le contraire de ce qui avait été établi à cet égard par la législation
française de 1822.
Qu'on se figure ces mesures disciplinaires contre une profession
dont les membres, pour la majeure partie descendants de Prussiens,
sont tenus aux mêmes examens par devant des commissions royales
d'examen que les juges, et puis sont choisis avec soin et nommes par
le ministre de la justice, qui doivent, justifier « des mêmes certificats
de déférence de caractère et de conduite politique » comme eux, et
qui enfin sont placés en d'excellentes conditions financières (car les
fonctions d'avoué peuvent être cumulées avec Vavocature et ces deux
sortes de places sont limitées à un nombre déterminé et asse;- restreint)
et l'on pourra juger soi-même si la Diète était dans le vrai quand
elle conclut « que désormais on ne pourrait plus parler d'une liberté
de défense quelconque. »
Pour finir enfin une bonne fois avec toutes les questions de disci-
pline, disons encore que si la procédure disciplinaire est pas trop
rigoureuse et humiliante pour les fonctionnaires, la procédure juri-
I
122 —
dique intentée contre eux pour crime et délits communs est, ainsi
que le relevait déjà notre Dièle, par trop indulgente. Rien ne saurait
mieux peindre les idées prussiennes sur ces crimes et délits que
deux ordonnances royales (du 8 décembre 1824 et du H juin 1829)
dont la première porle que le traitement retenu pendant la détention
préventive d'un fonctionnaire lui soit payé après condamnation,
« si cette condamnation prononce des peines criminelles, mais non ta
cassation; » et dont la seconde exempte ceux des fonctionnaires et
employés dont le traitement est au-dessous de 1,200 francs, de tout*
retenue pour amendes et dépens résultant d'une condamnation juri-
dique. Cependant une justice sévère serait justement ici à sa place,
comme cela prouve l'ordonnance du gouverneur général du 25 juin
1815 qui • pour mettre fin aux détournements effectués dans les
hospices militaires » devait punir les employés de ces établissements
« de coups de verges appliqués publiquement. »
Ce mépris de la justice est d'ailleurs la conséquence forcée de ce
principe prussien assez connu « de n'admettre pour les fonction-
naires d'autre juridiction que celle de leurs supérieurs, « principe qui
non seulement est appliqué en cas de poursuite d'office, mais encore
dans les poursuites civiles. En effet, une ordonnance rovale du
25 avril 1835 soustrayait-elle formellement les fonctionnaires de la
juridiction ordinaire, en ordonnant que toutes les plaintes intentées
par des particuliers contre des fonctionnaires pour délit commis dans
l'exercice de leurs fonctions aussi bien que pour insultesidifjamations
etvoiesdefait seraient déchues si le fonctionnaire déclarait vouloir ^re
jugé par ses supérieurs. Il est vrai que cette ordonnance est rempla-
cée parla loi du 13 février 1854 et qu'aujourd'hui ces plaintes ne
sont plus déboutées sommairement, mais une à une, par le moyen
de fins de non-recevoir.
Ces idées singulières du gouvernement prussien sur la judicature
percent surtout dans les nombreuses commutations de peines et abo-
litions de procédure qu'il se permet. C'est ainsi que, précisément
aux temps de nos persécutions religieuses, dans un temps ou quicon-
que osait seulement lire à un voisin un mandement ou une allocu-
tion du pape, devait être transporté immédiatement dans une forte-
resse, nous le voyons abolir une procédure criminelle intentée cootre
un jeune scélérat, fils d'un officier général, qui s'était rendu coupable
de cinq vols qualifiés; c'est ainsi que nous le voyons, il y a quelques
années, gracier un journaliste ministériel (M. Lindenbcrg) condamné
sur les diligences d'une partie civile pour diffamations et injures
graves envers des particuliers ; c'est ainsi que nous le voyons, tout
récemment encore, rendre noblesse el titres à un percepteur wp-
— 123 —
damué pour malversations, tandis qu'un journaliste qui, en relatant
ce fait, au lieu de dire « que la noblesse avait été rendue au con-
damné, » avait dit « que le condamné avait été rendu à la noblesse, »
devait, pour ce calembourg seulement, passer quatre semaines en
prison.
En revenant aux travaux de notre Diète, il faut encore signaler
qu'une proposition du gouvernement tendant à modifier le Code de
commerce dans le sens qu'il serait permis aux sociétés commerciales,
aussi bien qu'aux simples commerçants, d'acheter des raisons et de
se servir de noms empruntés, fut rejelée à l'unanimité, comme lésant
gravement et la sûreté et la moralité du commerce. Constatons ici que
ces modifications ainsi rejetées par la Diète furent introduites plus
tard par le Code de commerce prussien du 24 juin 1861.
Nous avons vu, dans le chapilre sur le Droit public, qu'une protes-
tation solennelle contre les violences exercées contre tous ceux qui
osaient se souvenir que le pasleur du itiocèse était en fers, termi-
nait dignement les travaux de celte huitième et dernière Diète rhé-
nane. Nous y avons vu qu'elle ne fut plus convoquée depuis, mais
qu'à la première nouvelle de la révolution de février ses principaux
membres se rendirent en députation pour Berlin, qu'ils y atteigni-
rent le but poposé, qu'une ordonnance royale du lfi avril 18-48 révo-
quait tous les changements apportés à notre législation française et
i établit en entier nos Codes.
Nous y avons également vu que cette condescendance satisfit tel-
lement notre province que non seulement elle s'abstenait de tout
mouvement révolutionnaire, mais qu'elle se mit bravement en devoir
de seconder un gouvernement qui se montrait enfin juste envers les
aspirations nationales.
Et quelle en a été sa récompense?
A l'heure qu'il est, nous voyons notre Diète abolie, notre Cour de
cassation supprimée, notre magistrature détruite, la province mise en
l'ers dix fois plus pesants qu'auparavant.
A l'heure qu'il esl, tout, doute a disparu et il est devenu clair à l'œil
le moins clairvoyant que cette ordonnance du 15 avril n était qu'une
leurre, qu'une manoeuvre d'apaisement, n'était, aussi bien que la
promesse de 1839, autre clwse que le produit de la faiblesse tremblant
devant le danger.
A l'heure qu'il est, voilà non seulement rétablies les horreurs des
ordonnances, mais introduits tous les autres principes prussiens
dont la résistance de la Diète nous avait préservé jusqu'alors.
Il est vrai que le mot « dégradation » est évité dans les nouvelles
productions législatives, que les « rémunérations pour jugements »:
— 124 —
sont remplacées par de forts droits casuels (loi du 23 mai 1S59) que
la punition corporelle n'est plus décernée que par les directeurs de
prison.
Jl est encore vrai que nos adversaires nous présentent la nouvelle
soi-disante représentation prussienne comme étant prévue et approu-
vée même par notre Diète, comme, étant en quelque sorte son légi-
time successeur.
MeiiMHiges que tout cela !
Pour s'en convaincre, or. n'a qu'à lire les actes de notre Diète
m session) où, en effet, cette question fut soulevée et où à la vérité
< pour parvenir enfin à un contrôle de la comptabilité générale et
pour obvier à l'inconvénient déjà trop senti que, pour les lois géné-
rales et même pour celles les plus opposées à l'esprit des provinces
civilisées de la monarchie, le gouvernement put toujours se fonder
sur l'adhésion de quelques-unes des Diètes particulières de la vieille
Prusse» la Diète approuvait une Diète générale mais «seulement
pour les affaires générales et pour les questions budgétaires et en
se réservant expressément, el de la manière la plus absolue, ses droits à
Vè<jard de nos institutions particulières, à l'égard de notre glorieuse
législation française.
Encore cette représentation générale devait-elle être une véritable
représentation du pays, un véritable facteur de législation et non
une assemblée consultative, composée de fonctionnaires (sur
382 membres, la Chambre basse de la Prusse compte 349 fonctionnaires
publics) et à laquelle le roi devait mesurer ses droits parées paroles à
jamais célèbres dans les annales du parlementarisme :
• Vous me conseillerez et moi f écoulerai vos conseils ! »
A l'heure qu'il est, nos Codes pénal et de commerce ont disparu et
le reste de notre législation, notre Code civil et ceux de procédure
sont plus que jamais menacés. Et à ces menaces, on ajoute encore
l'outrage : On parle de remplacer ces Codes par une législation d'une
soi-disante i Confédération de l'Allemagne du Nord, » d'une Confédé-
ration que seule la bienveillance du monarque le plus- bienveillant
pour l'Allemagne qui ait orné le trône de la France, pouvait faire
entrer en vie, par la législation d'une Confédération qui, d'après ses
idées magnanimes, devait procurer à un peuple cher à ses souvenirs
d'enfance l'accomplissement de ses aspirations légitimes, devait le
conduire à la liberté et à l'unité.
Et qu'est-ce que nous voyons à présent?
Au lieu d'éclore en liberté, nous voyons l'Allemagne dans les fers
de l'esclavage le plus intolérable; au lieu du droit, nous y voyons
régner la force; au lieu d'une Confédération nous trouvons une
■
— 125 -
dictature; au lieu de l'unité, nous ne voyons que la pression de
l'élau.
Mais nous sommes plus tranquilles que jamais. Le principe de
cetle Confédération était si éminemment l'idée favorite de Napo-
léon III, sa puissante volonté l'a appelée en vie, mais le souffle de la
France régénérée le détruira, c'est-à-dire détruira la carricature qui
la remplace et ce gouvernement hypocrite et barbare apprendra ce
qu'il a déjà appris en 1806 :
«Que s'il est facile d'acquérir un accroissement de domaines et de
puissance avec l'amitié du grand peuple, son inimitié est plus teirible
que les tempêtes île l'océan. »
CONCLUSION
(ÉCRITE EN 186.S).
« Rien qu'une main, rien qu'une muin, Français, je suis sauvé ! •
En poussant ce cri suprême du héros de Pologne, nous savons
parfaitement que parmi les Français d'aujourd'hui, il y en a qui
voudraient nous refuser celle main, se retranchant toujours derrière
cette assertion mensongère, mais devenue leur expression favorite :
« Le peuple rhénan ne veut pas de nous. »
Celte excuse est d'abord le gémissement des lâches, engeauce
auparavant inconnue dans la patrie des braves.
Ce n'est pas pour eux que nous écrivons.
Elle est encore le cri de ralliement des consciences vendues,
de ceux qui vendent le sauir français pour l'or prussien.
Ce n'est pas à ceux-ci non plus que s'adressent ces lignes.
Mais il y a des gens bien intentionnés qui, à force de répétitions
continuelles de celte assertion, et en vue du calme apparent que pré-
sente la surface, pourraient finir par ajouter quelque croyance à ces
mensonges intéressés.
C'est à eux tout particulièrement que s'adressent ces lignes; c'est
pour eux que nous avons tracé ce triste tableau d'une situation
désespérée, que nous avons démontré comment nos droits les plus
sacrés sont foules aux pieds, comment notre conscience doit être
alarmée, les forces vitales du pays doivent être épuisées; c'est à eux
w**m m
— 126 —
que nous avons exposé les conséquences fâcheuses des principes
dévastateurs de l'instruction, les brutalités d'une administration
étrangère, les atrocités d'une presse soldée; c'est pour eux enfin
que nous avons montré « t'abîme qui,» selon l'expression textuelle
de notre Diète, « existe entre le gouvernement prussien et le peuple
rhénan. 1
Nous eussions dû en dire davantage encore ; mais, conforme à
noire promesse de ne parler que d'après des pièces officielles et de ne
raconter que l'héroïque résistance de notre Diète, nous nous sommes
borné là, persuadé que ce que nous avons dit suffit parfailement
pour démontrer la situation déplorable de notre pays, suffit pour
faire connaître ses véritables sentiments, suffit pour démontrer que
ce calme apparent, le silence qui s'y fait n'est autre que le silence de
la tombe, que l'ordre qui y règne n'est autre que celui qui règne à
Varsovie.
Bien entendu que nous disons « calme apparent, » parce qu'il n'est
pas calme du tout, car, d'après une œuvre de statistique de publication
officielle et récente (1867), en trois ans et par un seul et même tribu-
nal correctionnel, celui d'Aix-la-Chapelle, sont prononcées bii con-
damnations pour résistance et injures envers les autorités et où ce
délit, à moins d'admission de circonstances atténuantes, est toujours
puni d'emprisonnement (art. 102 du Code pénal prussien).
Maintenant un seul et dernier mot à ceux-ci et à tous ceux qui ont
encore le cœur français, aux fils de 1789, de Valmy, d'Arcole, de
Marengo, d'Austerlitz, d'Iéna, de Wagram, de Smolensk, de Dresde,
de Montmirail, à ceux qui ont encore gardé le souvenir de Waterloo :
L'heure presse, le moment est solennel. Par le temps qui court, en
prévision des grandes choses qui vont s'accomplir, on compte avec
beaucoup de facteurs : armement perfectionné, retardement de nos
alliés, dispositions des cabinets neutres, hésitation de tel ou tel prince
secondaire, etc. ,ete.;mais on en oublie un qui est le principal: les dis-
positions des peuples, et surtout les dispositions et les inquiétudes
des peuples opprimés, brutalisés, torturés et menacés par la Prusse,
qui tous, au gré ou contre le gré de leurs souverains, formeraient
aujourd'hui l'avant-garde de nos armées; on oublie de compter avec
les voies et moyens prussiens dont nous venons de donner seulement
un échantillon ; on ne prend surtout pas en considération eelte fa-
rouche versatilité des peuples torturés, qui peut faire que, gagnés par
le désespoir, ils se tournent un jour contre ceux, dont la veille ils se
sont cru délaissés (1).
(1) Ainsi que nous le disions, cette malencontreuse prophétie fut écrite en
— 127 —
Que ceux qui voudraient rire de nos appréhensions daignent seu-
lement envisager un peu la situation générale du point, de vue et
telle qu'elle se présente à ces peuples; qu'ils daignent seulement re-
garder un peu de plus près la tactique des journaux soldés par la
Prusse et se demander consciencieusement :
A quoi peuvent servir leurs assurances continuelles du maintien
de la paix (d'une paix impossible s'il en fût jamais!) si ce n'esta inti-
mider, à décourager et à désespérer ces peuples?
Quel but peuvent avoir leurs assertions impudentes sur de préten-
dues dispositions amicales de l'empereur pour la Prusse, si ce n'est
autre que celui de l'avilir dans les yeux de sa nation?
Qu'ils daignent seulement prendre en considération notre situation
à nous aulres,malheureuxRhénans,et répondre eux-mêmes pour nous
si le tentateur s'approche avec des insinuations telles que celles-ci :
Vous avez toujours parlé de la France, de son armée, de l'empe-
reur! Eh bien, voilà cinquante ans que la France a repris son rang
dans le concert européen, voilà trente-huit ans que l'armée sait ce
qu'elle peut, voilà déjà vingt ans que son souverain s'appelle Napo-
léon! Vous avez toujours parlé d'une revanche à prendre pour Wa-
terloo : voilà Diippel, voilà Sadowa! Vous avez toujours parle de la
grande nation; voilà la. grande nation « devenue — c'est un Ao^lnis,
c'est M. Roebuch qui le dit— un peuple de merciers! »
La situation est donc grave, assurément, mais heureusement elle
n'est pas désespérée. Heureusement la grande nation u'est pas encore
devenue ce que M. Roebuch veut en faire. Rassurons-nous donc, con-
tinuons donc à faire notre devoir et surtout ne nous décourageons
pas, car le découragement ne saurait être l'héritage de ceux, qui ont
pour eux la dernière volonté du martyre de Sainte-Hélène, qui n'a pas
voulu que son successeur fût un instrument dans les mains des
tyrans qui oppriment les peuples de l'Europe. »
■■■
ERRATA
Ai CHAPITRK II DK [.INSTRUCTION PUB1.10.UK, FJA.GH I*.
V oici quelques demandes et réponses, extraites du Catéchisme dio-
césain de Cologne (pages 27 et 28).
D. Que nous apprend l'horrible révolution française?
D. Que lit-on des prêtres ? R. On les jeta en prison, on les pendit
simplement au premier poteau de lanterne.
D. Ëpargnait-on seulement les enfants? R. Non, on les massacra
par milliers.
D. Quel était le nombre des victimes? K. On l'estime à plus de
d«ux millions. — ~ — -
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